Les droits des enfants dont les parents sont condamnés à mort – Le cas de la Tunisie

Plaidoyer

Publié par Lisa Borden, volunteer with The Advocates for Human Rights, le 30 octobre 2019

Les droits des enfants dont les parents sont condamnés à mort – Le cas de la Tunisie

Avocate de longue date aux États-Unis, j’ai consacré une grande partie de ma carrière professionnelle à travailler sur des affaires liées à la justice pénale, notamment sur les conditions de détention et la peine de mort. Mon travail sur la peine capitale m’a amené à prendre contact avec The Advocates for Human Rights il y a plusieurs années, lorsque j’ai eu l’occasion de rédiger un rapport pour le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur la peine de mort aux États-Unis. C’est ainsi que je me suis engagée dans une relation de volontariat dans laquelle j’ai pu participer au travail de The Advocates auprès des Nations Unies sur l’abolition de la peine capitale et d’autres problèmes. C’est pour cela que j’étudie aujourd’hui le droit international humanitaire et les droits humains à l’Académie de Genève en Suisse, et j’espère pouvoir continuer à traiter les questions relatives à la justice pénale en appliquant différentes approches lorsque j’aurai obtenu mon diplôme.

Je poursuis en parallèle mon volontariat pour The Advocates à Genève. J’ai récemment eu l’occasion de participer à une réunion de pré-session avec le Comité des droits de l’enfant de l’ONU sur les avancées réalisées par la Tunisie dans la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant. Les réunions de pré-session offrent aux organisations non gouvernementales (ONG) et aux autres parties prenantes intéressées, la possibilité de transmettre des informations au Comité dans un cadre confidentiel. Je me suis associée avec Bronwyn Dudley, de la Coalition mondiale contre la peine de mort, et Choukri Latif, de la Coalition tunisienne contre la peine de mort (ONG tunisienne contre la peine de mort), pour interpeler le comité sur l’échec de la Tunisie à défendre les droits des enfants dont les parents ont été condamnés à mort ou exécutés. The Advocates, la Coalition tunisienne et la Coalition mondiale ont souligné ces problèmes dans un récent rapport au Comité.

Les enfants: victimes invisibles de la peine de mort

Cette année, la Journée mondiale contre la peine de mort, le 10 octobre 2019, a mis l’accent sur la manière dont des enfants du monde entier sont touchés par la peine de mort. La réunion avec le Comité des droits de l’enfant était donc l’occasion de se pencher sur une situation concrète de cette préoccupation globale. La Coalition mondiale s’efforce de sensibiliser l’opinion publique sur le traumatisme psychologique grave infligé aux enfants dont les parents sont condamnés à mort, à toutes les étapes du processus, de l’arrestation à l’emprisonnement et l’exécution.

Punir les enfants tunisiens pour les fautes de leurs parents viole la Convention

Comme dans de nombreux pays rétentionnistes, les condamnés à mort en Tunisie passent généralement de nombreuses années en prison. En effet, la Tunisie observe un moratoire sur la peine de mort depuis 1991 et les parents condamnés à la peine capitale peuvent de ce fait passer des décennies en prison. Comme Choukri Latif l’a expliqué dans son discours d’ouverture au Comité, la Tunisie ne protège pas le droit des enfants de maintenir une étroite relation avec leurs parents pendant leur incarcération. Beaucoup de ces parents sont incarcérés loin de leur famille et les coûts de transport prohibitifs empêchent les enfants d’exercer leur droit de visite. Même pour ceux qui le peuvent, les visites sont limitées à 30 minutes et, pour les plus jeunes, le contact physique direct avec le parent n’est pas autorisé. Les enfants de parents condamnés à mort et exécutés ne bénéficient pas des soins médicaux et psychiatriques indispensables pour faire face à ce traumatisme. En outre, une nouvelle loi antiterroriste a élargi l’application potentielle de la peine de mort en Tunisie, y compris aux enfants eux-mêmes, et il est très difficile de savoir quels sont les comportements concernés.

La Tunisie doit réformer ses lois et ses pratiques pour respecter les droits des enfants

Plusieurs membres du Comité ont posé des questions. Les questions du Comité m’ont donné l’occasion de donner quelques précisions sur les lacunes de la législation tunisienne et sur la manière dont les autorités tunisiennes doivent remédier à ces lacunes pour que la Tunisie se conforme à ses obligations en matière de droits de l’homme. Nous avons également fourni plus d’informations sur la justification invoquée par le gouvernement pour justifier la loi antiterroriste et les alternatives possibles.

Partout dans le monde, les lois antiterroristes mettent généralement en avant le prétendu effet de dissuasion de la peine de mort. Pourtant, des recherches révèlent que rien ne permet de conclure que la peine de mort décourage le terrorisme. En 2016, les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur les exécutions sommaires, la torture et les droits de l’homme dans la lutte antiterroriste ont respectivement mis en garde contre le recours à la peine de mort en tant qu’instrument de dissuasion du terrorisme, en déclarant :

« Il n’y a pas de preuves crédibles que la peine de mort puisse contribuer plus que toute autre peine à l’éradication du terrorisme. La peine capitale est également un moyen de dissuasion inefficace pour les terroristes ; il est en revanche fort probable que des exécutions en fassent des martyrs, dont la mémoire contribuera à rallier davantage de partisans à leur cause. »

En d’autres termes, la peine de mort, si elle a un impact quelconque, peut constituer une incitation pour les terroristes.

La Tunisie crée des obstacles inutiles aux droits des enfants

Concernant la nécessité de continuer à réviser la législation, j’ai cité l’exemple des lois ayant un impact sur les enfants de parents condamnés à mort, pour montrer que les lois tunisiennes ne sont pas encore compatibles avec la Convention et doivent d’être réformées. La Constitution tunisienne de 2014 reconnaît expressément les droits des enfants et l’obligation du gouvernement de défendre leurs intérêts. La loi relative au règlement spécial des prisons stipule expressément que les enfants ont le droit de rendre visite à leurs parents détenus. Mais ces lois sont vagues et n’indiquent pas aux autorités tunisiennes comment rendre compte des droits et obligations reconnus. En droit comme en pratique, la Tunisie continue de violer les droits des enfants par des ingérences arbitraires (limitation du nombre de visites à 30 minutes et absence de contact physique) et par le fait que le gouvernement n’a pris aucune mesure pour aider les familles à surmonter les obstacles financiers liés au transport vers des établissements pénitentiaires très éloignés. Ce dernier manquement constitue de facto un déni du droit de visite, mais la Tunisie ne fait rien pour prendre en compte ce droit lors de la décision de l’endroit où un parent sera incarcéré. En fait, les autorités tunisiennes placent souvent délibérément les parents loin de leur famille, considérant que cet isolement fait partie de la sanction des parents. Une telle punition viole manifestement les droits de l’enfant, tout comme le fait de refuser expressément une visite.

Grâce aux recherches approfondies réalisées par Bronwyn Dudley avant la réunion, j’ai également pu rappeler au Comité deux de ses anciennes recommandations qui étayaient notre position selon laquelle la Tunisie a l’obligation positive de tenir compte des intérêts des enfants lors des procédures pénales concernant leurs parents.

Pour en savoir à propos du travail sur la peine de mort de The Advocates, cliquez ici.

Lien vers l’article original en anglais

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