Renforcer le lien entre la torture et la peine de mort : 21e Journée mondiale contre la peine de mort
Journée mondiale
« Dans le monde d’aujourd’hui, il est impossible d’appliquer la peine de mort de manière légale, sans violer le droit international. »Telle est l’affirmation audacieuse et sans équivoque de Juan Méndez, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, lors d’une discussion en ligne avec des experts des Nations unies et des ancien·nes détenu·es, organisée par la Coalition mondiale le 10 octobre 2023 à l’occasion de la 21e Journée mondiale contre la peine de mort (Journée mondiale).
Depuis la Journée mondiale 2022, de plus en plus de personnes et d’institutions se sont exprimées pour reconnaitre que la peine de mort équivaut à de la torture ou à d’autres traitements cruels, inhumains et dégradants (TCID).
Sous le thème « La peine de mort : Une torture irréversible, » la Journée mondiale 2023 avait pour objectif de consolider les réflexions sur le lien entre la torture et l’application de la peine de mort. Qu’il s’agisse de mettre en lumière les évolutions juridiques ou de partager des histoires vécues dans les couloirs de la mort, les abolitionnistes du monde entier ont eu recours à diverses stratégies pour poursuivre sur la lancée amorcée en 2022.
EXPLOITER LE POUVOIR DE L’ART POUR L’ABOLITION
Le pouvoir immersif du théâtre a occupé le devant de la scène dans plusieurs initiatives de la Journée mondiale 2023. Justice Project Pakistan a mis les participant·es dans la peau de condamné·es à mort avec Caught, une « expérience théâtrale d’évasion. » Dans le même esprit, l’Union Chrétienne pour le Progrès et la Défense des droits de l’Homme a organisé une journée de théâtre éducatif et participatif à Baraka/Fizi en République démocratique du Congo (RDC).
Comme le couloir de la mort est une histoire mieux racontée par celles et ceux qui la vivent, les détenu·ees ont mis leur cœur à nu à travers leur art. Witness to Innocence et Ensemble Contre la Peine de Mort ont organisé l’exposition « C’est la vie ? Sensibiliser à la peine capitale par l’art, » une exposition publique dans les rues présentant les œuvres de condamné·es à mort devant les ambassades européennes participant à l’opération aux États-Unis. Dans une exposition puissante intitulée « J’étais prisonnier·e et tu es venu à moi, » la galerie Juniper de l’Indiana a présenté les œuvres de Yuri Kadamov, un citoyen lituanien d’origine russe condamné à mort aux États-Unis, et a exploré le « coût spirituel de la peine capitale. »
Des projections de films ont également permis aux spectateur·ices de se livrer à un examen critique de la peine de mort et de la place qu’elle occupe dans les histoires humaines. Les membres de la Coalition mondiale ont organisé des projections de films tels que « Sept hivers à Téhéran » (Kurdistan Human Rights Association-Genève, Coalition marocaine contre la peine de mort, LE HAVRE contre la peine de mort), « Lettres du couloir de la mort » (ACAT France – Groupe de Rennes), « Bergers et bouchers » (Avocats Sans Frontières France Nigeria), « Insondable » (Justice Project Pakistan), et « Il n’y a pas de mal » (Eleos Justice).
ÉDUCATION POUR L’ABOLITION
Les abolitionnistes ont utilisé différents médias pour atteindre le public et l’informer du lien entre la torture et la peine de mort. Plusieurs organisations ont diffusé des messages sur l’abolition à la radio, notamment LE HAVRE Contre la peine de mort, Amnesty International Zimbabwe, Foundation for Human Rights Initiative (Ouganda), Women Aid and Criminal Justice (Tanzanie), Union Chrétienne pour le Progrès et la Défense des droits de l’Homme (RDC), Observatoire Burundais des Prisons et International Commission of Jurists Kenya.
Les abolitionnistes ont également engagé les communautés à renforcer leur capacité à plaider en faveur de l’abolition dans leurs domaines d’expertise respectifs. Le Réseau asiatique contre la peine de mort (ADPAN) a organisé une conférence intitulée « Comment sauver une vie » et a formé des étudiant·es en droit aux procédures de clémence en Malaisie. ADPAN a également formé des membres du réseau des familles de condamné·es à mort malaisiens lors de leur première rencontre à l’occasion de la Journée mondiale. De jeunes journalistes de différents organes de presse du Zimbabwe ont bénéficié d’un atelier sur la peine de mort organisé par Veritas Zimbabwe. En RDC, les membres du réseau abolitionniste ont participé à un atelier de remise à niveau sur les questions thématiques liées à l’abolition, organisé par le Réseau des associations de défense des droits de l’homme et des militants abolitionnistes de la peine de mort (RADHOMA).
Plusieurs rapports ont également été lancés, renforçant la base de preuves pour l’abolition, y compris :
- L’énigme de l’abolition de facto : Recherche sur la peine de mort dans les pays qui n’exécutent pas (Death Penalty Research Unit, Université d’Oxford),
- En souvenir des personnes exécutées (Institute for Criminal Justice Reform),
- Le chemin semé d’embûches vers l’abolition de la peine de mort en Indonésie (KontraS),
- Drug Executions : The Politically Costless Victims of the Death Penalty in Iran (Iran Human Rights),
- Rapport annuel sur les exécutions en Iran 2022-2023 (Centre de statistiques des militants des droits de l’homme en Iran), et
- Peine de mort au Pakistan : Cartographie des données relatives à la peine capitale (Justice Project Pakistan).
RECUEILLIR LES AVIS D’EXPERT(E)S
En Tanzanie, la Tanganyika Law Society a organisé un dialogue national d’expert·es sur la peine de mort, avec la participation d’expert·es juridiques et des droits humains, dont le ministre de la Constitution et du Droit, l’honorable Dr Pindi Hazara Chana, qui s’est engagé à ce que le gouvernement s’oppose à la peine de mort.
Le réseau pour l’abolition de la peine de mort et des châtiments cruels (REPECAP) a lancé une pétition déclarant que « l’abolition de la peine de mort est une norme de jus cogens, » recueillant les signatures de juristes renommés, d’experts en droits de l’homme et d’étudiants en droit international.
Plusieurs webinaires ont été organisés par des organisations membres, permettant à divers expert·es de s’exprimer sur une plateforme mondiale, notamment « La torture de l’isolement cellulaire » avec des expert(e)s des Nations unies et des avocats par Death Penalty Focus, « Tirer parti de la convention contre la torture pour plaider en faveur de son abolition » par The Advocates for Human Rights, « La crainte d’une trop grande justice » sur le racisme et le classisme dans le système de justice pénale américain par la North Carolina Coalition for Alternatives to the Death Penalty, et « Dialogue sur le droit à la vie: Une conversation sur la réduction des risques et la guerre contre la drogue » par la Coalition Against the Death Penalty Philippines. Avec le soutien de ses membres, la Coalition mondiale a également organisé une discussion en ligne sur le lien entre la torture et la peine de mort avec des expert(e)s de l’ONU et des ancien·nes détenu·es.
MOBILISER LES CROYANTS CONTRE LA PEINE DE MORT
La Journée mondiale a également rassemblé des dirigeant·es et des congrégations de différentes confessions pour se mobiliser contre la peine de mort.
Aux États-Unis, le réseau évangélique EJUSA a lancé un appel national à la prière chrétienne pour l’abolition de la peine de mort, qui visait à « s’engager dans la prière pour devenir une nation où l’on brise les cycles de la violence. » Des activités interconfessionnelles et multiconfessionnelles, notamment des veillées, des manifestations et des conférences de presse, ont également été organisées dans tout le pays, en Géorgie, en Ohio, au Nevada, en Caroline du Sud, au Texas, en Alabama, en Lousiane, en Géorgie et en Arizona, afin d’appeler les dirigeants fédéraux et des États à s’opposer aux exécutions. Des dirigeant·es juifs se sont également prononcés contre la peine de mort lors d’une discussion en ligne organisée par Missourians Against the Death Penalty (MADP) et L’Chaim ! Juifs contre la peine de mort.
Afin de promouvoir des interprétations positives des textes religieux contre la peine de mort, l’Association pour la démocratie aux Maldives (ADM) a publié des documents de sensibilisation du public sur l’application de la peine de mort et les enseignements islamiques sur le Qisas, en mettant l’accent sur l’éducation des familles des victimes sur les avantages de ne pas choisir la peine de mort comme forme de justice.
LA LUTTE EN LIGNE
Enfin, les messages en faveur de l’abolition ont envahi les réseaix sociaux, les abolitionnistes diffusant des supports de communication utilisant différents médias et plateformes. Du 12 au 17 octobre, #NoDeathPenalty, la Journée mondiale contre la peine de mort et d’autres expressions et hashtags connexes ont atteint plus de 42 600 mentions et engagements sur différentes plateformes, dont 37 600 messages et engagements sur Twitter/X. Démontrant la portée mondiale et multilingue de la campagne, les messages de sensibilisation ont été exprimés dans différentes langues, les principales étant l’anglais (47 %), le farsi (14,7 %), le français (9,3 %) et l’arabe (5,5 %).
Pour amplifier la voix des individus, des organisations ont diffusé des vidéos de citoyen·nes exprimant leur opposition personnelle à la peine de mort, notamment la Coalition tunisienne contre la peine de mort et Transformative Justice Collective Singapore. Certaines organisations ont également diffusé les messages d’alliés en position de pouvoir, comme les vidéos d’ADPAN et de The Death Penalty Project. Profitant de l’annonce récente de l’attribution du prix Nobel de la paix à Narges Mohammadi, le Centre Abdorrahman Boroumand pour les droits de l’homme en Iran a re-partagé son message vidéo sur la manière dont la communauté internationale peut aider les Iranien·nes dans leur lutte contre la peine capitale.
Maîtrisant le langage des réseaux sociaux, les abolitionnistes ont partagé des messages de plaidoyer sur différentes plateformes. Le Centre juridique et des droits de l’homme de Tanzanie a utilisé les réseaux sociaux sociaux pour mettre en lumière les récentes évolutions de la jurisprudence africaine sur la peine de mort. Les alliés des mouvements féministes et queer, dont Women Beyond Walls, ILGA Asia et le Comité des femmes du NCRI, ont souligné le lien entre la discrimination fondée sur le genre et la peine de mort. Les pays abolitionnistes, tels que l’Australia, la Belgique, le Canada, l’Espagne et la Suisse, ont également utilisé les réseaux sociaux de leurs ambassades dans le monde entier pour réaffirmer leur position ferme contre la peine de mort.