Pourquoi la peine de mort n’est-elle pas une réponse au viol ?

Journée mondiale

Publié par Morine Chauvris, le 8 juillet 2024

Chaque 10 octobre, la Coalition mondiale contre la peine de mort et ses membres célèbrent la Journée mondiale contre la peine de mort. En 2024 et 2025, le mouvement abolitionniste s’attachera à remettre en cause l’idée reçue et largement répandue selon laquelle la peine de mort renforce la sécurité des individus et des communautés.

Dans ce contexte, nous examinerons ici les raisons pour lesquelles la peine de mort n’est pas une solution viable pour lutter contre le crime de viol.

Dans le monde entier, la peine de mort a été utilisée comme un outil pratique pour créer l’illusion que les femmes peuvent être protégées contre la violence mortelle en exécutant judiciairement les personnes qui tuent des femmes1 et a été justifiée par la notion patriarcale selon laquelle le viol est un « sort pire que la mort »2. Cette croyance découle des anciennes lois sur le viol, qui considéraient le viol comme un crime contre la propriété des hommes, plutôt que comme un acte de violence contre les femmes. La logique sous-jacente est qu’une femme violée est « détruite »3, et que, par conséquent, le crime de viol, qui « ôte la vie à une femme », devrait être puni de mort. 

Dans le monde, 31 pays appliquent la peine de mort pour viol, arguant que cette peine est essentielle à la « protection » des femmes4. En Asie du Sud, l’indignation généralisée contre les violences sexuelles a conduit les gouvernements à introduire la peine de mort et d’autres sanctions sévères pour les violeurs condamnés, au nom de la dissuasion et de la justice5. En 2020, en Inde par exemple, l’affaire Nirbhaya6 a donné lieu à des discussions sur l’exécution éventuelle des cinq condamnés, le Premier ministre Narendra Modi soulignant qu’il était « extrêmement important » de préserver la « dignité et la sécurité des femmes ». 

Toutefois, aucun des États appliquant de telles lois n’a fourni de données montrant l’efficacité et les effets dissuasifs de la peine de mort dans les affaires de viol7. Au contraire, un rapport rédigé par Eleos Justice, Monash University, Anti Death Penalty Asia Network (ADPAN) et SAME Network, intitulé A Deadly Distraction : Why the Death Penalty is Not the Answer to Rape in South Asia(Une distraction mortelle : pourquoi la peine de mort n’est pas la réponse au viol en Asie du Sud), révèle que la plupart des victimes de viol sont agressées par des personnes qu’elles connaissent et que de telles lois peuvent décourager les victimes de signaler le crime, surtout si cela peut entraîner l’exécution d’un membre de la famille. Par conséquent, la peine de mort pour viol risque de diminuer encore le taux de signalement de ce crime, qui est déjà faible8. En outre, des études montrent que les juridictions qui ont supprimé la peine de mort ont souvent des taux de criminalité inférieurs à ceux des juridictions qui l’ont maintenue9, ce qui suggère que la peine de mort n’est pas un outil efficace de prévention de la criminalité10. Au contraire, elle détourne les ressources de mesures plus efficaces qui s’attaquent aux causes profondes de la criminalité11. En effet, l’imposition et l’application de la peine de mort pour les auteur⸱ices de viol ne font que détourner l’attention des véritables causes de la violence sexuelle, notamment les préjugés systémiques fondés sur le genre qui perpétuent la violence à l’égard des femmes12 et l’identification de solutions.

En outre, de nombreuses organisations féministes et de défense des droits des femmes affirment que l’exécution des auteur·ices de viols est loin de répondre aux besoins des victimes et des survivant·es de violences sexuelles. Des expert·es comme Mickell Branham et Maiko Tagusari soulignent que les victimes ont souvent besoin d’un soutien et d’un rétablissement plutôt que d’une punition sévère de l’auteur⸱ice du viol13. Une étude réalisée par Equality Now et Dignity Alliance International (DAI)14 en 2021 a révélé que les victimes de viols apprécient une justice qui comprend des procès rapides, des condamnations certaines, de la sensibilité, de la responsabilité et des changements sociétaux, plutôt que la peine de mort. Elles cherchent à retrouver leur dignité et leur honneur dans une société qui les stigmatise et les victimise davantage15. Cela rejoint ce que Corey Rayburn a souligné, en montrant que la peine de mort dans le système juridique occidental a souvent été imposée par des législateurs masculins qui ne saisissent pas pleinement les réalités auxquelles sont confrontées les victimes de viol16 et ne comprennent donc pas leurs besoins.

Il est urgent de réfléchir à des approches centrées sur les victimes pour s’opposer à la peine de mort pour viol. Ces alternatives incluent le renforcement des protections législatives et à des avocat⸱es pour les victimes et survivant⸱es, l’amélioration de l’intégrité du système de justice pénale, et l’éducation du public sur les violences sexuelles et la formation des magistrat⸱es17. Reconnaître que les procès pénaux ne donnent pas toujours les résultats escomptés pour les victimes ou leurs familles est une étape cruciale vers l’abolition et l’abandon du recours exclusif au système de justice pénale, y compris la peine de mort, comme unique moyen de rendre la justice. 

  1. Sato, M. and Babcock, S. (eds.) Silently Silenced: State-Sanctioned Killing of Women, Eleos Justice, Monash University and Cornell Center on the Death Penalty Worldwide, (mars 2023), p.54, accessible uniquement en anglais. ↩︎
  2. Eleos Justice, Monash University, Why capital punishment for rape is a regressive step for women’s rights, (mars 2023), accessible uniquement en anglais. ↩︎
  3. Ibid↩︎
  4. Sato, M. and Babcock, S. (eds.) Silently Silenced: State-Sanctioned Killing of Women, Eleos Justice, Monash University and Cornell Center on the Death Penalty Worldwide. ↩︎
  5. Kowal, S., Walker, S., Ashraf, Z., & Sato, M. (2022). A Deadly Distraction: Why the Death Penalty is not the Answer to Rape in South Asia. Anti-Death Penalty Asia Network (ADPAN), (mai 2022), p.7, accessible uniquement en anglais ↩︎
  6. En 2012, la victime âgée de 23 ans, connue plus tard sous le nom de « Nirbhaya », a été brutalement violée dans un bus par six hommes qui l’ont agressée avec une barre de métal, lui causant de graves blessures qui ont entraîné sa mort quelques jours plus tard à l’hôpital. L’affaire a suscité un immense tollé au niveau national et a attiré l’attention de la communauté internationale, ce qui a donné lieu à de nombreuses manifestations pour réclamer des peines plus sévères pour les violeurs et de meilleures mesures de sécurité pour les femmes. Pour en savoir plus : BBC, Nirbhaya case : Four Indian men executed for 2012 Delhi bus rape and murder, (mars 2020), accessible en anglais. ↩︎
  7. Kowal, S., Walker, S., Ashraf, Z., & Sato, M. (2022). A Deadly Distraction: Why the Death Penalty is not the Answer to Rape in South Asia. Anti-Death Penalty Asia Network (ADPAN). ↩︎
  8. Ibid, p.8 ↩︎
  9. Death Penalty Information Center, States With No Death Penalty Share Lower Homicide Rates (2020), accessible en anglais. ↩︎
  10. David Weisburd, David P. Farrington & Charlotte Gill, What Works in Crime Prevention and Rehabilitation: An Assessment of Systematic Reviews, 16 Criminology & Pub. Pol’y 2 (2017). ↩︎
  11. Dieter, supra note 8. ↩︎
  12. Eleos Justice, Monash University, Why capital punishment for rape is a regressive step for women’s rights. ↩︎
  13. Nations unies, Droits de l’homme, Haut-Commissariat, La peine de mort et les victimes, (2016) ↩︎
  14. Equality Now : a just world for women and girls, Sexual Violence in South Asia : Legal and Other Barriers to justice for survivors, (avril 2021) ↩︎
  15. Ibid. ↩︎
  16. Corey Rayburn, « Better Dead than R(ap)ed? : the Patriarchal Rhetoric Driving Capital Rape Statutes« , (2004) 78 (4) St. John’s Law Review 1125 ; accessible en anglais. ↩︎
  17. Kowal, S., Walker, S., Ashraf, Z., & Sato, M. (2022). A Deadly Distraction: Why the Death Penalty is not the Answer to Rape in South Asia. Anti-Death Penalty Asia Network (ADPAN). ↩︎

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