Forum des ONG et CADHP : Un bilan marqué de tensions

Afrique

Publié par Jessica Corredor, le 16 novembre 2018

Les conditions de détention dans les couloirs de la mort abordées

Dans la continuité de la Journée mondiale contre la peine de mort, le thème des conditions de détention des personnes condamnées à mort en Afrique subsaharienne a été au cœur de la discussion lors d’un événement parallèle organisé par la Coalition mondiale, la FIACAT et la FIDH.

Le panel était composé de Connie Numbi (FHRI, Ouganda), Nestor Toko (Droits et paix, Cameroun) et de Jessica Corredor (Coalition mondiale contre la peine de mort). La modération a été assurée par Mabassa Fall, représentant de la FIDH auprès de l’Union Africaine. Les intervenants ont présenté la situation relative à la peine de mort dans leurs pays respectifs, tout en mettant l’accent sur les conditions de détention des personnes condamnées à mort.

La représentante de FHRI a expliqué que "l’Ouganda compte 28 infractions qui entraînent la peine de mort. C’est le plus grand nombre d’infractions passibles de la peine de mort dans la région de l’Afrique de l’Est." Cependant, l’Ouganda n’a pas exécuté de prisonniers depuis 2005 et la population dans les couloirs de la mort a considérablement diminué depuis l’arrêt Susan Kigula, qui a entraîné l’abolition de la peine de mort obligatoire.

Malgré des avancées positives et des efforts de la part de l’administration pénitenticiere ougandaise, les conditions de détention en Ouganda ne respectent pas les normes internationales. Selon Connie Numbi, « le principal problème auquel sont confrontés les personnes détenues est celui de l’attente. Une personne sans ressources peut attendre jusqu’à 10 ans avant qu’un avocat commis d’office puisse véritablement se saisir de son cas. » A l’attente s’ajoutent des questions liées à l’hygiène et aux services de santé de la prison, clairement insuffisants. Mme Numbi a précisé que « La plupart des condamnés à mort ont plus de 50 ans. Ils sont vulnérables à des maladies comme le diabète et l’hypertension artérielle. L’achat de médicaments est presque impossible et le gouvernement ne peut en fournir que dans une certaine mesure. Une détenue qui se voit dans l’obligation de porter une couche-culotte en raison des effets du diabète, souffre parce que le gouvernement n’en fournit que de temps à autre ».

Cependant, l’activiste ougandaise a souligné les efforts du gouvernement en termes d’éducation et d’activités liées à la réinsertion. De nombreuses détenues, analphabètes avant leur entrée en prison, ont pu apprendre à lire et à écrire. Certains, comme c’est le cas de Susan Kigula ou Paul Kakubi, ont reçu des bourses de la part d’organisations internationales pour étudier le droit.

Pour ce qui est du cas du Cameroun, Maitre Toko a donné les résultats préliminaires d’une enquête dans les couloirs de la mort au Cameroun menée par son organisation en partenariat avec l’association Ensemble contre la peine de mort. Le tableau dressé par Maitre Toko des 5 prisons au cœur de l’enquête est plutôt sombre : les problématiques liées à l’insalubrité sont nombreuses et, à l’instar des personnes condamnées à mort en Ouganda, les détenus reçoivent une attention médicale inadéquate.

Aux problèmes fréquents auxquels font face de nombreuses prisons sur le continent Africain, s’ajoute celui des détenus pour terrorisme, notamment à la prison de Maroua au Nord du Cameroun. Le représentant de Droits et Paix a fait part des nombreux abus du personnel pénitencier subis non seulement par les détenus, mais aussi par leurs familles. « S’agissant particulièrement des personnes condamnées à mort pour actes de terrorisme, leurs visiteurs subissent des intimidations et arnaques de toutes sortes du personnel de la prison de Maroua. Et quand bien même, les visiteurs sont détenteurs du carnet de visites, leur accès à la prison n’est accordé qu’après de longs interrogatoires et des fouilles systématiques ». Par ailleurs, les condamnés à mort pour faits de terrorisme – en majorité des étrangers – reçoivent peu de visites. Leurs familles, redoutant d’être interpellées pour complicité de terrorisme et donc de subir le même sort que leur proche condamné à mort, ne se rendent pas dans la prison.

Enfin, la représentante de la Coalition mondiale a fait part de son inquiétude vis-à-vis de la situation des femmes condamnées à mort en particulier, en raison des problématiques auxquelles sont confrontées les femmes de manière spécifique. A ce sujet, elle a invité les participants à lire le rapport publié par le Centre sur la peine de mort de l’université de Cornell et la Coalition mondiale contre la peine de mort à ce sujet.

Le public a ensuite pris la parole pour poser des questions diverses sur la situation de la peine de mort sur le continent Africain et les conditions de détention, mais aussi pour parler de la situation de la peine de mort dans leurs pays respectifs : Algérie, RDC, Liberia, Kenya Soudan et Tanzanie.

M. Mabassa Fall, représentant de la FIDH auprès de l’Union africaine, a conclu la séance en rappelant que le rôle de la société civile est d’éduquer et de sensibiliser pour accompagner les gouvernements sur la voie de l’abolition et a souligné l’importance du plaidoyer autour de l’adoption du Protocole à la Charte africaine sur l’abolition de la peine de mort par l’Union africaine.

La corruption et les failles de la justice

Comme lors de chaque session du Forum des ONG qui précède la CADHP, la peine de mort a été abordée au cours des discussions des « Groupes d’intérêt spécifique », cette fois sous la houlette de la lutte contre la corruption. Le groupe, composé de représentants d’Algérie, Togo, Cameroun, Kenya, Ouganda et Mauritanie, devait répondre à la question de l’impact de la corruption sur l’application de la peine de mort et par la suite émettre des recommandations.

Les participants ont fait état de l’impact direct de la corruption sur la peine de mort particulièrement lorsque le système judiciaire est inféodé au pouvoir exécutif. En effet, certains pouvoirs politiques peuvent instrumentaliser la justice pour réduire au silence toute voix dissidente.

Par ailleurs, la plupart des personnes passibles de la peine de mort vivent dans la pauvreté et de ce fait ne peuvent se payer les services d’un avocat compétent. En conséquence, elles sont condamnées à la peine de mort alors que l’Etat aurait dû garantir ce droit à la représentation légale par le biais de l’assistance judiciaire.

La corruption a aussi un impact négatif sur les conditions de détention notamment lorsque les budgets alloués à la prison sont détournés et que l’Etat ne parvient plus à assumer ses obligations élémentaires notamment en termes d’alimentation et de soins de santé. Dans ce sens, le groupe a émis trois recommandations principales : promouvoir les réformes législatives pour rapprocher la justice des justiciable, accroître les capacités des acteurs judiciaires et de la société civile dans le domaine de la corruption et renforcer l’indépendance du système judiciaire.

La 63e session de la CADHP se déroule sous la menace de la perte de son indépendance

Du 24 octobre au 2 Novembre a eu lieu la 63e session de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. La session s’est déroulée dans un contexte de tensions entre la Commission et les organisations de la société civile en raison de la récente décision de l’Union africaine qui restreint l’indépendance de la CADHP.

En effet, en marge de la 33ème session ordinaire de l’Union africaine tenue en Mauritanie en juin 2018, le Comité des Représentants permanents de l’Union africaine et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ont participé à une retraite conjointe où des décisions importantes ont été prises concernant le fonctionnement de la CADHP. Comme indiqué dans la décision, « le Conseil exécutif souligne que l’indépendance dont jouit la CADHP est de nature fonctionnelle et n’est pas indépendante des organes qui l’ont créée, tout en exprimant sa prudence quant à la tendance de la CADHP à agir comme organe d’appel, sapant ainsi les systèmes juridiques nationaux ». Le Conseil exécutif a également décidé que « les travaux de la CADHP devraient être alignés […] les positions communes africaines, la réforme institutionnelle de l’Union et les décisions des organes directeurs en tenant compte des vertus de la tradition historique et des valeurs de la civilisation africaine qui devraient inspirer et caractériser leur réflexion sur le concept des droits humains et populaires. »

Les organisations de la société civile présentes se sont réunies afin de lancer une campagne pour l’indépendance de la CADHP. A la suite de cette réunion, la déclaration de Banjul a été rédigée et envoyée à la CADHP. La déclaration est disponible içi.

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