Journée de l’avocat en danger : lumières sur la Chine
Asie
Le 24 janvier 2017 avait lieu la Journée de l’avocat en danger. Organisée par plusieurs organisations d’avocats, cette initiative internationale permet, chaque année, de sensibiliser la société civile aux situations rencontrées par les avocats menacés dans un pays particulier. 2017 est dédiée à la Chine en raison des persécutions subies par les avocats engagés dans la défense des libertés de leurs concitoyens.
À Paris, un colloque s’est tenu à la Maison du Barreau.
Le mouvement des avocats défenseurs des droits de l’homme en Chine
Depuis plusieurs années, et particulièrement depuis 2015, les avocats sont soumis à des mesures de répression visant à les dissuader de s’emparer de dossiers dits « politiquement sensibles ». Malgré les risques, environ 500 d’entre eux oeuvrent à la défense des droits fondamentaux de leurs concitoyens.
2003-2013 : émergence d’un mouvement d’avocats défenseurs des droits de l’homme
C’est en 2003 que des avocats chinois décident de s’organiser et de s’opposer publiquement à l’État lorsque les droits des citoyens sont bafoués. Cette année-là, Sun Zhigang, 27 ans, est emprisonné à tort dans un centre de détention pour migrants où il meurt sous les coups de ses geôliers, comme le révèle l’enquête d’un journal local. L’affaire rencontre un vif écho dans l’opinion publique, tandis qu’un groupe d’avocats offre gratuitement ses services à la famille Sun. Un mouvement est né.
Consolidé par divers événements comme les rassemblements pacifiques en faveur d’un plus grand respect des droits de l’homme (2011), il aboutit en 2013 à la création d’un véritable réseau des avocats défenseurs des droits.
Ce mouvement utilise largement internet, notamment les réseaux sociaux (Weibo), afin de sensibiliser une audience plus vaste et interpeller les pouvoirs publics sur les réformes législatives. Toutefois, les autorités chinoises y ont recours également afin de discréditer certains avocats. Ainsi, des vidéos montrant des avocats s’auto-incriminant sont diffusées.
Obstacles et harcèlement : la répression 709
Cheung Yiu-Leung (China Human Rights Lawyers Concern Group, Hong Kong) rappelle à quel point l’avocature est soumise au pouvoir de l’État. Par exemple, les avocats travaillant sur des affaires identifiées comme « politiquement sensibles » peuvent se voir refuser le renouvellement de la licence leur permettant d’exercer leur profession.
Eva Pils, professeur au King’s College de Londres, décrit la brutalité du mouvement de répression dit « 709 », au cours duquel plus de 200 avocats, juristes et défenseurs des droits de l’homme ont été arrêtés depuis juillet 2015. La première d’entre eux fut Wang Yu, enlevée le 9 juillet 2015 et toujours emprisonnée, accusée de « subversion du pouvoir de l’État ». 19 sont toujours en détention, dont 4 en résidence surveillée dans un lieu tenu secret. Parmi les juristes ayant subi une « disparition forcée », figure Zhou Shifeng, fondateur du cabinet Fengrui.
Plusieurs de ces détenus sont privés de tout accès à leur avocat. Pression sur les familles, interdiction de sortie de territoire, c’est un réel climat de terreur qui est instauré par les autorités.
Les avocats chinois face aux politiques de la peine de mort
La soumission de l’espace judiciaire aux objectifs politiques du parti est à son comble en matière de peine de mort. Eva Pils cite Teng Biao, avocat et directeur de « China against death penalty » : « les régimes totalitaires et post-totalitaires ont besoin de la peine de mort comme ils ont besoin de leurs ennemis ». Si le nombre d’exécutions en Chine est un secret d’État, il est certain qu’elle procède à elle seule à plus d’exécutions que tous les autres pays comptabilisés ensemble.
Procédure judiciaire inique
Si tous les avocats des droits humains ayant défendu des personnes pouvant encourir la peine de mort ne sont pas favorables à l’abolition, tous s’accordent sur le fait que sa pratique concrète en Chine représente une violation des droits de l’homme. Beaucoup d’aveux sont obtenus par la torture, ce qui questionne pour le moins la véracité des informations recueillies. Il en résulte des erreurs judiciaires fréquentes.
Pointer le caractère inique de la procédure n’est pas sans risque. C’est d’ailleurs dans le cadre d’une des erreurs judiciaires les plus médiatisées, que les avocats Li Heping et Li Chunfu ont été arrêtés lors d’une petite manifestation. Ils réclamaient le droit de se rendre auprès de leurs clients, accusés de meurtre, viol et vol. Condamnés à la peine capitale en 2003, les quatre prévenus de « l’affaire Leping » ont finalement été acquittés en 2016. Mais certains de leurs avocats sont toujours derrière les barreaux. Libéré récemment, Li Chunfu souffre désormais de graves troubles mentaux. En janvier, on apprenait que Li Heping avait été torturé.
Faut-il se fier au discours du changement progressif ?
Si certains membres de gouvernements, universitaires et ONG se montrent néanmoins optimistes au vu des annonces de modernisation de la procédure judiciaire en provenance de Beijing, Marie Holzman (présidente de Solidarité Chine) et Eva Pils restent sceptiques. Toutes deux insistent sur le fait que le discours officiel de la « réduction » du nombre de condamnés est invérifiable, étant donné l’absence de chiffres sur lesquels s’appuyer.
Plus largement, et ce malgré d’encourageantes initiatives de la société civile, les intervenants prennent acte de l’orientation radicalement anti-démocratique du parti. Celle-ci rend encore plus nécessaire l’existence d’événements comme la Journée de l’avocat en danger. Richard Sédillot le rappelle : « Les avocats persécutés tiennent car ils se savent soutenus. Sans la médiatisation, certains seraient morts. »
Pour en savoir plus :
> Xie Yang, torturé à maintes reprises pendant ses 558 jours de détention
> Wang Quanzhang et Li Heping, torturés aux électrochocs, n’ont pas accès à leur avocat