Livre : un guide de la peine de mort en Asie
The Next Frontier est une étude de la peine de mort en Asie. Le titre vient de la conviction des auteurs que « l’Asie est la prochaine frontière dans le débat bicentenaire sur l’exécution par l’Etat en tant que punition ».
Cette conviction se base sur le fait que 60 % de la population du monde vit en Asie et que 90 % des exécutions y ont lieu.
La méthodologie de l’ouvrage est celle d’une quantification des aspects de la peine de mort sur une échelle régionale et temporelle, bien que les données soient parfois peu sûres dans la région, lorsqu’elles ne sont pas délibérément falsifiées.
Les auteurs parviennent ainsi à donner un sens aux pratiques secrètes de la Chine, en utilisant les mots « faible », « fort » ou « plus » afin de proposer des interprétations alternatives en attendant que des chiffres deviennent accessibles.
The Next Frontier est un guide bourré de données sur la peine de mort en Asie, pour la plupart mises à jour en 2008, ce qui en fait un ouvrage de référence essentiel.
Pour qui? Évidemment, pour les universitaires concernés par le sujet. Mais son style clair et accessible le rend également utile à tous ceux qui s’intéressent à la peine de mort, notamment les fonctionnaires, les juristes, et au premier chef les militants engagés dans la lutte pour abolir la peine de mort.
Un avocat philippin membre d’une association de parents de condamnés à mort m’a dit que des personnes de niveau d’études peu élevé étaient motivées par la consultation d’ouvrages, même universitaires, sur la peine de mort. Ce livre peut s’ajouter à leur arsenal.
« Seuls les gouvernements autoritaires
procèdent fréquemment à des exécutions »
Dès le début, les auteurs affirment leur thèse selon laquelle la peine de mort « peu ou pas d’importance pour le contrôle du crime » et le nombre d’exécutions dépend du régime politique : « Seuls les gouvernements autoritaires procèdent fréquemment à des exécutions. »
La première partie du livre examine les « Problématiques et méthodes » et offre une étude générale de la portée et de la pratique de la peine capitale en Asie.
La deuxième partie se compose de « Profils nationaux » sur la peine de mort au Japon, aux Philippines, en Corée du Sud, à Taïwan et en Chine. La dernière partie tire les leçons de ces études de cas et offre des commentaires sur le rythme d’évolution et la perspective de l’abolition dans la région.
Des résumés plus courts concernant sept pays et régions autonomes d’Asie ainsi que la question des exécutions extra-judiciaire sont présentés en annexes.
La mesure la plus utilisée par les auteurs pour mesurer la pratique de la peine capitale est le taux annuel d’exécutions pour un million d’habitants dans un pays donné. Ce chiffre permet d’établir des comparaisons entre pays et dans le temps, plaçant ainsi le minuscule Singapour dans le box des accusés au même titre que la Chine, reconnu comme le premier bourreau au monde.
Un tableau central rassemble les pays rétentionnistes dans une nomenclature qui aide grandement la compréhesion. 14 pays sont classés dans quatre catégories de peine de mort: opérationnelle, exceptionnelle, nominale et symbolique.
Cette catégorisation constitue un outil inestimable pour préparer des stratégies en faveur de l’abolition et mesurer leurs progrès.
Les auteurs rejettent avec raison la fausse justification des « valeurs asiatiques ». Cependant, dans une remarque révélatrice en note de bas de page relative à l’Inde, ils concèdent avec circonspection la possibilité qu’il faille abandonner les méthodes statistiques de la sociologie pour un récit historique plus primitif.
Motivations culturelles et religieuses
Mais pour ceux qui font campagne pour l’abolition de la peine de mort,nous devons comprendre et encourager des motivations qui sont souvent de nature culturelle ou religieuse.
Les auteurs rapportent les raisons bouddhistes pour lesquelles Seiken Sugiura a refusé de signer tout arrêté d’exécution en tant que ministre de la justice du Japon, et l’influence de présidents coréens qui avaient eux-mêmes été condamnés à mort.
Les auteurs sont très optimistes quant aux futurs progrès vers l’abolition en Asie. Tandis que l’excentrique Singapour continue à porter haut la bannière d’un droit exclusif à exécuter autant de ses citoyens (et de malheureux étrangers) qu’il le juge utile, le tableau général de l’Extrême-Orient est plutôt positif.
Le nombre d’exécutions décline constamment, même en Chine. Le moratoire sud-coréen a franchi le seuil des 10 ans et le pays semble en passe de devenir un leader régional de l’abolition. Taïwan pourrait suivre, et la tendance de long terme au Japon est positive.
Taïwan et la Malaisie sont passées dans la catégorie des exécutions « symboliques ». Le Vietnam et la Chine ont déclaré leur intention d’abolir un jour la peine de mort. Le plus difficile reste d’évaluer le rythme de progresion.
The Next Frontier est un vade-mecum utile sur la route de l’abolition. On peut s’attendre à de futures éditions mises à jour qui aideront à mesurer les progrès, faire bouger la frontière et conduire à sa disparition rapide.
The Next Frontier: National Development, Political Change and the Death Penalty in Asia, par David T. Johnson and Franklin E. Zimring, Oxford University Press, 544 pp, $35.
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