Singapour : Les autorités doivent mettre fin à la répression des droits humains et aux exécutions illégales liées à la drogue
Déclaration
Nous, les sept organisations soussignées, sommes grandement alarmées par la détérioration de la situation des droits humains à Singapour. Résumé d’une déclaration commune publiée le 31 octobre 2024. Pour lire la déclaration complète cliquez ici.
Nous, les sept organisations soussignées, sommes grandement alarmées par la détérioration de la situation des droits humains à Singapour. Depuis le début du mois d’octobre 2024, deux nouvelles exécutions pour des infractions liées à la drogue ont eu lieu, en violation du droit international relatif aux droits humains et des normes internationales en la matière, et de nouvelles restrictions ont été imposées à l’exercice du droit à la liberté d’expression par les militants contre la peine de mort. Nous renouvelons notre appel aux autorités de Singapour pour qu’elles établissent immédiatement un moratoire sur toutes les exécutions et cessent de harceler la société civile, ce qui constituerait une première étape cruciale. Nous exhortons également la communauté internationale à intensifier la pression sur le gouvernement de Singapour, afin de garantir la protection des droits humains des personnes passibles de la peine de mort à Singapour, ainsi que de celles qui font campagne contre son application partout dans le monde.
1. L’application de la peine de mort est contraire au droit et aux normes internationales en matière de droits humains
[..] Quatre des cinq exécutions dont on sait qu’elles ont eu lieu à Singapour depuis le début de l’année concernaient des personnes condamnées pour trafic de stupéfiants. Le recours à la peine de mort pour des infractions liées à la drogue est contraire aux normes et au droit international en matière de droits humains, qui limitent son application aux « crimes les plus graves », dont l’interprétation la plus récente transmet l’idée de « crimes d’une extrême gravité impliquant un homicide intentionnel ». Plusieurs organes des Nations unies, dont l’Organe international de contrôle des stupéfiants, ont précisé à plusieurs reprises que les infractions liées à la drogue n’atteignaient pas ce seuil. Singapour est l’un des cinq pays où Amnesty International a confirmé des exécutions liées à la drogue en 2023.
En outre, les deux hommes exécutés en octobre ont été condamnés à la peine de mort obligatoire, ce qui signifie que les juges n’ont pas pu prendre en compte les circonstances particulières de l’infraction ou les antécédents de la personne condamnée, ce qui constitue également une violation du droit et des normes internationales.
Un autre aspect troublant est que la condamnation dans l’une des deux affaires a été prononcée sur la base de la présomption légale de trafic en vertu de la loi sur l’abus de drogues (Misuse of Drugs Act), fondée sur la quantité de drogues trouvée en leur possession. Lorsque ces présomptions légales sont invoquées, la charge de la preuve est transférée à la personne accusée, qui doit la réfuter selon la norme juridique plus élevée de la « prépondérance des probabilités ». Les présomptions légales de culpabilité violent le droit à la présomption d’innocence – une norme impérative du droit international coutumier – et d’autres garanties d’un procès équitable en vertu du droit international des droits humains, qui stipulent que la charge de la preuve de l’accusation incombe à l’accusation. En outre, les présomptions de culpabilité ont également eu pour effet d’abaisser le seuil des preuves nécessaires pour obtenir une condamnation dans les affaires de peine capitale.
Nos organisations sommes également très préoccupées par le fait que les exécutions ont eu lieu alors que les deux personnes étaient en procédure d’appel, en violation des garanties internationales relatives à la peine de mort. L’exécution d’Azwan, initialement prévue pour le 19 avril 2024, a été suspendue deux jours avant la date prévue, afin de permettre l’examen d’une requête judiciaire. Un deuxième avis d’exécution pour le 4 octobre a été remis à Azwan le 30 septembre, alors qu’il était partie – avec 30 autres personnes – à une requête civile déposée devant la Haute Cour le 19 septembre. […]
2. La poursuite incessante des exécutions met en évidence la nécessité urgente d’un moratoire sur l’application de la peine de mort
La détermination du gouvernement de Singapour à poursuivre les exécutions, telle qu’elle se manifeste depuis avril 2024, s’est également démontrée par d’autres événements récents, qui font froid dans le dos. Les deux exécutions qui ont eu lieu en octobre se sont caractérisées par une période de notification réduite à quatre jours, alors que les autorités pénitentiaires respectent habituellement un délai d’au moins sept jours. […]
Nous sommes d’avis que la peine de mort viole toujours le droit à la vie et qu’elle constitue l’ultime châtiment cruel, inhumain et dégradant. La procédure raccourcie ajoute de la cruauté et de l’anxiété à un processus d’exécution déjà stressant, notamment en refusant ou en limitant la possibilité pour les membres de la famille de passer du temps avec leurs proches. Elle crée également de nouvelles restrictions injustes à l’accès d’une personne dans le couloir de la mort à leur avocat pour la poursuite de la procédure judiciaire.
Par ailleurs, le projet de loi (amendement) sur l’administration de la justice, qui a été présenté au Parlement le 14 octobre 202418, vise à élargir le champ des circonstances pouvant constituer un outrage au tribunal en vertu de la loi de 2016 sur l’administration de la justice (protection) […]
3. Harcèlement du militantisme contre la peine de mort et répression des critiques
Nous condamnons avec la plus grande fermeté l’intimidation continue et le climat de peur que les autorités ont instauré autour du militantisme contre la peine de mort à Singapour et exigeons que le harcèlement des militants et militantes cesse immédiatement.
Depuis le début du mois d’octobre, le ministère de l’Intérieur a publié trois directives de correction et des directives de correction ciblées en vertu de la loi sur la protection contre les mensonges et la manipulation en ligne (POFMA). Les ordonnances POFMA ont été utilisées pour cibler les personnes qui critiquent l’application de la peine de mort à Singapour, ce qui a pour effet plus général de restreindre le droit à la liberté d’expression et le militantisme en faveur des droits humains dans le pays, et d’empêcher la tenue de débats pleinement éclairés sur l’application de la peine de mort. La première ordonnance a été émise le 5 octobre, demandant au Transformative Justice Collective (TJC, un groupe de la société civile qui s’oppose activement à la peine de mort à Singapour), et plus précisément à l’une de ses militantes, Kokila Annamalai, de publier des « corrections factuelles » sur leurs comptes de réseaux sociaux et de publier la réponse du gouvernement aux critiques concernant la gestion de l’exécution d’Azwan – une réponse qui ne faisait aucune référence aux restrictions à l’application de la peine de mort énoncées dans le droit et les normes internationaux. Tout en publiant la correction, le TJC a rejeté l’allégation du gouvernement selon laquelle il avait « répandu des faussetés » et a noté que les ordonnances de la POFMA étaient « une arme politique utilisée pour écraser la dissidence ». […]
En outre, le 3 octobre, l’Infocomm Media Development Authority (IMDA), agissant en consultation avec le ministère de l’Intérieur, a refusé d’accorder au Transformative Justice Collective la licence nécessaire pour présenter une exposition multimédia à l’occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort (10 octobre). Selon les membres du TJC, les supports de l’exposition visaient à attirer l’attention sur l’histoire du régime de la peine de mort à Singapour et sur les voix des personnes prisonnières des couloirs de la mort et de leurs familles, mais l’IMDA a estimé qu’ils « donnaient une image trompeuse de l’application de la peine de mort à Singapour » et qu’ils portaient atteinte à « l’intégrité des institutions publiques et de l’administration de la justice ».
Nous soutenons les militants du TJC et réitérons notre demande aux autorités de Singapour de mettre fin à la répression du militantisme en faveur des droits humains et de garantir la protection du droit à la liberté d’expression pour toutes et tous. Lorsqu’elles cherchent à protéger les habitants de Singapour, les autorités doivent agir conformément au droit international relatif aux droits humains, notamment en ce qui concerne la protection du droit à la liberté d’expression. Les restrictions à ce droit doivent être clairement et étroitement définies par la loi et se conformer aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité à un objectif légitime, plutôt que, dans le cas de la POFMA et du refus de la licence pour l’exposition, de devenir une arme de censure.
4. Recommandations
Alors qu’au cours des dernières semaines, la Cour suprême a examiné et rejeté des requêtes déposées par plusieurs personnes condamnées à mort, les exposant potentiellement au risque d’exécution, la sensibilisation aux questions de droits humains liées à l’application de la peine de mort à Singapour est plus critique que jamais.
Nous demandons au gouvernement de Singapour de prendre immédiatement les mesures suivantes
– Instaurer un moratoire sur toutes les exécutions, commuer les condamnations à mort et revoir la législation nationale pour la mettre en conformité avec le droit international relatif aux droits humains, en attendant l’abolition totale de la peine de mort.
– Mettre fin au harcèlement des militantes et militants anti-peine de mort et des représentantes et représentants de la société civile.
– Cesser d’utiliser les ordonnances de la POFMA pour faire taire les critiques et veiller à ce que toute disposition légale visant à protéger la sécurité nationale ou à restreindre indûment le droit à la liberté d’expression soit réexaminée afin de la rendre conforme au droit et aux normes internationales en matière de droits humains, de manière à garantir le droit à la liberté d’expression pour toutes et tous.
– Revoir et modifier toutes les lois et réglementations, et mettre fin à toutes les politiques et mesures connexes, qui violent les droits humains, en particulier les droits à la vie, à un procès équitable, à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association, et veiller à ce que toutes les dispositions légales visant à protéger la sécurité nationale soient clairement et étroitement définies et conformes au droit et aux normes internationales en matière de droits humains.
Nous appelons la communauté internationale à prendre immédiatement des mesures unifiées et plus fortes pour demander d’urgence :
– L’arrêt de toutes les exécutions à Singapour, comme première étape critique vers l’abolition de la peine de mort.
– Le respect des droits humains de toutes et tous, y compris le droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.
– La fin du harcèlement des militantes et militants contre la peine de mort et des représentantes et représentants de la société civile.
– L’abrogation de la législation répressive et des dispositions de la législation nationale qui ne sont pas pleinement conformes au droit et aux normes internationales en matière de droits humains.
Cette déclaration est cosignée par :
Amnesty International
Capital Punishment Justice Project
Coalition mondiale contre la peine de mort
ECPM – Ensemble contre la peine de mort
Harm Reduction International
MADPET– Malaysians Against Death Penalty and Torture
Taiwan Alliance to End the Death Penalty