Les abolitionnistes empêchent les exécutions au Nigeria
En quelques jours, les associations des droits de l’Homme nigérianes ont effectué deux recours en justice couronnés de succès et obtenu des décisions contraignant les gouvernements provinciaux et fédéral de ce pays d’Afrique de l’ouest à suspendre leurs projets portant sur l’exécution de nombreux condamnés à mort.
L’ONG nigériane Socio-economic Rights and Accountability Project (SERAP) a déclaré le 6 juillet avoir obtenu une décision émanant de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) afin d’interrompre les exécutions au Nigeria.
La CADHP est l’organisme de surveillance des droits de l’Homme de l’Union africaine. Selon SERAP, la présidente du groupe de travail sur la peine de mort de la CADHP, Sylvie Kayitesi Zainabo, a envoyé une décision et un appel urgent au président nigérian, Goodluck Jonathan, interdisant au pays les exécutions pendant l’examen de la communication de l’ONG par la CADHP.
Violation de la Charte africaine
Dans sa communication écrite au nom des plus de 800 condamnés à mort au Nigeria, SERAP a soutenu que leur exécution constituerait une violation de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, notamment de leur droit « à la vie ; à une représentation juridique compétente et efficace ; à un procès se déroulant dans un temps raisonnable ou à une libération ; à un procès par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi ; à la présomption d’innocence ; à un appel à un tribunal indépendant et impartial, ainsi que des garanties à un procès équitable lors des appels. »
« Nous nous attendons à présent à ce que le gouvernement fédéral et les gouverneurs d’Etats agissent rapidement pour mettre en œuvre ces décisions de la Commission en suspendant les exécutions des plus de 870 condamnés à mort que compte ce pays », a déclaré Femi Falana, l’avocat du SERAP, suite à la décision prise par la CADHP.
Quelques jours auparavant, une autre association nigériane, Legal Resources Consortium (LRC), avait obtenu une décision nationale visant à faire cesser les exécutions. Le 28 juin, LRC a déclaré que la Haute cour fédérale avait pris une injonction provisoire interdisant au gouvernement fédéral et aux 36 gouverneurs provinciaux d’exécuter « en attente de l’audience, de la décision de la cour et de la mise en œuvre de cette décision pour assurer l’application de la garantie constitutionnelle des droits des 824 condamnés à mort. »
La cour a fait plus particulièrement référence à une décision datant du 15 juin prise par le « Conseil économique national selon laquelle les condamnés à mort dans les prisons de part le pays doivent être immédiatement exécutés afin de désengorger les prisons au Nigeria », selon une déclaration du LRC. D’après le ministre de l’Intérieur nigérian, la population carcérale s’élève à 46 000 détenus dont 30 000 qui n’ont pas encore été jugés.
« De nombreux condamnés à mort sont peut-être innocents »
La décision d’exécuter en masse pour faire de la place dans les prisons – relance récente d’une politique déjà débattue en mars – a été battue en brèche par les défenseurs des droits de l’Homme.
Le 25 juin, LRC, SERAP ainsi que les membres de la Coalition mondiale Amnesty international, Human Rights Watch, HURILAWS, le Mouvement humaniste nigérian et d’autres organisations nigérianes, ont publié une déclaration commune dans laquelle est écrit: « Au lieu d’exécuter les détenus, les autorités nigérianes devraient s’attaquer aux problèmes sous-jacents au système de justice pénale. La surpopulation est en partie due au retard des procès et à l’incapacité de fournir suffisamment d’avocats. De nombreux condamnés à mort sont peut-être innocents car le système judiciaire nigérian comporte de nombreuses défaillances et n’est pas à même de garantir des procès équitables. »
Les signataires ont précisé qu’au Nigeria les procès pouvaient durer jusqu’à dix ans et ont enjoint le gouvernement à instaurer un moratoire officiel sur les exécutions.
Alors que les décisions de la CADHP et de la Cour fédérale sont provisoires, les abolitionnistes nigériens cherchent également à inscrire l’abolition dans le long terme. Le 7 juillet, les participants à une audience publique portant sur un projet de loi de réforme du droit pénal dans l’Etat de Lagos ont soutenu l’abolition de la peine capitale. Les abolitionnistes savent toutefois qu’ils doivent faire face à une opposition vigoureuse : cette même semaine, une commission sénatoriale avait recommandé la peine de mort pour les actes terroristes.