“Abolir la peine de mort au Liban et dans le reste du monde”
MENA
Plus de 75 personnes ont assisté à la conférence “Abolir la peine de mort au Liban et dans le reste du monde: perspectives légales et sociales”, organisée à l’Institut Supérieur de La Sagesse pour l’Enseignement du Droit (ISSED) de Beyrouth le 17 octobre.
Trente à 40 étudiants et 20 professeurs de l’Université La Sagesse et d’autres universités étaient présents, ainsi que l’archevêque de Beyrouth et plusieurs juges importants. Le panel, présidé par le Doyen de la faculté de Droit, rassemblait également Mme Ogarite Younan, abolitionniste libanaise, et Speedy Rice, abolitionniste américain.
Le Dr Maroun Boustany, Doyen de la Faculté de Droit, a rappelé que le nombre d’opposants à la peine de mort était en augmentation dans le monde. Il a dénoncé une peine cruelle, irréversible, irrationnelle et non dissuasive, qui autorise la communauté à tuer un individu.
Une résolution à l’ONU
Mr Speedy Rice s’est exprimé sur la campagne internationale en faveur du vote, par l’Assemblée Générale des Nations unies, d’une résolution instaurant un moratoire international sur la peine de mort. Il considère également la peine capitale comme une violation des droits humains, et a présenté son expérience de lutte contre la peine de mort aux États-Unis. Il a également souligné les cas du Cambodge et du Rwanda, qui ont aboli la peine de mort pour tous les crimes malgré les terribles atrocités qui ont eu lieu dans ces pays.
Il y une vingtaine d’années, seuls 16 pays avaient aboli la peine de mort ; ce chiffre s’élève aujourd’hui à 60.
L’héritage de l’affaire Tabarja
Mme Ogarit Younan s’est, quant à elle, centrée sur la Campagne nationale pour abolir la peine de mort au Liban, initiée en 1998, suite à l’affaire Tabarja. Des manifestations ont été organisées en soutien aux familles de victimes, et contre la peine de mort.
La Coalition regroupait alors 60 organisations, partis et mouvements. Elle a eu pour résultat l’amendement de l’article 302 du Code pénal qui imposait l’application de la peine de mort sans circonstances atténuantes possibles : le tueur devait être tué.
Le juge Hatem Madi, qui présidait ce jugement, était présent à la conférence et partagea avec l’audience le "poids" imposé sur sa conscience par cette affaire.
Il reconnut que l’article 302 lui supprimait la liberté d’envisager des circonstances atténuantes ; la pression politique sur ce cas était également palpable, de même que la volonté présidentielle de voir prononcée une condamnation à mort. Il déclara qu’il s’agissait de sa dernière condamnation à mort, après laquelle, en association avec un collègue, l’avocat Rustom Awad, il signa une pétition contre la peine de mort.
L’article 302 a été amendé et toutes les condamnations à mort ont été automatiquement transférées à la cour d’appel.
Certains criminels sont-ils irrécupérables?
Un professeur de droit enseignant à l’Académie militaire, Isaam Mubarak, a ensuite pris la parole, témoignant avoir assisté à l’enterrement de 11 de ses étudiants (soldats, officiers), certains d’entre eux ayant été décapités, les globes oculaires arrachés, etc. (il a procédé à une description précise d’actes de violence terribles)à la suite des évènements de Nahr El Bared.
Il doutait que ces « personnes » puissent jamais être réformées, et refusait de les imaginer incarcérés dans de « confortables cellules de détention ». Son intervention fut chaudement applaudie par les étudiants et un grand nombre d’auditeurs.
« Aucune personne pieuse ne peut accepter de tuer »
Mme Younan est alors intervenue pour déclarer que rien ne peut justifier l’usage de la violence pour punir les criminels – et ainsi perpétuer leur propre violence.
Elle a ajouté que toute personne pieuse ou dévote ne pouvait accepter de tuer un être humain.
Elle a révélé que la Coalition travaillait sur une étude comparative de toutes les condamnations à mort au Liban depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui: 52 personnes ont été exécutées et 42 autres attendent leur exécution à Roumieh. Elle a également informé l’audience qu’une Alliance arabe contre la peine de mort avait finalement été créée au Maroc.
Une question de volonté politique
L’ancien ministre français de la justice, Me Robert Badinter, a partagé, à l’occasion d’une intervention téléphonique, l’expérience de la France dans l’abolition de la peine de mort.
Selon lui, l’abolition n’est pas une question d’opinion publique, dont une majorité soutient la peine capitale, mais bien plutôt une question de volonté politique.
Le Ministre italien de la Justice s’est exprimé brièvement sur la résolution qui doit être présentée à l’Assemblée Générale des Nations unies pour demander un moratoire sur la peine de mort.
Le Juge Hatem Madi a repris la parole pour poser deux questions aux abolitionnistes:
Que diriez-vous aux parents des victimes ?
Que pensez-vous d’un activiste opposé à la peine de mort pour des raisons politiques?
Un prêtre s’est enfin exprimé pour expliquer que Jésus avait été condamné à mort pour ses paroles d’amour. Il a déclaré aussi que plutôt que d’abolir la peine de mort immédiatement, on pourrait développer les vertus des êtres humains, et alors s’attaquer aux causes de la haine.