Le statut quo de la peine de mort en Chine et le mouvement de la société civile abolitionniste
Asie
Traduction d’un article sur la peine de mort en Chine à l’occasion des JO de Pékin 2022, publié initialement sur le site de Taiwan Alliance to End the Death Penalty en octobre 2021 pour la Journée mondiale.
Chine : Le pays avec le plus de condamnations à mort et d’exécutions
Le droit pénal chinois est sévère, avec de nombreux crimes passibles de la peine de mort. Le Code pénal de 1979 comportait 74 chefs d’accusation passibles de mort, et dans le Code pénal de 1997, qui est toujours en vigueur aujourd’hui, 68 crimes étaient passibles de peine de mort, dont 24 crimes violents et 44 crimes non violents.
Il a été révisé en 2011, la peine de mort a été maintenue, mais le nombre de crimes passibles de la peine de mort a été réduit de 13. Lors de sa révision en 2015, la peine de mort a encore été réduite de 9 chefs d’accusation, portant le nombre de crimes passibles de la peine de mort à 46 aujourd’hui, dont 24 crimes violents et 22 crimes non violents.
Bien que le nombre de crimes passibles de la peine de mort ait été réduit, cela n’a pas eu d’impact significatif sur le nombre de condamnations et d’exécutions, car la peine de mort est rarement appliquée pour certains crimes dans la pratique, comme le crime de transmettre des méthodes criminelles, le crime de voler d’anciennes reliques, d’anciens fossiles de vertébrés, etc.
La Chine est sans aucun doute le pays qui compte le plus de condamnations et d’exécutions, mais les médias officiels et les tribunaux ne rapportent ou ne publient qu’un très petit nombre de cas de condamnation à mort. Ils ne publient pas officiellement le nombre de condamnations à mort, le nombre d’exécutions, ni les condamnations à mort par province, par crime, âge, sexe, revenu, etc.
Le véritable événement clé pour la réduction du nombre de condamnations à mort et d’exécutions en Chine s’est produit en janvier 2007, lorsque la Cour populaire suprême a repris le pouvoir de révision des condamnations à mort qu’elle avait délégué pendant 27 ans. Auparavant, la procédure d’appel de la grande majorité des condamnations à mort était effectuée par les tribunaux provinciaux, et la deuxième instance et le pourvoit en cassation étaient menés par le même tribunal. Il n’y avait ni justice procédurale ni garantie de fond, et un grand nombre d’erreurs judiciaires se sont produites en conséquence.
Composition de la Cour populaire suprême pour la révision des condamnations à mort
La Cour suprême a obtenu le droit de réexaminer les condamnations à mort et des centaines de juges ont été sélectionnés dans tout le pays pour former un comité de révision de la peine de mort afin de déterminer le principe de base de « tuer moins et tuer avec précaution ».
En 2012, le Code de procédure pénale a été modifié en conséquence, stipulant que la deuxième instance des affaires de peine de mort doit être jugée par un tribunal ; les juges doivent interroger l’accusé et écouter les opinions des avocats lors de la révision de la peine de mort ; appliquer des normes de preuve plus strictes en cas de peine de mort et prendre l’initiative d’établir un système d’exclusion des preuves illégales dans les affaires de peine de mort. Ces initiatives et la révision du Code de procédure pénale ont en effet réduit dans une certaine mesure les abus de la peine de mort.
Cependant, les estimations de groupes tels qu’Amnesty International sur le nombre d’exécutions en Chine sont bien inférieures au nombre réel. Sur la base de notre expérience en tant qu’avocat en Chine et d’entretiens avec des avocats, des juges et des procureurs, nous estimons approximativement qu’au cours des plus de 20 années précédant 2007, au moins 12 000 personnes ont été exécutées chaque année. Au moins 8 000 personnes sont exécutées chaque année depuis 2007.
Selon le « Rapport mondial sur la peine de mort 2020 » publié par Amnesty International en 2021, 483 personnes ont été exécutées dans le monde en 2020, à l’exclusion de la Chine, de la Corée du Nord, de la Syrie et du Vietnam, qui maintiennent la peine de mort classée secret défense. Compte tenu de la base démographique de la Chine, on peut dire que le nombre d’exécutions en Chine représente probablement environ 90 % du total mondial.
Ces dernières années, la mise en lumière d’erreurs judiciaires, y compris l’affaire Nie Shubin, l’affaire de la top-modèle Hugjile, l’affaire Zhang Yuhuan et l’affaire Jiangxi Leping, ont attiré beaucoup d’attention. À cet égard, nous devons non seulement affirmer sa signification positive, mais aussi en avoir une compréhension claire. Ces condamnations à mort injustifiées ont toutes eu lieu avant que la Cour suprême ne regagne le droit de réexaminer toutes les condamnations à mort. En raison des plaintes et des appels continus d’avocats, d’universitaires et de journalistes, elles sont devenues publiques, favorisant ainsi de nouveaux procès et la commutation de la peine.
Dans certains cas, il y a eu de graves tortures et des preuves insuffisantes, de sorte que le tribunal à l’époque n’a pas osé prononcer la peine de mort pour exécution immédiate, mais a plutôt condamné les accusés à mort avec deux ans de sursis. Dans les cas où un doute subsiste, au lieu de déclarer l’accusé condamné à mort avec exécution immédiate, conformément à la loi, « les cas suspects bénéficient d’un sursis de deux ans », ce qui est également une pratique judiciaire aux caractéristiques chinoises. Il existe de nombreux cas de ce genre, et les condamnations à mort injustifiées qui ont été corrigées ne représentent qu’une très petite partie d’entre eux.
Le « Comité politique et juridique » qui interfère directement avec le pouvoir judiciaire
Le problème en Chine n’est pas seulement le grand nombre de condamnations à mort, le large éventail de crimes passibles de la peine de mort, la non-divulgation des données et le manque de protection des droits humains des personnes condamnées à mort. La raison fondamentale réside dans les lacunes institutionnelles et structurelles du système de justice pénale chinois. La Chine n’a pas de système judiciaire indépendant.
Les tribunaux sont sous le commandement du comité du Parti et du gouvernement. Le « Comité politique et juridique » du Parti communiste est chargé de contrôler directement les départements de la sécurité publique, les parquets, les tribunaux et les départements de l’administration judiciaire. Ils peuvent même interférer avec la décision du juge. Dans le système du « Comité politique et juridique », le chef du département de la sécurité publique occupe un rang plus élevé et a plus de pouvoir que le président du tribunal.
Par conséquent, il existe un phénomène étrange dans la justice pénale selon lequel « la police a plus son mot à dire que le juge ». Les affaires de meurtre doivent être résolues, les délais et les objectifs de résolution des affaires et d’autres politiques ont également conduit à un grand nombre de condamnations injustes, fausses et injustifiées dans le contexte du manque de responsabilité démocratique, de séparation des pouvoirs et de contrôles de la Chine.
En outre, il existe des failles dans le système de preuve, la torture institutionnelle, les restrictions sur le rôle et les droits des avocats de la défense pénale et la corruption judiciaire généralisée, etc., qui ont conduit à l’émergence continue de condamnations injustifiées, y compris de condamnations à mort, mais il est difficile de corriger ces erreurs judiciaires.
La réforme du système judiciaire chinois entamée en 2012 a peu d’impact sur les condamnations à mort et la « règle d’exclusion des preuves illégales » est difficile à mettre en œuvre dans la pratique judiciaire. En janvier 2020, Zhou Qiang, président de la Cour populaire suprême, a déclaré lors de la Conférence nationale des présidents de la Haute Cour : « Nous devons adhérer sans faille à la politique du Parti et de l’État en matière de peine de mort, et imposer résolument la peine de mort à un très petit nombre de personnes : les criminels qui ont commis des crimes graves » pour éviter la désapprobation sociale. Il existe cependant des pratiques telles que « acheter la vie avec de l’argent » et « acheter une peine avec de l’argent ». Sous la direction de cette politique de mise en avant de la peine de mort, certaines personnes que nous avons défendues qui n’auraient pas dû être condamnées à mort l’ont été.
China Against the Death Penalty
China Against the Death Penalty, fondée par le Dr Teng Biao en 2010, est la seule organisation non gouvernementale en Chine qui se concentre sur la peine de mort. Depuis sa création, China Against the Death Penalty s’est engagé à promouvoir le concept d’abolition de la peine de mort en Chine, en fournissant une aide juridique aux personnes encourant la peine de mort, en organisant des études de cas sur la peine de mort, en rédigeant des rapports d’enquête sur la peine de mort en Chine, en participant au Congrès mondial contre la peine de mort, et en devenant membre du Réseau asiatique contre la peine de mort (ADPAN).
China Against the Death Penalty a présenté les résolutions du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur la peine de mort aux avocats et citoyens chinois travaillant sur la question des droits humains, a présenté la tendance et l’expérience internationales de l’abolition de la peine de mort, et a échangé et appris des avocats de la défense pénale dans la défense efficace de cas de peine de mort.
L’affaire Leng Guoquan (Liaoning), l’affaire Leping Four Citizen (Jiangxi) et l’affaire Yang Ming (Guizhou), qui ont été suivies et représentées par le China Against the Death Penalty, ont été successivement réhabilitées. Ces affaires étaient toutes des affaires dans lesquelles des innocents les citoyens ont été condamnés à mort avec exécution immédiate ou avec deux ans de sursis. Dans l’affaire de la victime de violence domestique Li Yan qui a tué son mari (Sichuan) et du meurtre du père et du fils de Zhang Haofeng par un cambrioleur (Henan), l’accusé a vu sa condamnation à mort commuée en peine de mort avec sursis.
Les arrestations « 709 » : les avocats des droits humains sont en danger
Depuis 2013, le gouvernement chinois a commencé à renforcer le contrôle social et à réprimer la société civile. De nombreuses ONG chinoises non gouvernementales ont été interdites, leurs bureaux ont été perquisitionnés et leur personnel a été arrêté ; des avocats chinois des droits humains impliqués dans la campagne contre la peine de mort ont aussi subit un triste sort. En 2017, la mise en œuvre de la loi sur l’administration des activités nationales des ONG étrangères a eu de graves répercussions sur les ONG étrangères qui ont autrefois contribué à la construction de la société civile chinoise. La plupart d’entre elles se sont retirées de Chine ou ont progressivement réduit leurs activités en Chine. Interrogés ou convoqués par la police pour leurs commentaires en ligne, et même condamnés à la prison pour le crime d’avoir provoqué des querelles et des troubles, la société civile chinoise et les avocats des droits humains se sont retrouvés aussi bas qu’en 1989.
La peine de mort reste élevée, le système judiciaire devient de plus en plus partisan et le système judiciaire chinois progresse à grands pas. Un génocide encore plus épouvantable a eu lieu au Xinjiang, la condamnation à mort des Ouïghours et d’autres minorités ethniques pour atteinte à la sécurité nationale et des exécutions extrajudiciaires, dont le monde extérieur est encore moins conscient.
Cet environnement a rendu les activités de China Against the Death Penalty difficiles. Les séminaires et les réunions annuelles ont été surveillés, et plus tard n’ont pas du tout été autorisés. Certains avocats et défenseurs des droits humains de l’ONG ont vu leur licence d’avocat révoquée et ont été empêchés de quitter le pays. Certains défenseurs des droits humains avec qui nous travaillons depuis longtemps sont toujours derrière les barreaux. Dans ces circonstances, nous n’avions pas d’autre choix que de développer Internet pour diffuser l’idée de l’abolition de la mort, mener des échanges en ligne sur le sujet de la peine de mort et coopérer avec des discussions hors ligne à petite échelle pour continuer à promouvoir l’aide judiciaire pour les cas individuels.
Environ 108 pays à travers le monde ont complètement aboli la peine de mort et 144 pays ont aboli la peine de mort en droit ou en pratique. Le mouvement mondial pour l’abolition a obtenu des résultats remarquables. Bien qu’il reste encore un long chemin à parcourir pour réduire la peine de mort en Chine jusqu’à ce qu’elle soit abolie, en tant que pionniers du mouvement abolitionniste chinois, nous travaillerons dur sur cette route épineuse.