La peine de mort au Maroc au centre des débats à Marrakech

Abolition

Publié par Thomas Hubert (à Marrakech), le 28 novembre 2014

Le roi du Maroc lui-même a lancé la discussion dès la soirée d’ouverture le 27 novembre 2014 : « Nous nous félicitons du débat, autour de la peine de mort, mené à l’initiative de la société civile et de nombreux parlementaires et juristes. Il permettra la maturation et l’approfondissement de cette problématique », a déclaré Mohammed VI dans un message lu par son ministre de la Justice et des Libertés, Mustapha Ramid.
Les abolitionnistes participant au deuxième Forum mondial des droits de l’Homme à Marrakech l’ont pris au mot, alors que le pays continue à prononcer des condamnations à mort et refuse pour l’instant de soutenir une résolution pour un moratoire mondial en préparation à l’Assemblée générale des Nations unies alors que personne n’a été exécuté au Maroc depuis 1993.
« C’est la première fois depuis 1999 que le roi parle de peine de mort », a souligné l’avocat Abderrahim Jamai, coordinateur de la Coalition marocaine contre la peine de mort.
Kadhija Rouissi, députée et membre du Réseau parlementaire marocain contre la peine de mort, s’est dite partagée entre « le désespoir face à cinquième abstention du Maroc sur le moratoire aux Nations unies et l’espoir à l’écoute du message royal qui manifeste clairement et pour la première fois l’intérêt de sa majesté pour le débat des militants, des juriste et des parlementaires sur l’abolition de la peine de mort ».
Alors que le Réseau parlementaire, qui ressemble 240 élus de différentes sensibilités politiques, a déposé une proposition de loi pour l’abolition, Rouissi a déclaré : « L’État de droit ne peut exister sans abolition pure et simple. »

« Ne nous contentons pas de discuter »

Florence Bellivier, présidente de la Coalition mondiale, soutient cette position : « Il nous faut faire vite et ne pas nous contenter de discuter des mérites et des défauts de la peine de mort. Il ne faut pas nous contenter des moratoires comme celui qui prévaut par exemple au Maroc, car les moratoires sauvent certes des vies, mais ils sont fragiles comme la vie elle-même », a-t-elle déclaré. « C’est pourquoi mes abolitionnistes et moi-même appelons à l’abolition totale, irréversible et universelle de ce châtiment capital », a ajouté Bellivier lors de la cérémonie d’ouverture.
L’ensemble du monde arabe est frappé par cette résistance à abolir une peine de mort tombée en désuétude. Un dirigeant de la Ligue des droits de l’Homme algérienne a expliqué que son pays, parmi les promoteurs d’un moratoire international sur les exécutions à l’ONU, s’était « installé dans la position confortable du moratoire » mais continuait à prononcer des condamnations à mort.
Une représentante de la Coalition tunisienne contre la peine de mort a regretté que son pays n’ait pas aboli à l’occasion de l’adoption d’une nouvelle constitution, mais elle ne baisse pas les bras : les nouveaux parlementaires récemment élus font l’objet de toutes les attentions des abolitionnistes, notamment à l’approche de l’examen d’une nouvelle loi anti-terroriste.
« L’argument religieux est le plus avancé par les pays de la région, appuyés par les conservateurs », a relevé Rouissi. Un député Koweïtien présent dans la salle lors de la session dédiées à l’abolition a d’ailleurs pris la parole en faveur de la peine de mort, au nom de l’Islam et de la douleur des victimes de crimes. Mais selon Rouissi, abolir la peine de mort ne relève « en aucun cas d’une remise en cause de l’Islam, mais de l’intégrisme ». Quand aux familles de victimes, l’Américain Renny Cushing, dont le propre père a été assassiné, l’assure : « Nous devons reconnaître la peine de mort comme violation des droits de l’homme ET le besoin de justice des victimes de crimes. »
L’inertie de l’Afrique du Nord sur le chemin de l’abolition semble d’autant plus déplacée que le reste du continent est en marche. Alice Mogwe, qui représente la FIDH au sein du groupe de travail de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, est optimiste quant à l’adoption d’un protocole enjoignant tous les pays d’Afrique à abolir la peine de mort dans l’année qui vient.

Manipulation politique et banalisation de la violence au Proche-Orient

Les pays arabes situés plus à l’est, en revanche, font face à des défis différents. Taghreed Jaber, directrice régionale de Penal Reform International basée en Jordanie, a relevé l’utilisation grandissante de la peine de mort à des fins politiques : « Nous craignions la peine capital pour Hosni Moubarak, maintenant ce sont ses opposants qui sont condamnés à mort » en Égypte, a-t-elle relevé.
Jaber remarque en outre que les conflits qui ensanglantent le Proche-Orient et les images de mort qui défilent dans les médias de la région « banalisent la violence ». L’augmentation de la criminalité violente, par exemple en Jordanie, pourrait constituer un obstacle à l’abolition, prévient-elle.
L’opinion publique n’est pourtant pas si favorable à la peine capitale que voudraient le faire croire les gouvernements rétentionnistes, notamment en Asie. L’Alliance taïwanaise pour mettre fin à la peine de mort (TAEDP) a ainsi interrogé récemment 2 000 Taïwanais, dont 85 % se sont spontanément déclarés favorables à la peine capitale.
Quand on leur a proposé de l’abolir pour la remplacer par une peine de prison à vie assortie d’une période de sûreté de 25 ans, 41 % ont cependant accepté cette solution. Et les mêmes se sont prononcés à 71 % pour l’abolition si la peine capitale était remplacée par la perpétuité réelle avec obligation pour le condamné de travailler pour dédommager ses victimes !
« Informer l’opinion et proposer un choix aux gens les fait changer d’avis sur la peine de mort », constate Hsinyi Lin, directrice de TAEDP.
De nouveaux défis obligent ainsi en permanence les abolitionnistes à travailler ainsi sur de nouvelles approches. C’est également le cas aux États-Unis, où l’avocate Elizabeth Zitrin, vice-présidente de la Coalition mondiale, constate que « les arguments fondés sur les droits de l’Homme ne permettent pas d’abolir la peine de mort ». Là, ce sont le nombre d’innocents condamnés à mort – 149 détectés depuis 40 ans –, le coût exorbitant des procédures conduisant à la peine capitale, la discrimination raciale dans son application et les voix de plus en plus nombreuses parmi les professionnels du maintien de l’ordre quant à son inefficacité pour combattre le crime qui conduisent à un recul constant de la peine de mort.

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