Californie : un jugement prépare l’abolition de l’un des plus grands couloirs de la mort au monde
Le juge Carney a estimé que « les dysfonctionnements dans l’administration de la peine de mort en Californie ont eu et continueront à avoir pour résultat des délais d’attente imprévisibles et indus » et que ces délais ont créé « un système dans lequel des facteurs arbitraires, et non légitimes tels que la nature du crime ou la date de la condamnation à mort, déterminent si un individu sera effectivement exécuté ».
En annulant la condamnation du plaignant Ernest Dewayne Jones, le juge Carney a relevé que Jones était confronté à « une incertitude complète à savoir quand, ou même si » il allait être exécuté. Le « petit nombre aléatoire » de personnes exécutées « ont langui tellement longtemps dans le couloir de la mort que leur exécution ne sert ni à la rétribution ni à la dissuasion et est arbitraire ».
« Aucune personne rationnelle, ajoute Carney, ne peut contester que l’exécution d’un individu suppose l’obligation solennelle pour le gouvernement de s’assurer que le châtiment n’est pas imposé de manière arbitraire et qu’il sert les intérêts de la société. »
« Système arbitraire »
Natasha Minsker, la directrice associée de l’Association américaine pour les libertés civiles qui avait animé la campagne SAFE California en 2012 pour le remplacement de la peine de mort, a déclaré que le jugement marquait « la première fois qu’un juge a estimé que les délais systémiques génèrent un système arbitraire qui n’a aucune utilité légitime et est donc inconstitutionnel ».
Le juge Carney a été nommé par l’ancien président George W. Bush, qui avait largement utilisé la peine de mort en tant que gouverneur du Texas.
Le plaignant Ernest Dewayne Jones est dans le couloir de la mort depuis 1995. Il a soutenu que la peine capitale constitue une violation de la Constitution du fait que la majorité des condamnés à mort californiens décèdent de mort naturelle avant leur exécution.
Il est à noter que le juge Carney n’identifie pas de moyen pour échapper à cette situation inextricable. Il n’a pas suggéré d’améliorer le système de la peine de mort, ni même envisagé que cela soit possible. Il a affirmé sans détour que ce système est arbitraire, ne fonctionne pas et viole la Constitution.
« La peine de mort est brisée au-delà du réparable »
« La décision du juge Carney est historique », a déclaré Gil Carcetti, ancien procureur du comté de Los Angeles. « Elle prouve que la peine de mort est brisée au-delà du réparable. Elle est exorbitante financièrement, injuste et ne remplit aucune utilité. La seule solution est de remplacer la peine de mort par la prison à vie sans libération conditionnelle. »
Le jugement souligne les problèmes identifiés en 2008 par la Commission californienne sur l’administration équitable de la justice. Ce groupe bipartisan composé de procureurs, de policiers, de juges, d’universitaires et d’avocats avait conclu que la peine de mort ne fonctionnait pas en Californie et publié une série de recommandations pour y remédier.
« Nous avons fait des recommandations pour améliorer le système, y compris l’allocation de fonds pour embaucher plus d’avocats et de juges afin de faire avancer les procès en appel plus rapidement », rappelle John Van de Kamp, ancien procureur général de Californie et président de la commission. « À ce jour, aucune n’a été appliquée. »
Van de Kamp et Carcetti ont tous deux participé aux derniers Congrès mondiaux contre la peine de mort à l’invitation de la Coalition mondiale.
Un condamné à mort américain sur quatre est en Californie
En 2012, 48% des électeurs californiens ont voté oui à la Proposition 34 qui aurait remplacé la peine de mort par la prison à vie sans libération conditionnelle et imposé aux condamnés de travailler en prison pour indemniser les familles de leurs victimes.
La décision du juge Carney peut faire l’objet d’un recours devant la Cour d’appel fédérale.
La Californie abrite près de 25 % des condamnés à mort des États-Unis. Y abolir la peine de mort aurait un impact national significatif pour plusieurs raisons.
Les facteurs présents en Californie existent également dans d’autres États : arbitraire, inégalités raciales et économiques devant la peine de mort, inefficacité des protocoles d’exécution, absence de dissuasion et coût démesuré.
Pour les autres États rétentionnistes américains comme ailleurs dans le monde, la Californie représente un poids culturel important. La huitième économie du monde est perçue comme un précurseur politique et social dans le monde entier.
L’abolition aux États-Unis, à tout le moins en Californie, son État le plus peuplé avec 38 millions d’habitants et 750 personnes dans le couloir de la mort, créerait un puissant exemple pour d’autres pays rétentionnistes en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient.
Elizabeth Zitrin est vice-présidente de la Coalition mondiale, avocate en Californie et membre de la coalition SAFE California.
Photo : la prison de San Quentin, qui abrite le couloir de la mort californien (Zboralski)