L’Afrique du Nord et le Moyen-Orient entre progrès et frustrations

Congrès mondial

Publié par Thomas Hubert, le 13 juin 2013

« La situation de la peine de mort n’est pas homogène dans la région » : Amina Bouayach, vice-présidente marocaine de la FIDH, donne le ton de la session du 5e Congrès mondial contre la peine de mort consacrée à la zone Afrique du Nord-Moyen Orient.
Un fossé semble en effet séparer la déception de l’avocat et militant Egyptien Nassr Amin – « La situation de la peine de mort n’a pas beaucoup évolué depuis la révolution » – de l’abolitionnisme affiché dans le message envoyé aux congressistes par le président tunisien Moncef Marzouki – « Nous sommes avec vous, nous sommes contre la peine de mort, cette institution barbare. »
Dans toute la région, l’ébullition abolitionniste issue du Printemps arabe se heurte à de fortes résistances.
Au Maroc, Houria Es-slami, représentante du Conseil national des droits de l’homme, rapporte des progrès certains : de nouveaux articles de la constitution garantissent le droit à la vie et à l’intégrité physique. « Ils constituent un fondement pour préparer l’abolition de la peine de mort », affirme-t-elle.
Et pourtant, le royaume n’abolit toujours pas, et continue à s’abstenir aux votes de l’Assemblée générale de l’ONU au sujet d’un moratoire sur les exécutions.
Même frustration au sein de l’institution nationale des droits de l’Homme algérienne, le CNCPPDH, dont le président Mustapha Farouk Ksentini constate « une très violente opposition à l’abolition de la peine de mort de la part de ceux qui défendent des préceptes religieux et de ceux qui sont choqués par des crimes horribles, notamment contre les enfants ». Dans ce contexte, la stratégie du CNCPPDH vise à réduire le champ d’application de la peine de mort plutôt qu’à l’abolir.

« Réfléchir sur la gestion pénitientiaire »

Selon le parlementaire libanais Ghassan Mouhkeiber, la réflexion sur l’abolition de la peine de mort dans la région doit s’élargir pour prendre en compte d’autres questions qui agitent la société. Par exemple : « Les familles de victimes ont peur qu’un criminel s’échappe d’une prison mal tenue. Il y a une réflexion à avoir sur la gestion pénitentiaire ».
Plus largement, dans un Proche orient déchiré par les conflits en Syrie et dans les Territoires palestiniens, M. Moukheiber constate : « Nous sommes dans un région où il y a une tendance à dévaloriser la vie. » La réponse à cette banalisation passe selon lui par une meilleure coopération entre militants arabophones pour partager leur expérience sur les pratiques et les arguments qui ont fonctionné – ou pas – dans tel ou tel pays.
Les arguments religieux ont également un poids certains, à l’heure où plusieurs pays voient des partis politiques se réclamant de l’Islam prendre le pouvoir.
Pour le Tunisien Youssef Seddik, philosophe et anthropologue du Coran, la défense de la peine de mort au nom de l’Islam résulte d’une « manipulation ». « La loi du Talion existe bel et bien dans le Coran, mais on a séparé une lecture conséquente de la récitation : cette loi n’est pas bonne pour les musulmans, c’est écrit noir sur blanc », explique-t-il.
Il ajoute que le livre sacré des musulmans les encourage au contraire à obtenir réparation du criminel et à lui accorder leur pardon.
Plus généralement, Youssef Seddik recommande d’extirper la religion des règles qui régissent les rapports entre les hommes : « Il faut, pierre par pierre, séparer le législatif qui est de l’ordre de l’horizontal entre nous et le religieux qui est de l’ordre du vertical entre Dieu et celui qui prie. »

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