Réorienter la politique antidrogue en Indonésie en vue des Objectifs de développement durable
Dans leur dernier rapport, LHB Masyarakat, Reprieve et le Département fédéral des Affaires étrangères suisse ont mis en lumière le manque de cohérence entre la campagne nationale d’éradication des drogues illicites en Indonésie et l’engagement ferme de cette dernière en faveur des Objectifs de développement durable (ODD).
En septembre 2015, les États membres des Nations Unies ont adopté l’Agenda 2030 pour le développement durable, et l’Indonésie était l’un des principaux acteurs à avoir contribué à la formulation de son cadre et à son adoption au niveau mondial. Le pays a en outre dévoilé un ambitieux programme de développement de 5 ans sur les ODD et a déployé de nombreux efforts pour améliorer la qualité de vie et moderniser ses infrastructures de santé publique et de protection sociale. Fidèle aux ODD, l’Indonésie s’est concentrée sur les personnes dites « laissées pour compte » en mettant l’accent sur le développement du bien-être des citoyen·ne·s les plus pauvres et de celles et ceux qui vivent dans des régions éloignées.
Cependant, malgré son engagement envers les ODD, l’Indonésie a recours à une stratégie de lutte contre les drogues illicites qui a entravé le développement, alimenté la pauvreté, aggravé les inégalités et causé plus de dommages aux citoyen·ne·s que les drogues qu’elle a essayé de contrôler. Une loi votée en 1976 a adopté des sanctions strictes pour les infractions liées à la drogue, y compris la peine de mort, et un cadre de réhabilitation de base dont la mise en œuvre se heurte actuellement à des difficultés importantes. L’actuel plan de développement national à long terme (RPJPN) 2020-2024 considère les drogues illicites comme une menace pour la sécurité nationale, mais a largement ignoré les conséquences socio-économiques de telles mesures punitives de la lutte contre la drogue, et n’a pas non plus réussi à associer ces mesures à des investissements dans des services sociaux et de santé sur la base d’études.
En conséquence, malgré le coût considérable de la stratégie de contrôle des drogues en Indonésie, la consommation de drogues a atteint un niveau record. Les efforts de lutte contre la drogue ont entraîné de nombreux problèmes dans le système pénal du pays, notamment le surpeuplement des prisons, la mauvaise prestation des services de santé et des programmes de réhabilitation, et le recours disproportionné de la peine de mort pour les personnes délinquantes. Le nombre de personnes condamnées à la peine de mort pour des infractions liées à la drogue a augmenté dans les années qui ont suivi l’adoption de l’Agenda 2030, ce qui va à l’encontre des objectifs des ODD, qui sont de faire respecter le droit à la vie, de réduire la violence, de protéger les libertés fondamentales et de maintenir une société pacifique et juste.
En outre, les personnes punies pour consommation de drogue ne sont pas en mesure de payer les services juridiques et sont plus susceptibles d’être privées d’accès à la justice. En 2015, sur 42 cas de peine de mort, 11 personnes accusées avaient été privées d’avocat·e dans le cadre de l’enquête policière et de la procédure judiciaire. Celles et ceux qui sont « laissé·e·s pour compte » – celles et ceux qui sont pauvres, vulnérables, en situation de handicap mental, ou victimes de discrimination en raison de leur couleur de peau – sont condamné·e·s à mort de manière disproportionnée, et souvent de manière arbitraire, et sur la base de données et d’hypothèses peu fiables qui ne sont pas étayées par des preuves.
Les ODD ne peuvent être atteints lorsque les politiques nationales favorisent l’injustice, alimentent la violence, la pauvreté et les inégalités et stigmatisent les groupes défavorisés. Les politiques de lutte contre la drogue ne doivent pas saper les ODD, mais au contraire contribuer à leur réalisation. Alors qu’il ne reste que dix ans pour réaliser l’Agenda 2030, l’Indonésie devrait saisir l’occasion de réaffirmer son engagement envers les ODD en abolissant la peine de mort et en adoptant une approche équitable, bien équilibrée et fondée sur les droits humain pour résoudre son problème de drogue omniprésent.