Les militants américains se saisissent du cas d’un innocent exécuté

le 28 septembre 2009

Cameron Todd Willingham a été exécuté le 17 février 2004 après avoir été jugé responsable de l’incendie qui avait coûté la vie à ses trois filles dans leur maison de Corsicana, au Texas, en 1991. Grâce au travail de journalistes d’investigation et de défenseurs des droits de l’Homme, on sait aujourd’hui qu’il était innocent du crime pour lequel il a été mis à mort.
Comme les abolitionnistes américains l’ont toujours souligné, la peine de mort ne permet aucune forme de réparation pour le tort qui a été causé à Willingham.
Le 7 septembre 2009, le magazine New Yorker publie un article détaillé sur l’affaire. S’appuyant sur trois rapports d’experts reconnus, le journaliste David Grann y démontre qu’aucune des preuves produites par l’accusation n’est valable.
Dès janvier 2004, Gerald Hurst, un chercheur spécialiste des incendies, accepte d’examiner les preuves qui ont conduit à la condamnation de Willingham. Il conclut que l’enquête a été basée sur “de la science de bas étage” et écrit un rapport qui démontre l’innocence du condamné. Grann établit auprès de plusieurs sources que la Commission des grâces du Texas a rejeté le rapport de Hurst sans même le regarder. Le gouverneur Rick Perry a également refusé la demande de grâce de Willingham.
“L’analyse scientifique sur l’incendie existait avant son exécution et avait été présentée au juge, à la commission des pardons et au gouverneur 3 jours avant son exécution, mais cela n’a rien changé. Tout le monde savait qu’il était probablement innocent”, accuse Sandrine Ageorges, représentante internationale de la Coalition texane pour l’abolition de la peine de mort.
En décembre de la même année, le Chicago Tribune publie un premier article sur l’affaire au sein d’une série sur les erreurs judiciaires. Le journal engage un expert indépendant qui confirme l’innocence de Willingham.

“Aucun des indices suivis n’est valide”

En 2005, Innocence Project, une ONG américaine qui se consacre à innocenter des victimes d’erreurs judiciaires à l’aide de preuves scientifiques, demande à cinq experts en incendie d’étudier l’affaire Willingham, ainsi qu’un feu mortel similaire à la suite duquel un certain Ernest Ray Willis a également été condamné à mort. Ils concluent que les deux incendies sont “accidentels” et qu’“il a depuis été prouvé scientifiquement qu’aucun des indices suivis n’est valide”. Willis est innocenté et libéré après 17 ans passés dans le couloir de la mort.
Innocence Project envoie le rapport à la Commission de la police scientifique du Texas en 2006. Cette dernière engage Craig Beyler, un autre spécialiste renommé des incendies, pour procéder à une nouvelle expertise des preuves. Fin août 2009, Beyler rend son rapport : comme ses précédesseurs, il note que “les enquêteurs avaient un faible niveau de compréhension de la science du feu”. Ils ont par exemple considéré la forme des brûlures du sol comme la preuve de l’utilisation d’un liquide inflammable, une croyance sans fondement scientifique.
La Commission de la police scientifique du Texas doit rendre ses propres conclusions en 2010. Willingham pourrait ainsi devenir la première personne officiellement reconnue innocente après avoir été exécutée aux Etats-Unis. Cependant, Ageorges craint que le populisme des décideurs ne bloque une telle décision : “C’est une année d’élection au Texas pour le gouverneur et certains juges”, rappelle-t-elle.
Mise à jour du 1er octobre : le gouverneur du Texas, Rick Perry, a soudainement remplacé trois membres de la Commission. Sa réunion du 2 octobre, au cours de laquelle elle devait recevoir le rapport Beyler, est annulée. L’examen de l’affaire Willingham est remis en cause.

“Crions-le sur les toits”

L’accumulation d’informations prouvant l’innocence de Willingham a conduit les abolitionnistes américains à faire de cette affaire un symbole dans leur campagne contre la peine de mort. “Il n’y a plus aucun doute : une personne innocente a été exécutée”, déclare le coordonateur de Innocence Project, Barry Scheck. “La question est maintenant de savoir comment nous pouvons éviter que cela se reproduise.”
La Coalition nationale pour l’abolition de la peine de mort (NCADP) a lancé la campagne “Crions-le sur les toits” (“Shouting from the rooftops”). Elle vise à montrer au public que l’existence de la peine de mort fait courir le risque avéré de voir des innocents exécutés.
Selon la NCADP, Antonin Scalia, juge à la Cour suprême des Etats-Unis, a écrit qu’il n’existait “pas un cas – pas un seul – dans lequel il est clair qu’une personne a été exécutée pour un crime qu’elle n’a pas commis. Si un tel événement s’était produit au cours des dernières années, il n’y aurait pas à chercher : on crierait le nom de l’innocent sur les toits”.

135 condamnés à mort innocentés

Maintenant que le juge Scalia peut être pris au mot, la NCADP appelle le public à se renseigner, à faire circuler l’information et à publier des vidéos sur internet dans lesquelles des citoyens crient sur les toits le nom de Cameron Todd Willingham ainsi que ceux de Ruben Cantu, Carlos De Luna et Larry Griffin – eux aussi exécutés aux Etats-Unis malgré les preuves qui suggéraient leur innocence.
Aux Etats-Unis, des projets militants comme Innocence Project et Witness to Innocence soulignent le fait que “le système de justice pénale américain échoue dans son devoir le plus élevé : protéger les innocents de condamnations injustes à la peine de mort”.
Selon le Death Penalty Information Centre, 135 condamnés à mort américains ont été lavés de tout soupçon et libérés depuis 1973. Combien ont été – ou seront – exécutés avant d’avoir pu prouver leur innocence ?

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