Une visite entachée par six exécutions

Asie

Publié par Patrick Kamenka, le 25 avril 2013

Le membre taïwanais de la Coalition mondiale, l’Alliance taïwanaise pour l’abolition de la peine de mort (TAEDP), a été d’une extrême efficacité dans l’organisation du séjour.
Une première soirée a permis une rencontre avec des diplomates de l’Union européenne en poste à Taipei, suivie d’un moment chaleureux avec les abolitionnistes taïwanais autour du président de TAEDP, Hei-yuan Chiu.
Côté officiel, une première rencontre a eu lieu avec l’ambassadeur Rong-chuan Wu, chargé des ONG au ministère des Affaires étrangères. Les réponses du diplomate aux questions de Raphaël Chenuil-Hazan, vice-président de la Coalition mondiale, et des divers intervenants sur les raisons de la poursuite des exécutions n’ont pas permis de faire bouger les lignes.
Le diplomate s’est dit « concerné par la question de la peine mort » et certain que l’évolution était « inévitable ». Affirmant que par ailleurs, Taïwan respectait les droits de l’Homme, il s’est abrité derrière l’opinion publique favorable au châtiment suprême.
Le moment le plus solennel fut celui de la rencontre avec le président Ma Ying-jeou. Salués par la garde d’honneur du palais présidentiel, les membres du Comité de pilotage ont pris place dans une salle de réception où le jeune et dynamique chef de l’Etat avait pris le soin d’inviter la presse.
Les entretiens se sont ensuite déroulés à huis clos. Le dirigeant taïwanais, entouré d’un aréopage de conseillers, a répondu aux propos liminaires de Florence Bellivier, présidente de la Coalition mondiale, pour affirmer de façon péremptoire que Taïwan faisait tout pour « réduire le nombre des exécutions ».

« La majorité de la population » favorable à la peine de mort, selon le président

Le chef de l’exécutif a toutefois indiqué que son pays « maintenait la peine de mort, la majorité de la population y étant favorable ». Il a justifié la politique rétentionniste de Taïwan par le fait qu’il n’existait pas la perpétuité dans le code pénal et que l’abolition du châtiment suprême serait perçue par la population comme un encouragement à la criminalité.
Le président Ma a éludé les questions de la présidente de la Coalition mondiale sur la non-utilisation de son droit à gracier les condamnés une fois l’ordre d’exécution signé.
Au ministère de la Justice, répondant aux propos de la vice-présidente de la Coalition mondiale Elisabeth Zitrin, le vice-ministre Chen-huan Wu n’a laissé entrevoir aucun assouplissement dans les exécutions, pourtant gelées lors du moratoire intervenu entre 2005 et 2010.
« Nous sommes contraints par la loi à exécuter les condamnés », a dit le responsable, qui n’a pas répondu aux interrogations sur le droit des avocats commis d’office à avoir les moyens d’accomplir leur tâche, ni sur la date de la reprise des travaux de la commission sur la peine de mort.

1,5 m² par prisonnier

La visite du centre de détention de la capitale Taipei a levé le voile sur une prison où 3 000 prisonniers sont recensés alors que le centre ne compte que 2 100 places, et où huit à neuf détenus sont entassés dans chaque cellule avec une promiscuité totale (1,5 m² par personne).
Lors de la visite menée au pas de course, la délégation de la Coalition a pu voir les détenus travailler dans plusieurs ateliers, comme celui de la pâtisserie, dont les produits sont vendus dans le commerce. Le couloir de la mort et la salle d’exécution ont en revanche été fermés à toute visite.
Chiou Ho-Shun, l’un des cas emblématiques parmi les condamnés à la peine capitale, est enfermé dans ce couloir de la mort depuis un quart de siècle, accusé d’avoir tué un enfant. Son cas présente beaucoup de similitudes avec celui du journaliste noir américain Mumia Abu Jamal. Jacky Hortaut, membre du Collectif Mumia et du Bureau exécutif de la Coalition, a évoqué ce cas notamment lors de la rencontre avec le président de la République (photo), lequel a laissé entendre qu’un nouveau procès pourrait avoir lieu suite à un ultime recours de sa défense.
Une délégation conduite par la présidente de la Coalition, Florence Bellivier, a pu se rendre de son côté à la prison de Taichung pour y rencontrer Cheng Hsin-Tze, un autre condamné à mort.

Six exécutions en forme de provocation

Comble de la provocation, 24 heures après le départ de Taipei des représentants de la Coalition mondiale, une nouvelle brutale est transmise par TAEDP est tombée : six condamnés à mort ont été fusillés le 19 avril. La Coalition mondiale s’est déclarée « horrifiée » par la nouvelle qui « constitue un mauvais message à la communauté internationale ».
« Les dirigeants de ce pays s’abritent derrière l’opinion publique pour justifier les exécutions. Le Président Ma et ses ministres qui ont reçu la délégation de la Coalition n’ont pas osé dire clairement qu’ils sont favorables à la peine de mort, en affirmant hypocritement qu’ils mettront un terme à ce châtiment sans donner de limite dans le temps », a déclaré Hei-yuan Chiu, président de TAEDP.

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