La peine de mort appliquée au mépris de la santé mentale, selon les experts
Journée mondiale
Les désordres mentaux chez les personnes qui risquent la peine capitale sont au cœur de la 12e Journée mondiale contre la peine de mort du 10 octobre 2014, qui est aussi la Journée mondiale de la santé mentale.
Stephen Greenspan, un psychologue du développement régulièrement appelé à témoigner devant la justice américaine dans des affaires de peine de mort, estime que moins d’un accusé sur quatre qui plaident le handicap mental est finalement exempté selon le jugement Atkins contre l’État de Virginie de 2002, dans lequel la Cour suprême a interdit l’exécution des handicapés mentaux.
« Les normes scientifiques sont bien établies, mais tous les experts ne les respectent pas, car ils ne sont pas tous spécialiste de ce domaine ou formés sur les standards en vigueur », déclare le Dr Greenspan, regrettant que les cours et tribunaux n’appliquent pas de critères plus stricts dans le choix des psychologues ou des psychiatres admis à témoigner sur les capacités intellectuelles d’un accusé.
Il ajoute que les handicapés mentaux sont plus influençables, ce qui les rend plus vulnérables à la pression de criminels cherchant à les entraîner dans leurs activités ou de policiers conduisant un interrogatoire en vue d’obtenir des aveux. À moins d’être correctement détectés et exemptés, ils sont donc plus exposés à la peine de mort.
Pour aider la justice à améliorer ses pratiques, l’Association américaine sur les handicaps intellectuels et développementaux est sur le point de publier un nouveau libre : The Death Penalty and Intellectual Disability: A Guide, sous la direction d’Edward Polloway.
« Il sera vraiment important de le lire pour les experts mais aussi pour les avocats et les juges, car il détaille ce qui est acceptable ou non selon les critères des professionnels du handicap mental », explique le Dr Greenspan.
> Explorez la bibliothèque en ligne de la Coalition mondiale pour une bibliographie complète sur la santé et les handicaps mentaux en lien avec la peine de mort.
Les défis restent cependant tellement important dans la protection des handicapés mentaux contre la peine de mort que le psychologue voit dans l’abolition la meilleure solution.
« Il y a le problème du seuil de quotient intellectuel : dans les années 1960, il était fixé à 85, aujourd’hui c’est 70. Si votre QI est de 69, vous pouvez vivre, s’il est de 71, vous pouvez mourir, bien que ce nombre ne soit pas très fiable », constate le Dr Greenspan, qui ajoute que des difficultés similaires existent dans de nombreux pays en-dehors des États-Unis.
L’isolement, source de maladies mentales dans le couloir de la mort
Le Dr Terry Kupers, un psychiatre qui a passé sa carrière à travailler dans les prisons, constate que la tendance à placer les condamnés à mort à l’isolement aggrave la prévalence des maladies mentales chez les prisonniers, ce qu’il qualifie de « torture ».
« Les couloirs de la mort ne son généralement pas des endroits violents, déclare le Dr Kupers. Les condamnés à mort sont habituellement sérieux, ils sont plus âgés, travaillent sur leurs recours et n’ont rien à prouver en prison. Ils ont tendance à être coopératifs et amicaux. Il n’y a aucun objectif pénal à placer les couloirs de la mort dans des unités de détention à l’isolement. »
Cette pratique est pourtant devenue la règle dans de nombreux États des États-Unis et ailleurs.
Déjà soumis au syndrome du couloir de la mort – la succession d’émotions positives et négatives liées à l’espoir de voir leurs recours réussir, puis échouer, et à l’exécution de leurs codétenus – le psychisme des condamnés à mort subit une pression supplémentaire du fait de l’isolement, qui déclenche souvent des épisodes de crise, constate le Dr Kupers.
« Imaginez être seul dans une cellule sans personne à qui parler. La température ne convient pas, les toilettes débordent, la promenade n’a pas eu lieu, la nourriture est affreuse, décrit-il. Deux gardiens parlent trop bas pour que vous puissiez les comprendre. Vous commencez à croire qu’ils complotent contre vous. Les prisonniers ne peuvent pas vérifier. C’est comme cela que la paranoïa se développe.
Ces facteurs débouchent selon le Dr Kupers sur un taux de suicide supérieur parmi les prisonniers placés à l’isolement et à la décision, chez certains condamnés à mort, d’abandonner leurs recours et de demander une exécution rapide.
« C’est un spectacle, un façon de montrer la façon dont nous traitons "les pires d’entre les pires", estime le psychiatre. Cela a remplacé les exécutions publiques : jusqu’à leur exécution, nous avons juré de les torturer. »