Marc Bossuyt : « Faisons en sorte que les pays qui n’adhèrent pas se sentent isolés »

Protocole

Publié par Pierre Désert, le 27 juin 2008

Pourriez-vous présenter le protocole en quelques mots ?

Marc Bossuyt : Il dit tout simplement que les Etats parties s’engagent à ne pas prononcer la peine de mort ni à l’exécuter. Le premier paragraphe de l’article 1 s’adresse aux Etats parties, car ils doivent prendre toutes les mesures voulues pour abolir la peine de mort dans leur législation, et le second octroie un droit individuel à toute personne de ne pas être exécutée. A

quel moment la Communauté internationale a-t-elle commencé à considérer l’abolition de la peine de mort comme une question liée aux droits de l’Homme ?

M. B. : La question a en fait été abordée dès les années cinquante lors de la rédaction du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté en 1966 : les auteurs de ce pacte, tout en n’ayant pas aboli la peine de mort, ont assujetti, au paragraphe 2 de l’article 6, l’application de cette peine à des conditions de gravité, de légalité, de non-rétroactivité, de procédure et de conformité avec les dispositions du Pacte et de la Convention sur le génocide.
En outre, ils ont encouragé à la non-exécution de la peine de mort (au paragraphe 4), ils ont exclu les personnes de moins de 18 ans et les femmes enceintes de l’application de cette peine (au paragraphe 5) et ils ont préconisé son abolition en stipulant (au paragraphe 6) qu’aucune disposition de cet article 6 ne peut être invoquée pour retarder ou empêcher l’abolition de la peine capitale. De même, le Comité des droits de l’Homme avait noté dans ses observations générales adoptées le 27 juillet 1982, que l’abolition était évoquée dans cet article 6, en des termes qui suggèrent sans ambiguïté que l’abolition est souhaitable.
Le Comité conclut que « toutes les mesures prises pour abolir la peine de mort doivent être considérées comme un progrès vers la jouissance du droit à la vie ».

Avez-vous rencontré des difficultés lors des négociations ?

M. B. : Certains Etats ont contesté l’utilité de ce Protocole, car ils ont estimé que tout Etat peut abolir la peine de mort sans pour autant devenir partie à un tel Protocole, ce qui est par ailleurs vrai.
L’objectif de ce texte est double : d’un point de vue politique, d’une part, c’est un point de ralliement pour tous ceux qui sont contre la peine de mort, qui leur permet de faire campagne en faveur de l’abolition, et ça a l’avantage de préciser l’objectif et les moyens de l’atteindre. D’autre part et de manière plus juridique, les Etats parties s’engagent à ne pas appliquer la peine capitale, mais également à ne pas la restaurer.
Le caractère définitif de l’abolition a posé des problèmes, notamment en France, où une révision de la Constitution a été nécessaire, après la décision du Conseil constitutionnel du 13 octobre 2005.

Quels ont été les Etats moteurs dans l’adoption du Pacte ?

M. B. : La République fédérale d’Allemagne a été très présente, car c’est elle qui en a pris l’initiative, ainsi que d’autres Etats européens et les Etats d’Amérique latine, qui se sont engagés depuis longtemps dans la voie abolitionniste.
Ce qui a été très particulier, c’est qu‘au moment de l’adoption du texte en décembre 1989, tous les changements à l’Est venaient de s’amorcer. Là où l’Union Soviétique et ses alliés avaient été favorables à la peine capitale, ils se sont servis de cette question pour démontrer les réformes instituées dans le cadre de la perestroïka.
Au moment du vote à l’Assemblée générale, il a fallu une campagne intensive de la République fédérale d’Allemagne parce que beaucoup d’Etats qui auraient pu s’opposer au Protocole ou appuyer une demande de report de vote se sont abstenus. Dans un certain sens, il y a eu une coïncidence de changements : dix ans plus tôt, cela aurait été très difficile parce que les pays socialistes ne se seraient pas ralliés au projet. Quelques années plus tard, les Américains auraient peut-être fait une campagne plus intensive, pour l’empêcher, y compris par des moyens procéduriers.

Sur les soixante six Etats parties au Deuxième protocole facultatif aujourd’hui, seul deux d’entre eux, l’Azerbaïdjan et la Grèce, ont émis des réserves qui sont encore en vigueur. Quel est le rôle de ces réserves ?

M. B. : Il y a en effet très peu de réserves. A l’origine, leur objectif était double. D’une part, au moment de la rédaction du Protocole, il n’y avait pas encore d’exclusion de la peine capitale en temps de guerre pour des crimes militaires au niveau européen. Il paraissait donc difficile, voire utopique, de proposer un instrument universel allant plus loin que l’état conventionnel au niveau européen à ce moment-là.
D’autre part, les réserves étaient là pour apporter une certaine flexibilité à l’égard de ce qui était imposé, pour dénier tout absolutisme et rendre l’acceptation du Protocole plus facile.
Si on constate maintenant que pratiquement aucun Etat n’utilise ces réserves, je serais tenté de dire « tant mieux ». Cela prouve donc que les désavantages d’avoir accepté la possibilité de faire telles réserves sont finalement très minces.

Existe-t-il selon vous, un moyen de tendre vers une abolition universelle de la peine de mort ? Si oui, comment convaincre les Etats rétentionnistes ?

M. B. : Cela va venir progressivement. Il faut faire en sorte que ceux qui n’adhèrent pas au protocole se sentent de plus en plus isolés, et que certains Etats qui se réclament des droits de l’Homme soient mal à l’aise en ne le ratifiant pas. On pourrait presque viser les Etats-Unis d’Amérique, le seul grand pays occidental qui n’ait pas encore signé le Protocole.
A l’époque de l’adoption du Protocole, en 1989, la majorité des Etats étaient rétentionnistes, et maintenant, presque 20 ans plus tard, on est arrivé progressivement à une situation où une large majorité a aboli. On a donc fait de grands progrès, et on ne peut que s’en féliciter.

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