Publier les derniers mots des condamnés pour les réhumaniser
Abolition
« Je suis innocent, innocent, innocent », a déclaré Leonel Herrera avant son exécution en 1993. Vingt ans plus tard, Jerry Duane Martin lançait à la famille de la gardienne de prison qu’il avait tuée au cours d’une tentative d’évasion : « Je suis désolé ; désolé pour votre perte. Je voudrais l’effacer, mais je ne le peux pas. » Lui aussi a reçu une injection létale immédiatement après avoir prononcé ces mots.
Ces dernières déclarations font partie de celles que le projet Final Words veut mettre en lumière.
Ses artisans ont reçu le soutien de personnalités telles que la présidente de la Coalition mondiale, Florence Bellivier, des représentants de plusieurs organisations membres ou encore de l’actrice Susan Sarandon.
Ils répondent aux questions de Worldcoalition.org.
En quoi consiste le projet Final Words ?
Joshua Herman (photo ci-dessus) : C’est un recueil des dernières déclarations de 515 prisonniers exécutés par l’État du Texas et enregistrées par l’administration pénitentiaire, présentées sous la forme d’un livre distribué gratuitement. Notre objectif est de donner trois livre à chaque école secondaire dans les États qui utilisent encore la peine de mort et d’organiser une exposition itinérante.
Nous voulons humaniser le moment où une personne va être exécutée et lancer un nouveau dialogue sur la peine de mort aux États-Unis entre les partisans de la peine de mort aussi bien que ses opposants.
Marc Asnin : Ces derniers mots devraient provoquer une connexion émotionnelle chez les gens qui les lisent. Aux États-Unis, la peine de mort se caractérise depuis plusieurs décennies par une déshumanisation. Nous voulons que les gens réalisent : « Cette personne a demandé pardon, elle a soulevé les inégalités sociales ou le racisme… Cela me fait réfléchir. » Les enfants seront amenés à interpréter ces derniers mots pendant un cours de théâtre, à apporter cette discussion dans leur famille…
Pensez-vous que les écoles vont accepter votre initiative ?
M.A. : Certaines écoles, oui. Il n’y a pas d’États complètement progressistes ou conservateurs. Les gens déménagent, chaque État abrite des opinions diverses. Il y a un espace pour ce projet. Dans certaines écoles, le conseil d’administration ou le principal refusera de mettre le livre au programme. Nous assurerons un suivi et cela lancera le débat sous l’angle de la censure : de quoi avez-vous peur ? Si on nous oppose des arguments du type « Vous rendez hommage au tueur plutôt qu’à la victime », cela fait aussi partie du débat.
J.H. : Nous avons montré une maquette du livre à un certain nombre de personnes et leur réaction est généralement d’être intrigués, et ce qu’il s’agisse d’abolitionnistes, d’individus qui ne réfléchissent habituellement pas à la peine de mort ou encore de conservateur qui la soutiennent. Pendant un instant, il vous fait réfléchir à ce que vous diriez si vous alliez mourir dans les minutes qui suivent.
Vous avez prévu un livre grand format, avec le texte original des dernières déclarations dans toute leur simplicité et un large espace vide tout autour. Pourquoi ces choix ?
M.A : C’est l’opposé d’un manuel scolaire. Nous allons le présenter à des élèves qui voient des livres de classe tous les jours et nous voulons leur montrer quelque chose de différent, de plus provocant. Dans nos travaux préparatifs, les membres de l’association Witness to Innocence nous ont dit que tout cet espace blanc représente les sentiments du lecteur après avoir lu les derniers mots. Ce n’était pas notre intention, mais c’est une interprétation forte. Le livre ne sera pas relié, mais vissé comme un classeur judiciaire.
Combien de livres voulez-vous imprimer, et avec quelles ressources ?
M.A. : Aucune maison d’édition américaine ne prendrait le risque d’investir dans ce type de livre. Nous misons donc tout sur les dons du public.
J.H. : Il nous faudra 17 000 exemplaires pour toutes les écoles de 32 États, et nous prévoyons un tirage supplémentaire de 25 000 exemplaires pour en proposer à nos partenaires. Nous collaborons avec des organisations de défense des droits civiques, le milieu des photographes, les abolitionnistes – toutes personnes intéressées. La réalisation du livre témoignera de cet engagement populaire. Au-delà d’un certain montant, les donateurs recevront un exemplaire du livre et pourront le faire envoyer à une personne à qui ils pensent que sa lecture serait bénéfique, par exemple un élu.