Dernière ligne droite pour l’abolition au Mali ?

Abolition

le 4 juin 2008

Les défenseurs des droits de l’Homme au Mali mènent ce printemps une campagne active pour soutenir le projet gouvernemental d’abolition de la peine de mort. Leur effort d’information et de sensibilisation vient appuyer une proposition controversée, dont l’adoption a été repoussée l’année dernière.
Depuis l’adoption du projet en conseil des ministres le 17 octobre 2007, les actions se multiplient. Saloum Traoré, directeur exécutif de la section Mali d’Amnesty International, rapporte qu’il a participé dès le 31 octobre à une conférence de presse conjointe avec le ministre de la Justice, qui a présenté le texte. L’organisation a depuis multiplié les interventions dans les médias, obtenant par exemple une heure d’antenne sur la chaîne de télévision Africâble.
L’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-Mali) collabore étroitement avec Amnesty International. Ensemble, les deux organisations ont mis sur pied une série de tournois de football, pendant lesquels des banderoles placées autour du stade affichent les arguments en faveur de l’abolition. A la mi-temps, un orateur informe les spectateurs du caractère inefficace et inhumain de la peine de mort en langue locale
"Ces événements sont bien accueillis et nous avançons à grands pas", affirme Bernard Sagara, président de l’ACAT-Mali.
Les militants mettent notamment en avant le moratoire sur les exécutions que respecte le Mali depuis 1984. Malgré l’absence d’exécutions, les condamnations se poursuivent dans le pays : Amnesty International y a recensé au moins 10 sentences de mort depuis février dernier.
Les abolitionnistes soulignent également le cas du Sénégal voisin, majoritairement musulman comme le Mali, où le président a aboli la peine de mort sans provoquer de crise ni perdre la confiance des électeurs, qui l’ont réélu.

Première tentative ajournée

Si les militants redoublent d’efforts, c’est qu’une première tentative pour faire adopter la loi d’abolition a été ajournée fin 2007 face aux critiques conjuguées d’une partie de l’opposition et du Haut Conseil islamique du Mali.
Les représentants d’Amnesty International et de l’ACAT-Mali ont rencontré les oulémas alors que le projet n’était encore qu’une promesse du président malien Amadou Toumani Touré. "Ils ont été très courtois et nous ont montrés de nombreux chapitres du Coran qui montrent que tuer n’est pas bon, pour finalement arriver à la conclusion qu’il faut tuer celui qui tue", rapporte Bernard Sagara.
Un parti d’opposition non représenté au parlement et réputé proche de l’islam politique, l’Union nationale pour la renaissance (UNPR), a également contesté le projet et appelé à manifester contre l’abolition de la peine capitale.
"Nous n’accepterons jamais que les valeurs fondatrices de notre société soient dévoyées à cause des miettes des Européens. Nous sommes pour le principe vie pour vie, œil pour œil, oreille pour oreille, dent pour dent", a déclaré son dirigeant Madibo Sangaré. Selon lui, l’abolition serait imposée par l’Union européenne comme condition du maintien de l’aide au développement.
La campagne des pro-peine de mort, couplée à une contestation de la réforme du code de la famille et se réclamant de l’islam, a trouvé un certain écho dans un pays majoritairement musulman.

Soutien de religieux et d’universitaires

Cependant, la campagne des abolitionnistes a récemment reçu le soutien d’autres religieux musulmans qui font primer l’interdiction de tuer inscrite dans le Coran. A l’université aussi, des voix s’élèvent contre la peine capitale : "La mort ne permet aucun retour en arrière. Une éventuelle erreur judiciaire ou une injustice dans son application serait donc totalement irréparable, alors qu’une personne emprisonnée à tort peut toujours être libérée et indemnisée", a écrit le professeur de droit Boubacar Diarra dans une tribune publiée par le quotidien Le Républicain.
Le ministre de la Justice a quant à lui réaffirmé le 15 mai devant le Conseil des droits de l’Homme de l’Onu (photo) l’engagement du gouvernement à faire adopter la loi d’abolition. "Nous avons la majorité, nous pouvons faire passer ce projet, même demain", a-t-il déclaré (voir son intervention en vidéo). Il a cependant insisté sur le besoin de "dialogue et de concertation" pour éviter que "le Mali ne soit coupé en deux" après l’abolition.
Il s’est engagé à faire adopter le projet de loi "avant la fin de la mandature du chef de l’Etat", soit d’ici 2012. Un nouveau report n’est donc pas exclu.
A Amnesty International, Saloum Traoré croit cependant à une abolition d’ici la fin de la session parlementaire le 5 juillet et demande au gouvernement de ne pas reculer devant les mouvements d’opinion. "Au Mali comme dans tous les pays du monde, c’est une décision politique", dit-il.

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