En attendant la Cour suprême des Etats-Unis

Abolition

le 17 janvier 2008

Cet article comporte des liens vers des ressources américaines en anglais pour en savoir plus.

La Cour suprême a accepté, le 25 septembre 2007, d’entendre les arguments concernant la constitutionnalité de l’injection mortelle telle qu’elle est administrée dans la plupart des états américains qui appliquent la peine capitale. Depuis, la communauté abolitionniste (en particulier au Texas où la machine à tuer semble ne jamais s’arrêter ni réfléchir) a poussé un soupir de soulagement. Mais elle sait pertinemment que la question posée par le dossier de Baze v Rees au Kentucky ne va en rien nous faire avancer sur le chemin de l’abolition.
Pour résumer simplement le problème posé, la question ne traite que de la manière de tuer et non de savoir s’il est constitutionnel de mettre à mort un être humain. Le cocktail chimique utilisé actuellement pour l’injection mortelle pose un certain nombre de questions très dérangeantes.
D’une part, l’injection est administrée par du personnel non qualifié – et le débat va bon train dans le milieu médical où l’éthique interdit aux membres de cette profession de participer à une exécution. Dans certains cas, les personnes qui procèdent à l’exécution utilisent l’injection à des fins de vengeance ultime, infligeant ainsi une torture supplémentaire au condamné à mort.
D’autre part, d’un point de vue plus scientifique, personne ne peut évaluer aujourd’hui les conséquences du mélange des trois produits (1. sodium tiopenthal, 2. pancuronium bromide, 3. chloride de potassium) et encore moins leur effet synergique dans le sang humain.
On pourrait aussi parler du phénomène de la paralysie consciente, qui ne concerne pas que les condamnés à mort : des patients ont subi le même sort lors d’interventions chirurgicales pendant lesquelles ils étaient paralysés, donc incapables de communiquer ou de manifester leur souffrance, mais tout à fait conscients et dans un éveil cérébral absolu.
Il apparaît clairement aujourd’hui que le sodium pentothal n’est utilisé que pour le confort des témoins qui assistent aux exécutions et non pour « euthanasier » un condamné à mort. L’injection mortelle aux Etats-Unis n’est toujours pas aux normes vétérinaires. Une dose unique de barbiturique suffirait à « endormir » jusqu’à la mort, sans souffrance ni torture.

Les exécutions reprendront en 2008

Si la Cour suprême décide que l’injection, telle qu’elle est préconisée à l’heure actuelle, est constitutionnelle, les exécutions reprendront très vite, fin juin ou début juillet 2008. Si la décision devait poser un nouveau standard pour l’injection mortelle, les états devront modifier le protocole d’exécution. Bon nombre d’entre eux s’y préparent déjà, et les exécutions reprendront à l’automne 2008 dans le meilleur des cas. La seule satisfaction que nous pourrons en retirer sera de savoir que ceux qui seront exécutés ne le seront pas dans d’atroces souffrances.
Dans le premier cas de figure, la cause abolitionniste reprendra son cheval de bataille préféré : l’injection mortelle est une torture, ce qui ne fera toujours pas avancer la cause de l’abolition. Dans le deuxième cas, celle-ci fera trois pas en arrière car ceux qui sont pour la peine capitale argumenteront que désormais la méthode d’exécution est « humaine ».
Il est vrai que dans un état comme le Texas où les exécutions sont fréquentes (en moyenne deux à trois fois par mois), la diversité des arguments contre la peine de mort est nécessaire au processus éducatif. Qu’il s’agisse de la méthode d’exécution, du nombre d’innocents acquittés in extremis, du coût financier d’une condamnation à mort ou du prix humain d’une justice politique qui ne se soucie pas de la vérité, nous sommes obligés de jouer sur tous les tableaux car l’horreur est quotidienne.
Il faut noter que la justice américaine est avant tout une justice politique car ses principaux acteurs sont élus. Ils sont par conséquent redevables à leurs électeurs et obligés de faire campagne pendant leurs mandats afin de réunir des fonds pour l’élection suivante. Cette justice qui se nourrit de la culture du résultat entretient un conflit d’intérêt majeur avec le concept même de la justice et elle ne sera jamais impartiale. La corruption est galopante et très enracinée.

Une seule question importante : la validité de la peine de mort

Après avoir lu, en ce 7 janvier, les minutes de l’audience concernant Baze v Rees, il apparaît clairement que les juges de la Cour suprême sont très divisés sur le sujet et qu’ils ne sont pas près d’accepter un dossier qui poserait la seule question importante : existe-t-il une méthode d’exécution qui soit humaine et qui ne bafoue pas les principes fondamentaux de la Constitution américaine ?
Cette Cour suprême là, nous en rêvons tous, mais elle n’est pas pour demain. En attendant, de nombreux condamnés à mort vont mourir, soit aux mains de barbares sans conscience ni principe, soit aux mains d’hommes qui auront restauré un tout petit peu de dignité aux condamnés à mort.
À moins que le monde politique international ainsi que les médias se mobilisent enfin, comme ils auraient dû le faire depuis des décennies, la barbarie made in USA va continuer dans une indifférence quasi-générale.
L’Union Européenne, qui prêche depuis des années pour l’abolition universelle, doit sérieusement réévaluer ses choix en termes d’accords commerciaux avec les états américains qui pratiquent la peine capitale afin de lutter activement contre ce monstre barbare avec des actes plutôt qu’avec de belles paroles sans conséquences.
Nous ne baisserons pas les bras et nous ne perdrons pas le moral, même si de visites au parloir en exécutions et tout au long du chemin de l’indifférence nous perdons tous un peu de nous-mêmes.
Nous devons militer de façon très claire sans emprunter de multiples chemins car il n’y en a qu’une seule raison qui justifie l’abolition : la justice des hommes au XXIe siècle ne doit pas tuer.

Photo Cour suprême : Andifeelfine[/fr][en]On September 25, 2007 the US Supreme Court accepted to review the arguments regarding the constitutionality of the lethal injection protocol as it is administered in most of the killing states in the US. Since then, the abolitionist community (particularly in Texas where the killing machine appears to never pause or think) has expressed a sigh of relief. But we are also aware that the issue raised by the case Baze v Rees in Kentucky will, in no way, help us make significant progress on the road to abolition.
To summarise the issue at stake, the question only deals with the method used to kill and not whether it is constitutional to kill a human being. The current lethal injection cocktail outlines a number of very disturbing questions.
First of all, lethal injection is administered by unqualified staff and the debate rages on in the medical community where it is ethically forbidden for any member of this profession to be an actor of the execution process. In some cases, those in charge of the execution have used lethal injection as an ultimate gesture of vengeance, submitting the person sentenced to death to additional torture.
Secondly, from a more scientific perspective, nobody can currently give an accurate assessment of the consequences of the three-drug cocktail (1. Sodium Tiopenthal, 2. Pancuronium Bromide, 3. Potassium Chloride) , let alone the combined effect of this cocktail mixed in human blood.
We could also raise the issue of conscious awareness, which does not solely affect death row prisoners: patients have suffered the same fate while undergoing surgery during which they were paralysed, therefore unable to communicate or express their suffering, but totally awake in a state of “conscious awareness”.
It appears clearly today that sodium tiopenthal is used strictly for the comfort of those witnessing the execution and not in order to “euthanise” a person. Lethal injection in the United-States still does not meet veterinarian standards. A one-dose of barbiturate would suffice to put someone to sleep, then to death, without suffering or torture.

Executions will resume in 2008

Should the Supreme Court decide that the lethal injection protocol, as it has been used until recently, is constitutional, fresh executions will be scheduled very quickly, in late June or early July. Should the Supreme Court decide to set a new standard for the lethal injection cocktail, the states will modify the execution protocol accordingly; many of them are already preparing for it, and executions will probably resume, in the best of cases, in the autumn of 2008. The only satisfaction that would result from it would be to know that those who will be executed won’t be put to death while enduring barbaric suffering.
In the first case scenario, the abolitionist community will pick up its favourite argument: lethal injection is a torture, which still won’t help abolition itself. In the second case, the cause will take three steps back as those in favour of capital punishment will argue that the execution protocol is now“humane”.
It is true that in a state like Texas, where executions are frequent (on average two to three per month), the diversity of arguments against the death penalty is a necessary tool for the educational process. The method of execution, the number of inmates exonerated from death rows, the financial cost of capital cases or the human price of a political justice which does not care for the truth: we are forced to play all those cards because the horror is a daily reality.
One must note that the American criminal justice system is mostly political as its main actors are elected. They are therefore accountable to their voters and have to campaign to raise funds for the next election. Such a justice system feeds itself on a culture of results and immediacy. It maintains a major conflict of interest with the very concept of justice and it can never be impartial. Corruption is endemic and deeply rooted.

Only one question remains: the validity of capital punishment

After having read the transcript of the oral arguments on Baze v Rees on January 7, it appears clearly that the Justices are very divided on the issue and they are not about to accept a case that would ask the only valid question: is there one method of execution that would be humane and not violate the founding principles of the American Constitution?
We all dream of such a Supreme Court, but it is not about to happen any time soon. In the meantime, many death row prisoners will die, whether at the hands of barbarians without principles and consciousness or at the hands of men who will have restored a little dignity for the dying death row prisoners.
Unless the international political community and the media get involved, as they should have done decades ago,  barbarity made in USA will go on in general indifference.
The European Union, which has been preaching for universal abolition for years, must reassess its choices when striking trade deals with killing states in America and actively fight the killing beast with acts rather than with meaningless words.
We will not give up and we will not lose hope, even though from visits on death row to executions and along the road of indifference we all lose a little bit of ourselves.
We must fight with a clear agenda, without using side issues, because there is only one reason to justify abolition: the justice of men in the 21st century cannot kill.

Supreme Court photo: Andifeelfine[/en]"

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