Un panel de haut-niveau à distance pour la résolution moratoire
Le 5 novembre, un webinaire réunissant des panélistes de haut niveau s’est tenu à l’initiative d’Ensemble contre la peine de mort (ECPM) dans le cadre de la campagne pour le moratoire. Traditionnellement organisé à New York, aux États-Unis, en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU), l’évènement a dû être organisé cette année en ligne en raison de la pandémie de Covid-19.
Des victoires régulières mais des défis permanents pour la lutte pour l’abolition
Abroger la peine de mort est, quelque part, une idée déjà ancienne et demeure une question d’actualité. S.E. Stefano Stefanile, Représentant permanent adjoint de l’Italie auprès des Nations Unies, qui a participé à ce panel de haut niveau, a ainsi mentionné que le Grand-Duché de Toscane avait aboli la peine capitale en 1786, bien avant l’unification de l’Italie. Aujourd’hui, les progrès en matière d’abolition dans le monde sont indéniables. En 2019, environ 90% des États membres des Nations Unies n’ont procédé à aucune exécution et près de 60% d’entre eux ont aboli la peine de mort en droit pour tous les crimes. Quant au nombre d’exécutions, le droit à la vie a connu une autre victoire avec une diminution de 5% des exécutions enregistrées en 2019 par rapport à 2018, atteignant ainsi son niveau le plus bas depuis au moins 10 ans.
Les ambassadeurs et ambassadrices de Belgique, de France, d’Italie et de Suisse – qui copréside cette année le Groupe de travail interrégional chargé de rédiger le texte de la résolution – ainsi que l’Union européenne ont tous et toutes rappelé que le mouvement pour l’abolition reçoit le plein soutien de leur pays ou organisation. Au cours de sa présentation, William Schabas, professeur de droit international, a également partagé un point de vue enthousiaste, considérant que l’abolition universelle pourrait bien être atteinte d’ici à 2030.
Malgré un optimisme légitime, baisser sa garde serait sans aucun doute une erreur. Comme l’ont rappelé les panélistes, l’abolition n’est en aucun cas un acquis. Aujourd’hui, les deux tiers de la population mondiale vivent encore sous le joug d’une législation qui prévoit la peine de mort comme l’a souligné S.E. Nicolas de Rivière, Représentant permanent de la France auprès des Nations Unies. Depuis l’adoption de la première résolution sur le moratoire par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2007, de nouvelles problématiques ont été soulevés concernant les nombreuses violations des droits humains perpétrées à chaque fois que la peine de mort est appliquée – erreur judiciaire, torture ou discriminations, entre autres.
Un texte symbolique comme premier pas vers l’abolition universelle
La résolution pour un moratoire sur les exécutions est un texte adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies – qui réunit tous les États membres de l’ONU – tous les deux ans depuis 2008, bien qu’une première résolution eût également été adoptée en 2007. Le soutien en faveur de cette résolution gagne à chaque fois du terrain avec un record de 121 voix en faveur en 2018. Cela a envoyé un message très symbolique à l’ensemble de la communauté abolitionniste, en particulier les votes positifs des États qui sont considérés comme « abolitionnistes en pratique » après qu’aucune exécution n’ait été enregistrée en dix ans. Dans la mesure où seuls 106 États membres des Nations Unies ont officiellement aboli la peine de mort, ce vote signifie que l’abolition en droit peut espérer de nouveaux partisans. Cependant, une récentes étude réalisée par ECPM a montré qu’environ 20% des votes des États membres des Nations Unies n’étaient pas cohérents avec la situation de peine de mort dans le pays.
Comme son nom l’indique, la résolution n’appelle pas les États à abolir formellement la peine de mort mais simplement à suspendre les exécutions ainsi que l’a expliqué Nadia Bernoussi, professeure de droit constitutionnel et représentante du Maroc au Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Au même titre que les autres résolutions adoptées par l’AGNU, a-t-elle poursuivi, la résolution sur le moratoire ne revêt pas de caractère obligatoire pour les États qui l’ont soutenue, mais c’est sans doute ce qui en fait aussi la force et l’intérêt pour la communauté abolitionniste. Voter en faveur de la résolution n’est pas un acte très contraignant pour les États, y compris pour ceux qui maintiennent encore la peine capitale en droit, et ainsi tous devraient être fortement encouragés à la soutenir. Le soutien à la résolution a par ailleurs permis à des États de franchir le pas de l’abolition.
En 2018, le vote du texte de la résolution par la Troisième Commission des Nations Unies, avant que celui-ci ne soit adopté lors de la session plénière de l’AGNU, a soulevé d’importantes discussions quant au droit souverain des États à imposer les sanctions juridiques appropriées aux personnes soumises à leur juridiction. S.E. Alhem Sara Charikhi, diplomate à l’ambassade d’Algérie auprès des Nations Unies, a expliqué que l’Algérie a continuellement été favorable à la résolution sur le moratoire depuis 2007 tout en maintenant la peine de mort dans la loi. À cet égard, a-t-elle ajouté, l’Algérie est le seul pays de la zone MENA qui n’a jamais changé sa position sur le texte bien qu’elle ait en effet décidé d’observer un moratoire de fait sur les exécutions depuis 1993 alors qu’elle était confrontée à une page de son histoire marquée par le terrorisme.
Un temps pour des arguments et pour d’autres engagements
Ivan Šimonović, Commissaire à la Commission internationale contre la peine de mort et ancien sous-secrétaire général adjoint des Nations Unies aux droits de l’homme, a pris le temps de rappeler aux participants et participantes quelques-uns des principaux arguments contre la peine de mort. Les études montrent constamment que la peine de mort n’a pas d’effet dissuasif particulier sur la commission des crimes et qu’elle affecte de manière disproportionnée les personnes les plus vulnérables ainsi que le bien-être de toutes les personnes qui sont impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans la procédure pénale (des proches des personnes condamnées à mort aux différents magistrats ou magistrates).
Surtout, la peine capitale n’est jamais qu’une question pénale. Elle est, plus largement, une question sociale car elle trouble l’ensemble de la société : selon Ivan Šimonović, il semble ainsi y avoir une forte corrélation entre la peine de mort et l’autoritarisme. Mais l’abolition, elle, est toujours une question de droits humains et de dignité.
S.E. André Aseba, ministre des Droits humains de la République démocratique du Congo, a tenu à souligner que la Constitution actuelle de la RDC consacre la suprématie des normes internationales. Ces dispositions ont ainsi contribué, dans certaines affaires, à combler des vides juridiques en permettant au juge de s’appuyer sur le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (2002) pour rendre une décision qu’il n’aurait peut-être pas pu prendre en d’autres circonstances. Cela pourrait, a-t-il ajouté, inspirer les juges dans les procès susceptibles d’aboutir à une condamnation à mort. S.E. André Aseba a réitéré son engagement à aider la RDC à adhérer aux normes internationales participant à abolir la peine de mort : « Je suis convaincu que cette fois-ci, nous arriverons à voter la résolution » a-t-il conclu.
Calendrier provisoire de la procédure de vote
Le texte de la résolution devrait être d’abord voté au niveau de la Troisième Commission des Nations Unies à la mi-novembre, puis lors de la session plénière de l’AGNU à la mi-décembre.m