Singapour : le gouvernement menace les abolitionnistes et les défenseurs des droits de l’homme
Asie
Des réformes décevantes
Avec plus de 70 exécutions par an dans les années 90, Singapour a longtemps été l’un des pays avec le plus haut taux d’exécutions. La situation s’est cependant nettement améliorée depuis 2009 avec moins de cinq exécutions par an. À la suite de l’annonce du vice-premier ministre concernant la suspension des exécutions en 2012, les abolitionnistes et les observateurs internationaux ont même entrevu une lueur d’espoir. Les réformes de 2013 y ont toutefois mis fin.
Alors que les réformes de la peine capitale avaient pour but d’assouplir le régime de la peine de mort obligatoire pour les meurtres et les infractions liées aux stupéfiants, les juges ont continué à la prononcer alors même que des circonstances atténuantes pouvaient être retenues. Un rapport d’Amnesty international a d’ailleurs montré que la peine de mort n’était pas seulement utilisée pour les « crimes les plus sérieux », contrairement à ce qui est prescrit par le droit international. Depuis 2013, 34 individus ont été condamnés à la peine de mort obligatoire pour trafic de drogue, ces derniers n’ayant pas réussi à renverser la présomption de possession de stupéfiants qui pesait sur eux.
Le certificat d’assistance : un procédé arbitraire
Les réformes de la peine de mort de 2013 ont mis en place un dispositif inquiétant. En effet, pour que les magistrats puissent exercer leur discrétion, l’avocat général doit délivrer un « certificat d’assistance ». En d’autres termes, si le prévenu ne fournit pas d’information substantielle pouvant aider l’avocat général, le juge aura l’obligation de prononcer la peine de mort obligatoire. Selon Amnesty International, sur 51 prévenus, 34 ont été condamnés à la peine de mort obligatoire faute d’avoir donné au procureur des informations jugées utiles à l’enquête.
Un tel mécanisme est une violation du droit à un procès équitable puisqu’il permet à une partie n’étant ni juge, ni neutre, d’influencer le jugement. En délivrant ces certificats en l’absence d’un magistrat et de l’avocat de la défense, le parquet de Singapour exerce un pouvoir arbitraire allant à l’encontre de toutes garanties procédurales. De plus, ce dispositif s’applique la plupart du temps à des prévenus n’ayant pas accès aux informations dites « substantielles » du fait de leur place au sein du réseau de trafiquants. Ainsi, la probabilité d’être condamné à la peine de mort est plus importante pour ces individus et les recours en appel restent très limités.
Singapour : un État champion en matière de peine de mort
Singapour a fait montre d’un soutien sans faille à la peine capitale. Pour légitimer l’utilisation de la peine de mort, le gouvernement invoque « ses effets de dissuasion très efficaces ». « La peine de mort a dissuadé la plupart des trafiquants de drogues (…) et nous avons réussi à contrôler l’usage des drogues », a déclaré le ministre des affaires étrangères, Vivian Balakrishnan. Amnesty International a cependant démontré dans son rapport que les exécutions n’influaient pas sur le taux de criminalité.
Singapour s’est également positionné comme un ardent défenseur de la peine de mort sur la scène internationale. A l’occasion de la 6ème résolution appelant à un moratoire universel sur les exécutions, Singapour a pris la tête d’un petit groupe d’États opposés à la résolution et a signé une déclaration de dissociation. Ainsi, malgré la déclaration du ministre Shanmugam affirmant que le gouvernement était ouvert à la discussion et au débat, Singapour reste farouchement opposé à l’abolition de la peine capitale.
Des abolitionnistes en danger
Cette position se manifeste également par une hostilité à l’égard des abolitionnistes. Alors que Singapour se targue d’être un État progressif et moderne, les autorités n’ont de cesse de réprimer les opposants au régime rétentionniste. Après avoir publié un ouvrage soulignant l’aspect discriminatoire de la peine de mort à Singapour, Alan Shadrake fut condamné à 6 mois de prison et à une amende de 20 000 dollars singapouriens. Le procureur estimait que le livre « scandalisait la Cour » et que l’absence d’excuse de la part de l’auteur constituait une circonstance aggravante. « Je ne m’excuserai pas pour avoir dit la vérité et ce en quoi je crois… À Singapour, même lorsque c’est la vérité, nous ne sommes pas censés le dire », a alors répondu Alan Shadrake.
Human Rights Watch a également mis en lumière plusieurs violations du droit de réunion pacifique. En effet, les autorités de Singapour règlementent strictement le droit de réunion. La notion de « rassemblement public » englobe aussi bien la distribution de brochures que les manifestations silencieuses. Ainsi, Kirsten Han, activiste et journaliste en free-lance, fut convoquée par les autorités pour sa participation à une veillée aux chandelles pour un prisonnier malaysien exécuté 2 mois auparavant. Celle-ci a dû se rendre à un interrogatoire afin d’expliquer sa « participation illégale » à une manifestation publique. « Lorsqu’une simple veillée pacifique et silencieuse organisée pour un homme sur le point d’être pendu est considérée comme une manifestation illégale digne d’une enquête policière, il est temps de se demander si l’équilibre entre ordre public et le droit de protester et d’avoir de la compassion est juste », a déclaré Kirstin Han à ADPAN.
Après la mise en place de cet arsenal répressif, un climat de peur s’est abattu sur Singapour. Les abolitionnistes et les défenseurs des droits de l’homme rencontrent de plus en plus de difficultés dans leur travail quotidien. « Lorsque les Indonésiens sont sur le point d’exécuter un prisonnier, il nous est interdit de manifester devant l’ambassade », a déclaré l’activiste singapourienne Rachel Zeng à Human Rights Watch. La mise en examen de plusieurs activistes abolitionnistes et la récente arrestation du défenseur des droits de l’homme Jolovan Wham sont perçues comme une stratégie visant à semer la peur parmi les dissidents.
Les abolitionnistes continuent la lutte
Ce climat n’empêche pas les abolitionnistes d’agir et de réclamer l’abolition de la peine de mort dans le pays. À la suite des commentaires du ministre Shanmugam accusant les abolitionnistes de « romancer les vies des trafiquants de drogues », 6 groupes abolitionnistes ont répondu dans une déclaration commune. Pour les ONG Singapore Anti-Death Penalty Campaign ou encore We Believe in Second Chances, le ministre devrait publier les données sur la peine de mort à Singapour au lieu de se répandre en commentaires fallacieux.
Au niveau international, des organisations telles qu’Amnesty International ou Human Rights Watch ont publié à plusieurs reprises des rapports faisant état de la situation préoccupante à Singapour. Ces deux organisations ainsi que la Commission Internationale des Juristes et We Believe in Second Chances ont publié des rapports dénonçant le système pénal à l’occasion de la 24ème session de l’Examen Périodique Universel. Grâce à cette mobilisation, Singapour a reçu 42 recommandations l’exhortant à abolir la peine de mort. Ainsi, malgré la répression continuelle des autorités, le réseau des abolitionnistes reste plus actif que jamais afin d’obtenir l’abolition de la peine capitale dans le pays.
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> Singapore – Anti-Death Penalty Activist, Kirsten Han summoned over Singapore vigil for Prabagaran