La Cour suprême du Kenya déclare la peine de mort obligatoire inconstitutionnelle

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Publié par Thalia Gerzso, le 23 janvier 2018

Grâce à l’appui de Death Penalty Project, de l’ICJ (International Commission of Jurists) et de la Kenyan National Commission on Human Rights, Wilson Mwangi et Francis Karioko ont déposé une motion auprès de la Cour suprême visant à questionner la constitutionnalité de la peine de mort obligatoire pour des crimes tels que le meurtre, la trahison ou le vol avec violence. Les deux accusés soutenaient que la peine de mort obligatoire était une violation de leur droit à un procès équitable et constituait une privation arbitraire de la vie. Dans son attendu de principe, le juge de la Cour suprême, Njoki Ndungu, a estimé que la peine de mort obligatoire était « incompatible » avec la Constitution du Kenya : « La nature obligatoire des peines de mort telle qu’elle est définie à l’article 204 du Code pénal est par la présente déclarée inconstitutionnelle ».

Un pouvoir discrétionnaire plus important pour les juges kenyans

La peine de mort obligatoire est prononcée de façon automatique dès la condamnation de l’individu. En effet, ce caractère automatique se retrouve dans l’article 204 du Code pénal qui dispose que « tout individu ayant été reconnu coupable de meurtre, trahison ou vol avec violence, sera condamné à mort ». Ainsi, l’article 204 du Code pénal ne permet pas aux juges d’exercer leur jugement discrétionnaire ou de prendre en compte des circonstances atténuantes. Un tribunal, par exemple, ne pourrait pas prendre en compte les facultés mentales d’un accusé ou bien son casier judiciaire vierge : si l’accusé est reconnu coupable, il sera alors condamné à mort. A travers ce jugement, la Cour suprême a également demandé au procureur général de revoir le cas des prévenus Mwangi et Karioko ainsi que toutes les affaires similaires de meurtre et de vol avec violence.

La fin d’une incertitude jurisprudentielle

Ce n’est pas la première fois qu’un tribunal kenyan se prononce sur la légalité de la peine de mort obligatoire. En 2010, la Cour d’appel de Mombasa a déclaré que la peine de mort obligatoire violait le droit à la vie ainsi que le droit à la protection contre les traitements inhumains et arbitraires. Malgré cette décision, le Code pénal ne fut pas amendé. La Cour d’appel de Nairobi est allée encore plus loin en faisant fi du jugement de la Cour d’appel de Mombasa. Considérant que c’était au législateur de décider de l’abolition de la peine de mort obligatoire, les juges de la Cour d’appel de Nairobi ont prononcé cette sentence pour des affaires de vol en 2013. En l’abolissant définitivement, la Cour suprême met donc fin à ces hésitations jurisprudentielles.

Le déclin de la peine de mort obligatoire

La décision kenyane illustre une tendance régionale, mais aussi globale. Selon le Cornell Center on the Death Penalty Worldwide, au moins 18 pays ont mis fin à ce procédé depuis 2000. Ainsi, en 2007, la Cour suprême du Malawi a déclaré la peine de mort obligatoire inconstitutionnelle au motif qu’il s’agissait là d’une violation du droit à un procès équitable et du droit à l’accès à la justice. Deux ans plus tard, la Cour suprême de l’Ouganda a adopté la même décision, mais pour des motifs différents. Selon les juges de la plus haute instance du pays, la peine de mort obligatoire viole le droit à l’égalité et discrimine les individus éligibles à la peine de mort de ceux qui ne le sont pas. Les commentateurs internationaux espèrent que cette tendance jurisprudentielle poussera des pays comme le Botswana ou le Burkina Faso à abolir la peine de mort obligatoire, encore autorisée dans certaines circonstances.

Un autre pas vers une abolition totale de la peine de mort au Kenya ?

L’abolition de la peine de mort obligatoire peut également être vue comme une illustration de la réticence des autorités kenyanes envers la peine capitale. En effet, le Kenya est considéré comme un pays abolitionniste de fait puisqu’aucune exécution n’y a eu lieu depuis 1987. Le Kenya est aussi connu pour ces commutations massives. Afin de soulager « l’angoisse mentale, la souffrance, les traumatismes et l’anxiété » occasionnés par une longue incarcération dans les couloirs de la mort, le président Mwai Kibaki a commué en 2009 les condamnations à mort de plus de 4000 prisonniers en peine à perpétuité. En 2016, le président Kenyatta a également commué les peines de mort de 2747 prisonniers. Malgré ces signes encourageants, le Kenya n’a toujours pas signé le deuxième Protocole facultatif visant à l’abolition de la peine de mort et les juges kenyans continuent de prononcer de telles sentences. C’est pourquoi le travail des abolitionnistes reste plus important que jamais.

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