Les conservateurs, nouveaux alliés de poids pour l’abolition au New Hampshire

Abolition

Publié par Thomas Hubert, le 26 février 2014

Renny Cushing, dont le père a été assassiné en 1988, est le directeur de l’association Murder Victims’ Families for Human Rights, membre de longue date de la Coalition mondiale. Aujourd’hui député dans l’assemblée de son État, il a présenté l’année dernière un texte « pour l’abolition de la peine de mort dans le New Hampshire ».

Worldcoalition.org : Quel est l’état d’avancement de votre proposition de loi ?

Nous avons d’abord eu une audience publique en janvier avec une participation remarquable : 160 témoins se sont présentés et la plupart n’ont pas pu prendre la parole. Parmi eux, on trouvait des familles de victimes de meurtres, deux anciens ministres de la justice de l’État qui soutenaient jusqu’ici la peine de mort, des responsables du maintien de l’ordre : beaucoup de gens dont la position sur ce sujet a changé.
Il y a deux semaines, la Commission de la justice pénale et des travaux publics de la Chambre a voté en faveur du texte par 14 voix contre 3. Parmi les votes pour, on retrouve le leader de la majorité démocrate, Steve Shurtleff, un ancien policier fédéral qui soutenait lui aussi la peine de mort auparavant, et la présidente de la commission, Laura Pantelakos. C’est la plus ancienne membre de la Chambre en fonction et elle a toujours voté pour les lois pro-peine de mort, mais son fils, un policier, a été tué dans le cadre de ses fonctions il y a trois ans. En s’intéressanà ce type d’affaires, elle a constaté qu’un Blanc reconnu coupable du meurtre d’un policier avait été condamné à une peine de prison à vie tandis qu’un Noir convaincu d’un crime similaire avait été condamné à mort, elle a réalisé qu’il n’y avait aucune équité raciale dans ce système. Elle a voté pour l’abolition.
La majorité des membres de la commission appartenant à chacun des deux grands partis a voté pour le texte (8 contre 1 chez les démocrates et 6 contre 2 chez les républicains). Cela reflète le soutien le plus large jamais accordé à une proposition de loi d’abolition aux États-Unis : parmi les 71 co-signataires du texte, on trouve trois parents de victimes de meurtres, un membre du Tea Party, des défenseurs du port d’armes, un ancien juge qui préside maintenant le groupe républicain à la Chambre…

Quelles sont les prochaines étapes pour ce texte ?

Le vote en plénière à la Chambre est pour l’instant prévu le 12 mars. Je reste prudent mais je suis assez confiant quant à l’obtention des voix nécessaires. Nous irons ensuite au Sénat pour le même processus : audience publique, vote à la Commission judiciaire du Sénat et vote en plénière. Plusieurs sénateurs signataires du texte siègent à la Commission judiciaire.

[Mise à jour du 14 mars 2014 : La Chambre a adopté le texte le 12 mars. La proposition de loi est transmise au Sénat.]

La Chambre des Représentants du New Hampshire est à majorité démocrate, mais les républicains dominent le Sénat. Quel travail spécifique menez-vous pour les préparer à ce vote ?

Des discussions avec les sénateurs ont lieu en ce moment. Nous essayons de comprendre leurs inquiétudes. Certains se demandent si nous allons laisser des criminels sortir de prison, et le remplacement de la peine de mort par la perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle peut répondre à cette question. L’opposition à l’abolition se logeait jusqu’ici principalement parmi les responsables du maintien de l’ordre, mais ils sont si nombreux à rejoindre nos rangs que cela change. Les témoignages de familles de victimes en faveur de l’abolition ont également un impact très fort. Tous ceux qui ont changé de position m’en ont parlé. Le coût de la peine de mort est un autre sujet de discussion, à une époque où nous avons si peu de moyens pour les services d’assistance aux victimes. Il reste environ 120 affaires de meurtres non élucidées ! Cela permet d’avoir une conversation sur ce dont les victimes de crimes ont vraiment besoin en remplacement de ces mises à mort rituelles.

Existe-t-il un mouvement populaire pour soutenir votre action ?

La Coalition du New Hampshire pour l’abolition de la peine de mort aide les citoyens à s’organiser pour prendre la parole contre la peine capitale et à contacter leurs élus. L’agenda des événements publics ne désemplit pas. Les communautés religieuses se mobilisent dans tout l’État et on sent une dynamique se créer autour de l’éducation de la population : plus les gens entendent parler de la peine de mort, moins ils la soutiennent. Les affaires d’innocence touchent particulièrement les gens.

La Coalition mondiale tient la prochaine réunion de son Comité de pilotage dans le New Hampshire en avril. Des abolitionnistes du monde entier vont se retrouver dans la capitale de l’État, Concord. Comment le mouvement abolitionniste international peut-il vous aider ?

Nous allons essayer de faire réaliser aux gens d’ici qu’il ne s’agit pas seulement de l’État du New Hampshire. Nous ne débattons pas de la construction d’un pont : c’est le vote de toute une vie, pour une politique publique historique. Le « mouvement anti-échafaud » a appelé le parlement de l’État à abolir la peine capitale pour la première fois en 1834. Nous sommes dans la dernière ligne droite. Je crois que la visite de la Coalition mondiale nous aidera en toile de fond, pour rappeler que les droits de l’Homme ne s’arrêtent pas à la frontière de notre État. Et toute personne dans le monde qui connaît quelqu’un dans le New Hampshire devrait le contacter au sujet de l’abolition !

Il semble cependant que votre campagne vise avant tout à convaincre les personnes situées du côté conservateur de l’échiquier politique. Dès lors, une pression trop forte de la part d’abolitionnistes traditionnels comme les mouvements progressistes ou les Européens pourrait-elle desservir votre cause ?

Ce débat doit être respectueux, et il faut parfois donner de l’espace aux gens pour qu’ils puissent changer d’avis. Si vous rejetez leur vision de la société, ils peuvent s’en sentir incapables. Pour nous, ce processus a d’abord consisté à écouter. Nous avons ainsi formé une alliance improbable d’opposants à la peine de mort : des catholiques anti-avortement avec des organisations de défense du droit à l’avortement, des partisans et des adversaires du droit de porter des armes, des conservateurs fiscaux qui rejettent la peine de mort en tant que politique publique inefficace qui gaspille l’argent des contribuables… Les voix conservatrices sont très importantes. Il existe ici un discours libertaire qui consiste à dire : « Nous ne faisons pas confiance à l’État pour prélever trop d’impôts ni pour nous retirer nos armes, comment pourrions-nous lui faire confiance pour tuer des gens ? »
Les avocats de la défense et les universitaires endorment les auditoires – non pas parce que ce qu’ils disent est inintéressant, mais lorsqu’un ancien ministre de la Justice qui a requis la peine de mort dans des centaines d’affaires et réclamé son extension aux législateurs change d’avis, c’est beaucoup plus parlant.
Le New Hampshire est un État partagé entre démocrates et républicains, et c’est la première fois qu’un texte d’abolition est proposé par un nombre égal d’élus des deux partis. C’était une décision consciente je crois que cela peut être reproduit ailleurs.

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