Teng Biao: les JO, “une occasion de faire pression sur les autorités chinoises”

Asie

le 13 février 2008

Lors d’une visite à Paris en octobre dernier, Teng Biao nous a raconté son expérience d’abolitionniste en Chine. Alors que la Coalition mondiale s’apprête, d’ici la fin du mois, à lancer une campagne contre la peine de mort dans le pays hôte des Jeux olympiques, nous publions cette interview en accord avec Teng Biao, et malgré ses difficultés actuelles : « Je ne peux abandonner mon droit à m’exprimer », affirme-t-il.
 
Comment en êtes-vous venu à militer contre la peine de mort ?
En 2003, alors que j’exerçais à temps partiel dans un cabinet d’avocats, j’ai travaillé sur le cas célèbre d’une personne décédée dans un centre de détention à Guandong. Par la suite, des associations et des particuliers m’ont sollicité pour une aide juridique et je suis progressivement devenu un défenseur des droits de l’homme.
Je suis devenu abolitionniste juste après l’obtention de mon diplôme en 2002. En Chine, la plupart des gens sont opposés à l’abolition. En fait, beaucoup souhaiteraient voir augmenter le recours à la peine capitale. Dans le milieu juridique, en revanche, de plus en plus de chercheurs approuvent l’idée d’abolir la peine de mort progressivement. Mais à mon sens, elle devrait être abolie en une seule fois, sans conditions.
 
Comment avez-vous forgé cette opinion ?
J’ai lu des livres sur la peine capitale dans la théorie criminelle, et été impliqué dans des procès qui se sont achevés par des condamnations à mort alors que mes clients s’avéraient être innocents. Dans certains cas, les condamnés étaient exécutés, puis reconnus innocents par la suite.
J’ai appris qu’il y avait environ 400 exécutions par an à l’étranger, et environ 8 000 en Chine. C’est terrible !
 
Comment luttez-vous contre la peine de mort ?
Je rédige des articles sur des sites internet et des journaux en chinois publiés à l’étranger, j’accorde des interviews aux médias internationaux et je défends des accusés passibles de la peine de mort.  
Il n’est pas facile d’exercer en tant qu’avocat de la défense en Chine. Il n’y a pas d’indépendance de la justice. Dans les cas les plus graves, le juge n’est pas libre de prononcer la sentence : il doit obéir aux ordres des cours supérieures ou des dirigeants du Parti communiste. 
Dans certains cas, nous trouvons des preuves de l’innocence de l’accusé. Par exemple, quatre prévenus étaient accusés d’un crime commis dans la ville de Le Ping, dans la province de Jiang Xi, en 2001. Ils n’avaient aucun lien avec le crime et deux d’entre eux ne se trouvaient même pas dans la ville au moment des faits. Le procureur n’avait aucune preuve à l’exception d’un témoignage oral obtenu sous la torture.
J’ai écrit des articles sur des sites internet, formé un groupe d’avocats, envoyé un rapport à la Cour suprême et organisé une conférence à Beijing en 2007 pour présenter cette affaire. D’autres cas similaires ont été relevés dans les autres provinces du pays.
La plupart des avocats impliqués dans de tels procès sont des défenseurs des droits de l’homme : ils défendent des journalistes, des écrivains, etc. Mais beaucoup n’ont pas d’opinion sur la peine de mort. On ne leur a jamais demandé si elle devrait être abolie.
 
Ce que vous dites ou écrivez a-t-il un impact en Chine ?

Parfois, les articles que j’ai rédigés sont publiés par des médias ou des sites internet officiels, et accessibles aux citoyens chinois.
En Chine, vous pouvez évoquer la peine de mort en théorie. Toutes les opinions sur la peine de mort sont admises, mais à partir du moment où vous faites le lien avec la situation des droits de l’homme dans le pays, cela devient un sujet sensible. Je peux affirmer que je suis opposé à la peine de mort ; je peux soutenir que je veux la voir abolie immédiatement. Mais je ne peux pas déclarer qu’il y a plus de 8 000 exécutions par an en Chine; je ne peux pas avancer que les organes des détenus exécutés ont été prélevés ou vendus ; je ne peux pas proclamer que les Jeux olympiques devraient être boycottés à cause de la situation de la peine de mort en Chine.
Je peux affirmer des choses que les autres ne peuvent pas exprimer parce que je suis un peu célèbre, et parce que je suis professeur dans une université publique, c’est-à-dire que je fais partie du système socialiste. Si j’étais licencié de l’université, cela pourrait devenir risqué.
 
Avez-vous déjà rencontré des problèmes dans le passé ?
En 2006, la police m’a empêché d’accepter une invitation à Genève. Elle m’a également privé deux fois de donner un cours à Yale, mais l’université m’a invité une troisième fois et j’ai finalement été autorisé à m’y rendre. Enfin, je n’ai pas pu assister à une réunion à Hong Kong en 2007.
Les pressions de la communauté internationale sont très utiles, et parfois efficaces. Sans pression internationale, la mobilisation en faveur des droits de l’homme serait plus difficile en Chine.
 
Quels changements peut-on espérer sur le plan de la peine de mort en Chine dans un futur proche ?
Je pense que la plupart des intellectuels accepteront l’abolition de la peine de mort, et que nous serons capables de nous exprimer à travers des supports d’éducation, des articles et des livres. Certains érudits peuvent avoir un impact sur la législation, car ils donnent leur opinion sur les projets de loi qui doivent être discutés par l’Assemblée Nationale du Peuple.
Les Jeux olympiques représentent une occasion de faire pression sur les autorités chinoises. La résolution en faveur d’un moratoire universel aura un impact sur l’opinion des chinois quant à la peine de mort. Je pense également que le nombre d’exécutions peut diminuer.
 
Depuis le 1er janvier 2007, la Cour suprême chinoise doit réétudier chaque condamnation à mort. Cela a-t-il des répercussions sur le nombre d’exécutions ?  
Certains experts pensent qu’elles sont en diminution mais cette information est classée secret d’État et nous ne pouvons pas en être sûrs. Une pression grandissante s’exerce sur la Cour suprême pour qu’elle publie les chiffres des exécutions. Le président de la Cour suprême a ouvertement exprimé l’idée que la peine de mort devait être prise au sérieux, et que pas une seule condamnation capitale ne devait laisser planer ne serait-ce que l’ombre d’un doute.
Certains érudits et des officiels pensent que la peine capitale devrait être abolie pour certains crimes non violents comme la corruption, mais assez curieusement l’opinion publique s’y oppose,  considérant que cela protégerait des officiels déjà puisants.
 
Les citoyens chinois discutent-ils souvent de la peine de mort ?
Pour le moment, la plupart ne reçoivent, sur le sujet, que l’information contrôlée par le gouvernement. Mais lorsqu’ils pourront en parler librement, leur opinion changera. De plus en plus de gens ont accès à Internet, qui devient plus difficile à contrôler. Cela conduira au changement.
Par ailleurs, le nombre de Chrétiens augmente rapidement en Chine, aussi bien dans les églises officielles que clandestines. Ceci aussi pourrait représenter un élément positif contre la peine de mort.[/fr][en]On a visit to Paris last October, Teng Biao told us about his experience as an abolitionist in China. As the World Coalition is set to launch a campaign later this month against the death penalty in the host country of the Olympics, we publish this interview in agreement with Teng Biao despite his current difficulties: "I cannot give up my rights to express myself", he said.

How did you become an anti-death penalty advocate?
In 2003, as I worked part time at a law firm, I got involved in the famous case of a person who died in a detention centre in Guandong. Organisations and individuals then asked me for legal aid and I gradually became a human rights lawyer.
I became an abolitionist just after I graduated in 2002. In China, most people oppose abolition. In fact, many want more death penalty. In the legal field, however, more and more scholars agree to abolish the death penalty step by step. But my opinion is that it should be abolished at once, without condition.

How did you form this opinion?
I read books about criminal theory and the death penalty, and got involved in capital cases where I found my clients to be innocent. There were cases where prisoners were executed and found innocent afterwards.
I found out that there are around 400 executions per year outside China, and about 8,000 in China. This is terrible.

How do you take action against the death penalty?
I write articles on websites and Chinese-language overseas journals, I accept interviews for the international media and I am a defence lawyer in death penalty cases.
It is not easy to be a defence lawyer in China. There is no independence of the judiciary. In serious cases, the judge is not free to pronounce the sentence and must obey orders from higher courts or Communist Party leaders.
In some cases, we find evidence that the accused is innocent. For example, four defendants were accused of a crime committed in Le Ping City, Jiang Xi province, in 2001. They had no connection with the crime and two of them were not even in the city. The prosecution had no evidence except oral testimony obtained under torture.
I wrote articles on websites, formed a lawyers’ group, sent a report to the Supreme Court and organised a symposium in Beijing in 2007 to discuss the case. There are similar cases in other provinces.
Most lawyers involved in these cases are human rights lawyers: they defend journalists, writers, etc. But many do not have an opinion on the death penalty. They have never been asked if it should be abolished.

Does what you say or write have an impact inside China?

Sometimes, the articles I wrote were published by official media or websites and were accessible to the Chinese people.
In China, you can discuss the death penalty in theory. Any opinion on the death penalty is permitted, but if you relate it to human rights conditions in the country, it gets sensitive.
I can say I am against the death penalty; I can say I want it abolished at once. But I cannot say there are more than 8,000 executions; I cannot say organs of executed prisoners have been removed or sold; I cannot say the Beijing Olympics should be boycotted because of the death penalty situation in China.
I can say things that other people cannot say because I am a bit famous, and because I am a teacher in a public university, i.e. I’m part of the socialist system. If I were fired from the university, it could be dangerous.

Did you have difficulties in the past?
In 2006, the police prevented me from attending an invitation to Geneva. They also blocked me from going to Yale as a guest lecturer twice, but the university invited me a third time and I was permitted to go. Also, I couldn’t attend a meeting in Hong Kong in 2007.
Pressure from the international community is very useful, and sometimes effective. Without international pressure, human rights activities in China would be more difficult.

What changes can we expect on the death penalty front in China in the near future?
I think that more intellectuals will agree with the abolition of the death penalty, and that we will be able to express our opinion through education, articles and books. Some scholars can have an impact on legislation, as they give advice before it is passed before the Congress.
The Olympic Games is an opportunity to put pressure on the Chinese authorities. The global moratorium resolution will have an impact on the opinion of the Chinese about the death penalty.
I also think the number of executions can decrease.

Since January 1, 2007, China’s Supreme Court must review every death sentence. Is this having an effect on execution numbers?
Some experts think they are decreasing but this is top secret and we cannot be sure. There is growing pressure on the Supreme Court to publish execution figures. The chief justice has openly expressed the idea that the death penalty should be taken seriously, and that every capital case should be without doubt.
Some scholars and officials think the death penalty should be abolished for non-violent crimes such as corruption, but interestingly this is opposed by ordinary people who see it as protection for powerful officials.

Do ordinary Chinese people often discuss the death penalty?

At the moment, most of them only have government-controlled information about the death penalty. But when they can discuss it freely, their opinion will change. More and more people have access to the Internet, which is more difficult to control. This will bring about change.
Also, the number of Christians in China is growing rapidly, both in official and underground churches. This too could be a good element against the death penalty.[/en]
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