Les expert(e)s CEDAW remercient les membres de la Coalition mondiale pour leur évènement parallèle sur le genre et la peine de mort #CEDAW86

Plaidoyer

Publié par Venus Aves, le 8 novembre 2023

Le 22 octobre 2023, la Coalition mondiale contre la peine de mort (Coalition mondiale) a organisé un événement parallèle à huis clos sur une approche sensible au genre et intersectionnelle de l’abolition de la peine de mort, dans le cadre de la 86e session du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW).

La discussion a porté sur les différentes formes de discriminations fondées sur le genre qui entourent la peine capitale. Le Comité a entendu les interventions et les recommendations d’Amy Bergquist de The Advocates for Human Rights, de Chelsea Halstead du Cornell Center on the Death Penalty Worldwide (CCDPW), de Chow Ying Ngeow du Anti-Death Penalty Asia Network, et des personnes innocentées Sunny Jacobs de The Sunny Center Foundation et Sabrina Butler-Smith de Witness to Innocence. 

Ce n’est pas la première fois que les abolitionnistes s’intéressent à CEDAW. Depuis la Journée mondiale contre la peine de mort en 2021, consacrée à la réalité invisible des femmes dans le couloir de la mort, avec la coordination et le soutien de The Advocates for Human Rights, une trentaine de rapports sur les questions de genre et de peine de mort ont été soumis au Comité avec la contribution des membres de la Coalition mondiale. Cependant, cet événement est sans précédent car il a permis aux défenseurs des droits humains de s’engager directement avec les expert·ees CEDAW sur la peine de mort en dehors de leurs sessions formelles. 

Cinq points essentiels peuvent être dégagés de cette discussion : 

CEDAW devrait jouer un rôle clé en comblant le manque de données sur les femmes condamnées à mort.

L’accès aux données est crucial pour le plaidoyer, en particulier sur une question moins connue comme celle du genre et de la peine de mort. Ces dernières années, la société civile abolitionniste a collecté et compilé certaines données sur la présence de femmes condamnées à mort dans le monde. Toutefois, ces données sont nettement insuffisantes. Nous ne disposons toujours pas d’informations sur la présence de femmes dans le couloir de la mort dans 8 pays et, parmi les 42 pays où des femmes sont actuellement dans le couloir de la mort, 12 pays rétentionnistes ne disposent d’aucune donnée précise sur le nombre de femmes dans le couloir de la mort. 

Même dans les pays où nous disposons de certaines données, nous n’avons pas d’informations essentielles sur les antécédents des femmes condamnées à mort, notamment sur le(s) crime(s) dont elles ont été reconnues coupables et sur leurs relations avec la/les victime(s) ou le(s) coaccusé·e(s). Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes CEDAW et d’autres organes de traités ont un rôle énorme à jouer pour combler ce manque de données crucial.

CEDAW devrait promouvoir une approche intersectionnelle de l’abolition.

Comme le montrent les recherches du CCDPW, dans les pays où nous disposons de données, il est clair que la plupart des femmes condamnées à mort appartiennent à des minorités raciales ou ethniques, sont analphabètes, viennent de milieux économiquement défavorisés, souffrent de handicaps mentaux et intellectuels et ont subi des violences fondées sur le genre. Leurs antécédents éclairent souvent les raisons qui les poussent à commettre des crimes graves. 

Selon Amnesty International, en Malaisie, 85 % des femmes condamnées à mort sont des ressortissantes étrangères et toutes, sauf une, sont accusées de crimes liés à la drogue. Comme l’a expliqué Chow Ying, ces femmes ont émigré en Malaisie pour bénéficier de meilleures conditions économiques. Le plus souvent, elles ne savent pas qu’elles se livrent au trafic de drogue. Elles sont facilement recrutées car elles sont dans une situation économique difficile. 

Sabrina Butler-Smith, la première femme exonérée du couloir de la mort aux États-Unis, a également raconté comment elle avait été victime de misogynoir en tant que femme noire : « Le procureur a essayé d’éliminer le plus grand nombre possible de jurés noirs… Dans le couloir de la mort, je n’avais pas accès à beaucoup de choses. C’était difficile d’être une femme, surtout quand on a besoin d’avoir accès à des soins féminins. Je suis tombée malade en prison. Ma mère a dû s’adresser aux médias pour que je reçoive de l’aide. »

CEDAW devrait encourager la prise en compte des circonstances atténuantes liées au genre lors de la détermination de la peine.

Comme le montre le rapport 2021 du CCDPW, dans plusieurs pays africains, les femmes sont souvent condamnées à mort pour avoir tué leurs agresseurs. Cependant, il n’existe généralement aucun mécanisme permettant de considérer la violence fondée sur le genre comme une circonstance atténuante. 

Comme l’a dit Chelsea, « les femmes sont sous-protégées par l’État lorsqu’elles sont victimes et surpénalisées lorsqu’elles sont auteurs de violences ».

CEDAW devrait promouvoir l’intégration de la dimension de genre dans le système judiciaire, y compris dans le processus d’application de la peine capitale.

Dans les tribunaux, les procureur·es, les avocat·es de la défense et même les juges s’appuient souvent sur des stéréotypes sexistes pour analyser le comportement d’une femme, en se fondant sur les normes patriarcales relatives à ce que signifie être une bonne mère, une bonne épouse ou une femme digne de ce nom. Comme l’a avoué l’un des jurés de Sunny des années plus tard, « l’une des raisons pour lesquelles iels voulaient me condamner à mort était de faire d’une femme un exemple ».

Une fois dans le couloir de la mort, les femmes n’ont pas accès à des soins spécifiques à leur genre et souffrent de conditions plus difficiles. Au Texas, par exemple, les femmes ménopausées sont placées à l’isolement, sans air conditionné et sans accès à des médicaments contre les bouffées de chaleur. Seule femme dans le couloir de la mort en Floride à l’époque, Sunny a passé plus de cinq ans à l’isolement et a bénéficié de moins de temps en plein air et d’autres privilèges que les hommes dans le couloir de la mort. 

Les abolitionnistes devraient engager davantage avec CEDAW sur les questions relatives à la peine de mort.

Les expert·es du CEDAW ont qualifié l’intervention d’ « éclairante » et de « révélatrice » et ont exhorté les abolitionnistesà poursuivre leur engagement auprès du Comité, notamment en organisant des réunions d’information, en soumettant régulièrement des rapports contenant des preuves tangibles et en s’adressant directement aux différents membres du Comité. Forte de ces encouragements, la Coalition mondiale continuera à renforcer son travail pour rendre visible la discrimination intersectionnelle à laquelle les femmes sont confrontées en ce qui concerne la peine de mort, afin d’atteindre l’objectif de l’abolition universelle.

Recommandations au Comité CEDAW :

  • Exhorter les gouvernements à publier chaque année des données ventilées sur les personnes condamnées à mort en fonction de l’âge, de l’âge des enfants à charge (le cas échéant), du sexe, du genre, de la nationalité, du groupe ethnique, du handicap, du ou des crimes pour lesquels elles ont été condamnées, de la date de la condamnation, de la date de l’exécution (le cas échéant) et de la relation entre l’auteur de l’infraction et la victime ou tout co-accusé.
  • Recommander que les systèmes nationaux de justice pénale tiennent pleinement compte de toute circonstance atténuante liée au genre et au parcours des femmes, y compris des preuves de traumatisme, de pressions économiques, de mariage d’enfants, de violence domestique et sexiste, ainsi que de handicaps psychosociaux et intellectuels.
    • Dans le cas de la Malaisie, qui doit être examinée en février 2024, le Comité devrait exhorter les tribunaux à prendre en compte les facteurs liés au genre dans le processus de re-condamnation.
  • Exhorter les États à promouvoir la formation obligatoire sur la discrimination et la violence fondées sur le genre, les voies d’accès à la criminalité et l’atténuation des effets de la discrimination fondée sur le genre au sein des administrations pénitentiaire et judiciaire, et veiller à ce que les femmes dans le couloir de la mort bénéficient d’un traitement égal, notamment par un accès suffisant à des soins sexospécifiques et par le respect des règles de Bangkok. 

Pour savoir comment mieux s’engager auprès des mécanismes des droits humains sur la question du genre et de la peine de mort, accédez à notre outil de plaidoyer. Vous pouvez également lire l’article de blog de The Advocates for Human Rights sur l’événement parallèle ici.

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