Singapour doit cesser de prendre pour cible les défenseurs des droits de l’homme et les médias

Plaidoyer

Publié par Aliran et al (Malaysiakini), le 20 février 2020

Singapour affirme que cette déclaration est « fausse, sans fondement et absurde ».

Nous sommes également choqués que Singapour ait invoqué la Loi sur la protection contre les mensonges et les manipulations en ligne (Pofma), et ordonné à LFL et aux trois parties ayant partagé les allégations – Singaporean activist Kirsten Han, The Online Citizen website et Yahoo Singapour – de rectifier ces fausses déclarations.

Les autorités singapouriennes ont déclaré que pour se conformer à cette injonction : « Ils seront tenus d’ajouter un avis de rectification à leurs messages ou articles indiquant que ces derniers contiennent des mensonges ».

Le non-respect de l’avis émis en vertu de la Loi Pofma est un délit et, en cas de condamnation, une personne est passible d’une amende ne dépassant pas 20 000 dollars singapouriens ou d’une peine d’emprisonnement de 12 mois au maximum, ou des deux, tandis que d’autres seront passibles d’une amende ne dépassant pas 500 000 dollars singapouriens.

L’avis peut également conduire à une injonction de blocage de l’accès, en vertu de laquelle les fournisseurs de services devront désactiver l’accès au site en ligne des utilisateurs finaux à Singapour.

Le fait d’avoir demandé au ministre responsable de retirer ou de modifier l’injonction, d’avoir fait appel devant un tribunal ou d’être « soumis à une obligation en vertu du droit écrit, d’une règle de droit, d’un contrat ou d’une règle de conduite professionnelle, qui empêche la personne de se conformer à l’avis émis en application de la Loi Pofma, ne saurait constituer un moyen de défense ».

Il est déplorable de demander à un défenseur des droits de l’homme ou à une agence de médias d’adopter publiquement une position selon laquelle les violations des droits et/ou les injustices présumées qu’ils ont mises en évidence ou dont ils ont rendu compte sont fausses ou contiennent des mensonges. Lorsqu’il y a une allégation d’acte fautif ou de crime, il est du devoir d’un défenseur des droits de l’homme ou de toute personne concernée de la signaler, et ensuite, il incombe au gouvernement ou aux organismes nationaux, régionaux ou internationaux compétents de mener l’enquête indépendante nécessaire et de déterminer si ces allégations sont vraies ou sans fondement.

Il convient de noter que de nombreuses enquêtes peuvent ne pas aboutir à des conclusions en raison de l’insuffisance de preuves, ce qui ne doit en aucun cas conduire à supposer que les allégations sont fausses.

Une lecture attentive de la déclaration de LFL montre que leurs informations proviennent, entre autres, d’une source crédible : un agent de la prison de Singapour.

On peut raisonnablement considérer qu’il s’agit d’une personne ayant une connaissance directe de ce qui est allégué.

Dans la déclaration de LFL, il est également mentionné que cet agent est prêt à témoigner devant le tribunal compétent. LFL avait déjà repris cette allégation auparavant, dans sa déclaration du 23 novembre 2019, où elle dit : « Enfin, nous avons également reçu des informations choquantes concernant le processus d’exécution à la prison de Changi.

Nous avons la preuve irréfutable que des méthodes illégales et extrêmement brutales sont secrètement utilisées par les services pénitentiaires de Singapour pour procéder aux pendaisons. Nous sommes prêts à révéler les preuves fournies par les agents de la prison, en temps voulu ».

Dans la déclaration du 16 janvier, LFL a également déclaré avoir écrit aux autorités de Singapour pour leur dire qu’elle était prête à les rencontrer et à leur remettre les preuves en sa possession.

Cependant, le gouvernement de Singapour a répondu aux révélations de LFL par un silence assourdissant.

Surtout, il n’a non plus pas nié l’allégation de LFL concernant la brutalité lors des pendaisons, qui a été largement diffusée. Le gouvernement de Singapour aurait dû à juste titre rencontrer LFL, recevoir les preuves, mener une enquête appropriée et divulguer ses conclusions.

Selon la loi, la police n’est pas censée torturer les détenus, mais le fait est que certains officiers de police torturent et même tuent ceux qui sont sous leur garde.

Ce n’est peut-être pas la faute du gouvernement, mais celle de ces agents qui ont mal agi.

Pourtant, si après avoir été informé de telles fautes, un gouvernement choisit de ne rien faire, on peut dire qu’il « couvre » les actes répréhensibles de ses fonctionnaires ou qu’il les ignore tout simplement et peut donc être considéré comme tout aussi coupable desdits actes.

Les médias sont tenus d’en informer le public, et cela inclut des déclarations et prises de position des citoyens ordinaires et de défenseurs des droits de l’homme.

Dans le cadre des bonnes pratiques, la plupart des médias tentent d’obtenir une réponse de l’auteur présumé ou d’autres parties pertinentes, mais les informations ne doivent jamais être étouffées simplement parce que les auteurs (ou les parties concernées) ne fournissent pas de réponse immédiate. Bien entendu, la plupart des médias diffuseront une réponse même tardive de l’auteur présumé ou d’autres parties concernées.

Les obligations imposées aux médias ne doivent pas être les mêmes que celles imposées aux personnes qui utilisent les réseaux sociaux.

De nombreuses personnes de bonne foi qui publient des informations ou des points de vue sur les réseaux sociaux, partageront aussi généralement toute réponse obtenue auprès de l’auteur présumé ou de parties concernées avec leurs lecteurs. En Malaisie, de nombreuses violations des droits de l’homme, voire des crimes, qui ont été mis en lumière par les défenseurs des droits de l’homme ou les médias ont fait l’objet d’enquêtes du gouvernement.

Par exemple, en Malaisie, c’est l’enquête menée par l’équipe spéciale du New Straits Times sur les massacres de Wang Kelian en 2015 qui a mis en évidence et suggéré une dissimulation massive et coordonnée.

Elle a révélé que les camps de la mort pour trafic d’êtres humains avaient été découverts des mois plus tôt, mais que la police n’avait annoncé la découverte que le 25 mai.

Elle a également demandé pourquoi la police avait ordonné la destruction de ces camps, qui étaient de possibles scènes de crime avant qu’ils ne puissent être examinés par le personnel médico-légal.

La réponse du gouvernement malaisien a été d’enquêter sur cette affaire, et le 16 janvier, il a été communiqué que le ministère de l’Intérieur présentera la semaine prochaine au Cabinet un rapport de la Commission royale d’enquête (RCI) sur l’incident de trafic d’êtres humains de Wang Kelian.

Il est à espérer que le rapport sera ensuite rendu public. À l’instar de la Malaisie, Singapour aurait dû mener une enquête approfondie sur les allégations soulevées par LFL, et ne pas essayer de « contraindre » LFL et les autres personnes ayant mis en lumière ce problème à admettre publiquement qu’il s’agissait de mensonges.

Communiquer publiquement des allégations ou des faits répréhensibles, des violations des droits et des injustices est aujourd’hui un moyen de s’assurer que justice est faite, car les gouvernements et les autorités chargées de l’application des lois compétents, peuvent parfois choisir de « dissimuler » de telles allégations.

Il est inadmissible qu’un gouvernement utilise des lois et des crimes (assortis de lourdes peines) pour empêcher les défenseurs des droits de l’homme, les médias et d’autres personnes de mettre en lumière des allégations d’actes répréhensibles.

De telles lois qui sapent les responsabilités des défenseurs des droits de l’homme, y compris des médias, devraient être abrogées. La liberté d’expression, d’opinion et de réunion pacifique doit être protégée.

Le courage de mettre en lumière de possibles violations des droits de l’homme, injustices et actes répréhensibles doit être applaudi, et non étouffé ou pénalisé.

Les médias ont rapporté que le 23 janvier, le ministre des Communications et de l’Information de Singapour avait ordonné à l’Autorité de développement des médias Infocomm de demander aux fournisseurs d’accès à Internet de bloquer le site Web de LFL pour non-respect d’une injonction de rectification émise en vertu de la Loi sur la protection contre les mensonges et les manipulations en ligne.

Par conséquent, nous demandons à Singapour de :

– retirer immédiatement et sans condition l’avis et les injonctions de blocage d’accès à Internet émis en vertu de la Loi Pofma à l’encontre de LFL, Kristen Han, The Online Citizen, Yahoo Singapour et d’autres.

– veiller à ce qu’une enquête indépendante et approfondie soit menée concernant les allégations de pratiques injustes et barbares qui se seraient produites lors de la pendaison de personnes à Singapour.

– respecter les défenseurs des droits de l’homme et les agences de médias, et de ne pas les empêcher de s’acquitter de leur responsabilité et de leur devoir de mettre en lumière les allégations de violations des droits de l’homme et d’injustices.

– d’abolir la peine de mort.

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Ce qui précède est une déclaration commune d’Aliran, Réseau asiatique contre la peine de mort (Adpan), Asian Federation Against Involuntary Disappearances (Afad), Association of Parents of Disappeared Persons from Indian Administered Jammu and Kashmir, Association of Human Rights Defenders and Promoters – HRDP au Myanmar, Asociación de Trabajadoras del Hogar a Domicilio y de Maquila-Atrahdom, Guatemala, Australians Against Capital Punishment, Banglar Manabadhikar Suraksha Mancha (Masum), en Inde, Dutch League For Human Rights, Empower Foundation en Thaïlande, Families of Victims of Involuntary Disappearance (Find) aux Philippines, Coalition allemande pour l’abolition de la peine de mort, Global Women’s Strike au Royaume-Uni, Japan Innocence and Death Penalty Information Center, Karapatan Alliance aux Philippines, LAW au Royaume-Uni, Madpet (Malaysians Against Death Penalty and Torture), Malaysian Trade Union Congress, Manushya Foundation en Thaïlande, MAP Foundation (Programme d’assistance aux migrants) en Thaïlande, North-South Initiative, Odhikar au Bangladesh, Payday Men’s Network au Royaume-Uni, Persatuan Komuniti Prihatin Selangor dan Kuala Lumpur, Programme Against Custodial Torture & Impunity (Pacti) en Inde, People’s Empowerment Foundation en Thaïlande, Sarawak Dayak Iban Association (Sadia), Singapore Anti Death Penalty Campaign, Suaram Malaysia, Terai Human Rights Defenders Alliance au Népal, The Advocates for Human Rights, The Day of the Endangered Lawyer Foundation, The Julian Wagner Memorial Fund en Australie, Union for Civil Liberty en Thaïlande, Workers Assistance Center Inc aux Philippines, World Coalition Against the Death Penalty/ Coalition mondiale contre la peine de mort, WH4C (Workers Hub For Change), Vucong, Giao (Faculté de droit, Université nationale du Viet Nam, Hanoi), N Jayaram (Journaliste, Bangalore) et Mohammad Ashrafuzzaman (défenseur des droits de l’homme à Bangladesh, à Hong Kong)

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