« L’Iran tue pour possession de moins de 50 g de drogue »
MENA
Iran Human Rights (IHR) a dénombré 580 exécutions dans la République islamique dans son Rapport annuel sur la peine de mort en Iran, dont les trois quarts à la suite de condamnations liées aux stupéfiants. Selon IHR, cette violence frappe aussi les étrangers, principalement afghans, et donne lieu à des pendaisons publiques. A l’approche de l’élection présidentielle de juin 2013, IHR et plusieurs autres membres de la Coalition mondiale s’inquiètent d’un durcissement de la répression et lancent une pétition pour appeler les partenaires internationaux de l’Iran dans la lutte anti-drogue à conditionner leur aide à l’arrêt des exécutions.
Même constat à la Fondation Abdorrahman Boroumand, une nouvelle organisation membre de la Coalition mondiale basée aux Etats-Unis. Ladan Boroumand, directrice de la recherche de la Fondation, détaille le contenu du rapport qu’elle a présenté au Conseil des droits de l’Homme des Nations unies en mars 2013.
Worldcoalition.org : Partagez-vous les conclusions du rapport annuel d’IHR ?
Ladan Boroumand : Nous avons quelques différences sur les statistiques, mais sur l’essentiel, nous sommes d’accord. L’écart vient du fait que nous avons pu vérifier seulement 540 exécutions, tandis qu’IHR a pu en vérifier 580. Nous devons comparer nos listes pour trouver la cause des écarts, et nous le ferons. Quand nous recevons des informations que l’on ne peut pas vérifier, nous ne les publions pas, tandis qu’IHR les utilise sous réserve, ce qui est également utile compte tenu du manque de transparence du système judiciaire iranien.
Pourquoi ces difficultés à accéder aux statistiques sur la peine de mort en Iran ?
Les victimes condamnées pour des crimes ordinaires comme le trafic de drogue donnent lieu à très peu d’information. Nous n’avons pas accès à leurs familles, et elles-mêmes sont peu conscientes de leurs droits et ne savent pas comment contacter les médias ou les organisations internationales. L’autre problème, c’est la peur : les familles font l’objet de menaces si elles contactent les organismes internationaux. Par exemple, une mère nous adonné des documents sur la condamnation à mort de son fils, mais elle nous a supplié de les garder en archive et de ne rien publier qui pourrait l’identifier car on l’a menacée de s’attaquer à ses autres enfants si elle parlait. Quant aux condamnés afghans, on ne sait rien sur eux. Nous commençons à prendre des contacts en Afghanistan pour essayer d’en savoir plus, mais la peur règne là aussi.
L’élection présidentielle de juin 2013 risque-t-elle de conduire à une accélération des exécutions ?
Lors des élections précédentes, il y avait une accalmie environ un mois avant pour faciliter la participation, qui s’estompait tout de suite après le vote. Cette année, on constate une politique différente, avec une forte répression de la presse et des ONG, sans pour autant de flambée des exécutions. Mais il n’y a pas que les exécutions judiciaires : nous documentons aussi les exécutions extra-judiciaires et l’usage abusif de la violence par les forces de l’ordre. Il faut aussi regarder le détail des infractions pour lesquelles les accusés sont condamnés : 195 personnes ont été exécutées en 2012 pour la possession ou le trafic de quantités inférieures à 10 kg de stupéfiants. Plus inquiétant, six personnes ont été pendues pour possession de moins de 500 g de drogue, sans accusation de trafic. Et une personne pour la possession de 49 g de métamphétamine. Par ailleurs, trois personnes ont été exécutées pour des crimes présumés commis avant leurs 18 ans.
Des voix s’élèvent pour demander aux Occidentaux de suspendre leur assistance à l’Iran contre le trafic de drogue si elle mène à de telles exécutions. Êtes-vous d’accord ?
C’est très important. L’abolition est inscrite dans la vocation de l’Union européenne et elle ne peut soutenir un régime qui tue pour possession de moins de 50 g de drogue. S’ils assistent la République islamique, la condition doit être un moratoire sur la peine de mort. Par ailleurs, on sait de source du régime lui-même que la peine capitale est inefficace pour lutter contre le trafic de drogue et la toxicomanie. Le responsable du service de santé estime que le taux de toxicomanie croît plus vite que la natalité. Depuis que la révolution s’est attaquée avec une violence inouïe aux « drogués » et aux trafiquants il y a 30 ans, leur proportion dans la population carcérale est passée de 5 % à 43 %. C’est un échec total.
Vous mettez en place un mémorial des victimes des violations des droits de l’Homme en Iran. De quoi s’agit-il ?
Notre père a été exécuté extra-judiciairement par la République islamique à Paris. Depuis 1979, la société iranienne n’a pas assez réagi à cette violence d’État. Nous voulons que les Iraniens la découvrent, à travers un base de donnée de toutes les victimes quelles qu’elles soient : prostituées, criminels ou militants de gauche comme de droite. Nous les ajoutons à un répertoire appelé « Omid », ce qui veut dire « espoir » en persan. Chaque histoire est présentée sur un modèle qui indique ce qu’aurait du être un procès équitable, afin que le lecteur puisse voir lesquels de leurs droits fondamentaux ont été bafoués, l’étape ultime étant celle du droit à la vie. Nous avons déjà rassemblé 15 779 histoires, c’est un travail de fourmi !
Pourquoi adhérez-vous aujourd’hui à la Coalition mondiale ?
C’est d’abord une question de principe, pour rejoindre le mouvement abolitionniste. Mais notre travail se passe avant tout dans les archives, et nous n’avons pas beaucoup de puissance pour le plaidoyer. D’autres organisations de la Coalition le font. Nous pouvons leur donner des munitions. En Iran, nous avons constaté que beaucoup de militants de la démocratie ne parlent pas de la peine de mort. Ils y sont opposés comme symbole de la violence d’État, mais ils ne connaissent pas les arguments pour la combattre. Nous avons traduit des textes à ce sujet, mais ils sont encore peu lus. Il est important que nous arrivions à atteindre ces gens.