Singapour : Les autorités doivent mettre fin aux exécutions et cesser de s’en prendre aux activistes qui s’opposent à la peine de mort

Déclaration

le 28 août 2024

Nous, les sept organisations soussignées, sommes gravement préoccupées par l’évolution de la situation à Singapour depuis le début du mois d’août 2024, qui a vu les autorités procéder à deux exécutions en violation des garanties internationales relatives à la peine de mort, ainsi que limiter le droit à la liberté d’expression du Transformative Justice Collective, une organisation non gouvernementale qui s’est inquiétée des violations des droits humains et a critiqué les processus ayant conduit aux exécutions.

Alors que l’on craint de plus en plus que d’autres personnes condamnées à mort ne courent un risque imminent, nous appelons le gouvernement de Singapour à instaurer immédiatement un moratoire sur toutes les exécutions et à cesser le harcèlement des activistes qui s’opposent à la peine de mort, ce qui constituerait une première mesure essentielle.

Les 2 et 7 août, les autorités de Singapour ont exécuté deux hommes reconnus coupables de trafic de drogue, en violation du droit international relatif aux droits humains et des normes qui limitent le recours à la peine de mort aux « crimes les plus graves », récemment interprétés comme étant des « crimes d’une extrême gravité impliquant un homicide intentionnel ». Plusieurs organes des Nations unies, dont l’Organe international de contrôle des stupéfiants, ont précisé à plusieurs reprises que les infractions liées à la drogue n’atteignaient pas ce seuil. 

Dans les deux cas, la peine de mort a été imposée en tant que peine obligatoire, ce qui signifie que le juge n’a pas pu tenir compte des circonstances particulières de l’infraction ou des antécédents de la personne condamnée, ce qui constitue également une violation du droit international et des normes internationales. Un autre aspect troublant de ces affaires est que les condamnations ont été prononcées sur la base de présomptions légales de culpabilité en vertu de la loi sur l’abus de drogues (Misuse of Drugs Act). Lorsque ces présomptions légales sont invoquées, la charge de la preuve est transférée à la personne accusée, qui doit la réfuter selon la norme juridique plus élevée de la « prépondérance des probabilités ». Les présomptions légales de culpabilité violent le droit à la présomption d’innocence – une norme impérative du droit international coutumier – et d’autres garanties d’un procès équitable en vertu du droit international des droits humains, qui stipulent que la charge de la preuve de l’accusation incombe à l’accusation. En plus de porter atteinte au droit à un procès équitable, les présomptions de culpabilité ont également eu pour effet d’abaisser le seuil de preuve nécessaire pour obtenir une condamnation dans les affaires de peine capitale. 

Comme l’a dénoncé l’ONG Transformative Justice Collective, les deux hommes avaient des appels en cours lorsque leurs exécutions ont été programmées : tous deux étaient parties à des requêtes au civil en cours et l’un d’entre eux avait une demande de révision pénale supplémentaire en cours. La sauvegarde n° 8 des Garanties des Nations unies pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort, adoptée par deux organes des Nations unies en 1984 sans vote, stipule que « [l]a peine capitale ne sera pas exécutée tant qu’il n’y aura pas eu d’appel ou d’autre procédure de recours ou d’autre procédure relative à la grâce ou à la commutation de la peine. »

Compte tenu du manque de transparence concernant l’application de la peine de mort à Singapour, on ne sait pas exactement quelles mesures procédurales les autorités ont prises avant de délivrer les mandats d’exécution dans ces deux affaires, ainsi que dans quatre autres affaires survenues plus tôt dans l’année. Dans les rares circonstances où la peine de mort peut être imposée en vertu du droit international – ce qui n’inclut pas le trafic de drogue – le système de justice pénale devrait permettre de tester de manière rigoureuse le droit de recours des individus jusqu’à la potence. 

Les circonstances dans lesquelles les autorités de Singapour ont organisé et procédé à ces exécutions violent les garanties prévues par le droit international et les normes de protection contre la privation arbitraire de la vie. Les déclarations ultérieures des autorités selon lesquelles les exécutions se sont déroulées dans le cadre d’une « procédure légale régulière » ne tiennent pas compte du fait que la législation de Singapour ne respecte pas les normes internationales en matière de droits humains, y compris les normes du droit international coutumier auxquelles Singapour est tenu de se conformer. Nous appelons les autorités à ne pas ignorer ces normes lorsqu’elles font des déclarations sur la peine de mort et à reconnaître que le respect des droits humains est un pilier corollaire de l’État de droit. En attendant l’abolition totale de la peine de mort, nous demandons au gouvernement d’instaurer immédiatement un moratoire sur les exécutions et de revoir la législation nationale pour la mettre en conformité avec le droit international en matière de droits humains. 

Un changement de cap est plus urgent que jamais, car ces dernières semaines, la Cour suprême a examiné et rejeté des requêtes déposées par plusieurs personnes condamnées à mort, les exposant potentiellement au risque d’exécution. 

Nous condamnons en outre le climat de peur et de répression que les autorités ont instauré autour de l’activisme contre la peine de mort à Singapour. Nous rejetons catégoriquement l’émission de deux directives de correction et d’une directive de correction ciblée en vertu de la loi sur la protection contre les mensonges et la manipulation en ligne (POFMA) à l’encontre des déclarations faites par l’ONG Transformative Justice Collective les 1er et 6 août 2024. Les ordonnances demandent des « corrections factuelles », qui ont été contestées par le Transformative Justice Collective. Émises par le ministre de l’Intérieur et le Bureau de la POFMA, les ordonnances de la POFMA visant les personnes qui critiquent le traitement des affaires de peine de mort à Singapour ont pour effet plus général de restreindre le droit à la liberté d’expression et le militantisme en faveur des droits humains dans le pays, et d’empêcher la tenue de débats pleinement éclairés sur l’application continue de la peine de mort. 

Lorsqu’elles cherchent à protéger les habitants et habitantes de Singapour, les autorités doivent agir en conformité avec le droit international relatif aux droits humains, notamment en ce qui concerne la protection du droit à la liberté d’expression. Les restrictions à ce droit doivent être clairement et étroitement définies par la loi et se conformer aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité à un objectif légitime, plutôt que, dans le cas de la POFMA, de devenir une arme de censure. 

Nous demandons au gouvernement de Singapour de cesser d’utiliser les ordonnances de la POFMA pour faire taire les critiques et de veiller à ce que toutes les dispositions légales visant à protéger la sécurité nationale ou qui restreignent indûment le droit à la liberté d’expression soient réexaminées afin qu’elles soient conformes au droit et aux normes internationales en matière de droits humains, afin de garantir le droit à la liberté d’expression pour tous.

Cette déclaration est cosignée par :

Amnesty International

Projet de justice sur la peine capitale

FIDH – Fédération internationale des droits humains

MADPET – Malaisiens contre la peine de mort et la torture

Parlementaires pour une action mondiale

Alliance taïwanaise contre la peine de mort

Coalition mondiale contre la peine de mort

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Singapour

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