Plaidoyer en faveur de l’abolition en Tunisie: 85e session de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
Plaidoyer
Publié par la Coalition tunisienne contre la peine de mort, ECPM et la Coalition mondiale contre la peine de mort, le 28 novembre 2025
Dans le cadre de la dernière session publique de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), tenue à Banjul (Gambie) en octobre 2025, la République tunisienne a présenté son premier rapport périodique à la CADHP depuis 2006. La société civile abolitionniste avait soumis un rapport alternatif et était présente pour porter ses recommandations relatives à la question de la peine de mort.
La peine de mort en Tunisie
La Tunisie applique un moratoire de facto depuis 1991, mais des condamnations à mort sont prononcées chaque année. Entre 2015 et 2025, au moins 268 condamnations à mort ont été prononcées par les tribunaux tunisiens et à la fin de 2024, au moins 166 personnes, dont 8 femmes, avaient été condamnées à mort. Il est inquiétant de constater que depuis son élection en 2019, le président Kaïs Saïed a publiquement exprimé à plusieurs reprises sa volonté de rétablir les exécutions.
Le système législatif tunisien comprend 58 articles prévoyant l’application de la peine capitale, répartis entre le Code pénal, le code de justice militaire et la loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015 relative à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent. Plus de la moitié de ces dispositions prévoient la peine de mort pour des actes qui ne relèvent pas de la catégorie des crimes les plus graves au sens du droit international et régional, et notamment au sens de l’Observation générale n° 3 sur la Charte africaine, qui fournit une interprétation détaillée de l’article 4 sur le droit à la vie.
La question de la peine de mort s’inscrit dans le contexte d’un recul général en matière de protection de l’espace civique et de respect des droits humains. Le 7 mars 2025, le ministère tunisien des Affaires étrangères, de l’Immigration et des Tunisiens de l’étranger a confirmé que la Tunisie avait retiré sa déclaration acceptant la compétence de la Cour africaine pour recevoir les plaintes émanant de particuliers et d’ONG ayant le statut d’observateur auprès de la CADHP. Le désengagement croissant vis-à-vis des mécanismes internationaux et régionaux de protection des droits humains continue d’alimenter les inquiétudes quant à la situation générale des droits humains en Tunisie, et à la manière dont la peine de mort pourrait être instrumentalisée dans ce contexte politique.
Plaidoyer pendant la session
La République tunisienne, signataire et partie à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Charte africaine), est tenue de présenter tous les deux ans un rapport à la CADHP. L’article 62 de la Charte africaine stipule expressément que « [c]haque État partie s’engage à présenter tous les deux ans (…) un rapport sur les mesures d’ordre législatif ou autre, prises en vue de donner effet aux droits et libertés reconnus et garantis par la présente Charte ». Si la Tunisie est loin d’être le seul pays, parmi les 54 signataires de la Charte africaine, à être en retard dans la présentation de ses rapports, combler un retard de près de 20 ans reste une tâche colossale.
De nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) tunisiennes étaient présentes lors de cette session, notamment la Coalition nationale tunisienne contre la peine de mort et Ensemble contre la peine de mort (ECPM), toutes deux membres de la Coalition mondiale contre la peine de mort.
La CTCPM et ECPM ont échangé avec plusieurs commissaires pour porter les recommandations formulées dans leur rapport alternatif. Dans le contexte actuel, les deux organisations ont également insisté sur la nécessité du rétablissement de certaines institutions telles que l’Instance nationale des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le Conseil supérieur de la magistrature, ainsi que sur le respect du principe de séparation des pouvoirs entre l’Exécutif, le Judiciaire et le Législatif. Elles ont également souligné l’importance de respecter le droit d’association et de permettre aux organisations de la société civile tunisienne de continuer leur travail de promotion des droits humains.



