Les défis du mouvement abolitionniste

Abolition

Publié par Sandra L. Babcock, le 16 décembre 2011

En trente ans, nous avons fait de grands pas vers l’abolition universelle de la peine de mort.
Néanmoins, malgré les progrès que nous avons faits, la peine de mort reste enracinée dans un nombre significatif d’Etats. Et même dans les pays qui se sont abstenus de procéder à des exécutions dans le cadre d’une sorte de moratoire de fait, les tribunaux continuent à condamner à mort de très nombreux individus. Dans le temps qui m’est imparti aujourd’hui, je voudrais aborder quelles sont, à mon avis, les limites du droit international et les faiblesses du mouvement abolitionniste international face à ces défis. Je m’empresse d’ajouter que je crois fermement au potentiel du droit international à influencer le comportement des Etats qui maintiennent la peine de mort. Néanmoins, il existe un écart important entre les normes internationales existantes en ce qui concerne la peine de mort, et la pratique effective des Etats ostensiblement liés par ces normes.

D’abord, il y’a un écart entre la loi et l’application de la loi, c’est-à-dire un défaut de la mise en application des normes internationales. Le talon d’Achille du régime juridique international est l’absence d’un mécanisme d’application suffisant pour s’assurer que les nations respectent leurs engagements internationaux en matière juridique. Notre capacité à faire respecter le droit international dans de nombreuses régions du monde dépend de la volonté des nations à respecter à leurs obligations internationales de bonne foi, ainsi que de leur intérêt à maintenir de bonnes relations avec les autres acteurs de la communauté internationale. Mais la menace de l’opprobre internationale est souvent une incitation insuffisante pour les nations puissantes comme les Etats-Unis ou la Chine. Un bon exemple est le refus des Etats-Unis de se conformer à l’arrêt Avena de la Cour internationale de Justice, dans laquelle la CIJ a jugé que les Etats-Unis avaient violé leurs obligations en vertu de la Convention de Vienne Sur les Relations Consulaires dans le cas de 51 ressortissants mexicains condamnés à mort aux Etats-Unis.  Le jugement est incontestablement obligatoire en vertu de la Charte des Nations Unies, le Statut de la CIJ, et le Protocole facultatif à la Convention de Vienne Sur les Relations Consulaires. Mais bien que des présidents à la fois républicains et démocrates aient cherché à appliquer la décision, ils ont été contrecarrés par la Cour suprême américaine, qui a décidé en 2008 que le jugement de la CIJ n’est pas automatiquement exécutoire dans les tribunaux nationaux en l’absence de législation. Cela signifie que pour que les Etats-Unis se conforment à l’arrêt Avena, le Congrès doit adopter une loi pour mettre en œuvre le jugement. Le problème est que le Congrès est un organe politique, et les politiciens conservateurs et anti-internationalistes n’ont aucun intérêt à faire passer une loi qui applique un jugement international favorable à des ressortissants étrangers qui ont été condamnés pour des meurtres odieux. Il n’est pas surprenant que le Congrès ait échoué à adopter une telle loi, et en conséquence deux ressortissants mexicains ont été exécutés en violation de l’arrêt Avena.

Deuxièmement, il y a un écart d’information. Le manque d’information sur l’application de la peine de mort conduit à des hypothèses erronées sur l’étendue des progrès que nous faisons sur le terrain vers l’abolition dans le monde. Je vais vous donner deux exemples. Le premier traite de l’abolition de la peine de mort pour les personnes qui ont un retard mental. En 2002, l’Union européenne a déposé un mémoire d’amicus curiae devant la Cour Suprême américaine à l’appui d’Ernest McCarver, un homme avec une déficience mental qui s’est trouvé menacé d’exécution en Virginie. L’UE a fait valoir que les Etats-Unis est (je cite) «l’un des derniers pays au monde» qui continue à exécuter des personnes mentalement déficientes. Cet argument a finalement été accepté par la Cour suprême, qui a conclu que l’exécution de personnes qui ont une déficience intellectuelle constituait une peine cruelle.
Même si je pense que la majorité des états n’executent pas exprès les personnes qui ont un retard mental, en réalité, nous n’avons tout simplement pas de données pour appuyer ou réfuter cette affirmation. La grande majorité des Etats rétentionistes n’ont pas de lois qui interdisent l’exécution de personnes ayant une déficience mentale. Bien que la plupart aient des lois prévoyant que les délinquants qui souffrent de formes sévères d’une maladie mentale ne peuvent être tenus criminellement responsables de leurs actes – ce qui est communément appelé la "défense d’aliénation mentale» – ils n’ont pas de lois ou de réglements pour s’assurer que les personnes handicapées mentales ne soient pas exécutées. Par ailleurs, la plupart des Etats rétentionistes n’ont tout simplement pas les moyens de vérifier, avec quelque degré de certitude que ce soit, si une personne souffre d’un handicap mental.
Un autre exemple est l’abolition de la peine de mort obligatoire. Alors que la communauté abolitionniste a célébré les décisions judiciaires invalidant la peine de mort obligatoire, elle a prêté peu d’attention à l’application de ces décisions. Au Malawi, par exemple, la Haute Cour a invalidé la peine de mort obligatoire en 2007. Malgré cela, au cours des quatre dernières années, aucune nouvelle audience n’a été accordée à un homme ou une femme ayant reçu une sentence de mort obligatoire.

Un troisième défaut du mouvement abolitionniste international découle de l’accent mis sur l’abolition, au détriment de la réforme. Il est compréhensible que la communauté internationale soit fascinée par le saint graal de l’abolition, en particulier dans les pays qui progressent plus rapidement dans cette direction. Mais dans de nombreux autres Etats, l’abolition va prendre du temps. Dans ces Etats, se concentrer résolument sur l’abolition exclut souvent l’examen minutieux des défaillances systémiques du système de justice pénale qui pourraient être traitées efficacement par une pression internationale concertée.

La plus importante de ces défaillances systémiques est l’absence d’avocats de qualité pour les personnes passibles de la peine de mort. Plus que tout autre facteur, c’est la représentation légale inadéquate qui détermine qui finit dans le couloir de la mort. Le risque de condamner à mort des personnes innocentes augmente fortement dans les pays qui octroient des ressources insuffisantes aux services d’aide juridique. Pourtant, dans de nombreux Etats rétentionistes, les accusés croupissent pendant des années en détention provisoire sans accès à des avocats. Beaucoup de ceux accusés de crimes capitaux ne rencontrent leurs avocats que le jour du procès – trop tard pour enquêter et présenter des preuves qui pourraient conduire à leur acquittement.

Les défis que j’ai décrits aujourd’hui sont difficiles et complexes. Alors comment peuvent-ils être mieux relevés?  Comme premier pas, la communauté internationale devrait adopter un nouvel ensemble de principes qui renforcent les limites sur l’application pratique de la peine de mort. Les Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort ont été adoptées en 1984, et ils sont maintenant dépassés et trop vagues. Deuxièmement, les donateurs doivent financer des études approfondies sur l’application de la peine de mort dans les pays non-abolitionnistes du monde afin que le mouvement abolitionniste ait les données nécessaires pour prendre des décisions intelligentes et stratégiques sur les efforts de réforme. Troisièmement, la communauté internationale doit consacrer des moyens au développement et à la formation des avocats de l’aide juridique à travers le monde, parce qu’ils sont les premiers gardiens des droits des personnes passibles de la peine de mort. Grâce à ces mesures, nous pourrions sensiblement réduire le nombre d’individus qui font face à l’exécution. Cela ne veut pas dire que la communauté abolitionniste doit abandonner ses efforts pour engager les dirigeants politiques sur la question de l’abolition. Ces stratégies sont complémentaires ; elles ne s’excluent pas. Mais nous ne pouvons pas ignorer les 17 000 prisonniers déjà sur les couloirs de la mort, et les milliers de personnes qui seront finalement exécutées après des procès qui sont loin des normes internationales de procès en bonne et due forme.

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