Les exécutions en Jordanie et au Pakistan illustrent les limites du moratoire

Asie

MENA

Publié par Thomas Hubert, le 16 janvier 2015

Dans les jours qui ont suivi l’attentat meurtrier contre une école de Peshawar le 16 décembre 2014, le premier ministre pakistanais Nawaz Sharif a levé le moratoire sur les exécutions et ordonné la pendaison de quatre condamnés à mort. Dans le même temps, la Jordanie exécutait onze prisonniers pour la première fois depuis huit ans.
Bien que la décision du Pakistan ne concerne officiellement que les cas de terrorisme, les autorités ont annoncé l’exécutions d’environ 500 personnes. « Au moins 200 d’entre elles ne sont pas liées au terrorisme », relève le Réseau asiatique anti-peine de mort (ADPAN). « Il est encore plus préoccupant que le gouvernement programme l’exécution d’une personne probablement condamnée à tort, comme dans le cas de Shafqat Hussain, dont on pense qu’il a avoué sous la torture avant d’être condamné à mort par un tribunal anti-terroriste alors qu’il n’avait que 14 ans », ajoute ADPAN.
La Commission des droits de l’Homme du Pakistan (HRCP) dénonce dans ces exécutions une volonté de « détourner l’opinion publique ». « La HRCP estime que le bricolage du moratoire sur les exécutions ne présente aucune solution au défi auquel fait face le Pakistan. Les dysfonctionnements dans les enquêtes et dans la justice pénale en général demandent une attention immédiate pour garantir la certitude de sanctions justes, et non leur simple quantité », déclare la présidente de la Commission Zohra Yusuf dans un communiqué.
D’autres membres de la Coalition mondiale, parmi lesquels Amnesty International et Human Rights Watch, condamnent la reprise des exécutions au Pakistan et mettent en avant le cas de Shafqat Hussain.

Les exécutions en Jordanie ne réduiront pas la criminalité

Le nouveau haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l’Homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, appelle le Pakistan et la Jordanie a revenir sur leurs décisions, qu’il qualifie de « particulièrement décevantes alors qu’un nombre record de 117 États ont voté à l’Assemblée générale de l’ONU en faveur d’un moratoire international sur l’utilisation de la peine de mort ».
Le gouvernement jordanien justifie la reprise des exécutions par l’augmentation de la criminalité.
« Historiquement, le taux de criminalité ne baisse pas avec l’imposition de la peine capitale », répond Zeid. « En revanche, des affaires choquantes apparaissent fréquemment dans lesquelles des personnes sont exécutées, puis innocentées, y compris dans les systèmes judiciaires performants. »
Zeid est membre de la famille royale jordanienne et ses critiques du gouvernement ont embarrassé le pays, rapporte Haitham Shibli, directeur du programme de Penal Reform International sur la peine de mort au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, basé à Amman. Il ajoute que la levée du moratoire a réveillé le combat pour l’abolition de la peine de mort au sein de la société civile et du parlement jordaniens.
Shibli ajoute que les statistiques officielles de la police établissent un lien entre l’augmentation de la criminalité et l’arrivée récente de centaines de milliers de réfugiés syriens déshérités, et non avec la suspension des exécutions en 2006. « Avec les évenements dans les pays qui nous entourent et la menace d’infiltrations par des mouvements radicaux, l’État a voulu faire passer le message qu’il est fort et fera tout pour maintenir la stabilité », estime-t-il.
Pour Florence Bellivier, présidente de la Coalition mondiale, les dernières exécutions en Jordanie et au Pakistan démontrent la fragilité d’un moratoire en fonction de la conjoncture politique. « En cas d’instabilité, à l’approche d’élections, un moratoire peut toujours être remis en cause. C’est pourquoi les abolitionnistes le considèrent comme un premier pas, mais nous ne pouvons jamais nous en satisfaire », déclare-t-elle.
Seule l’abolition totale de la peine de mort peut garantir le caractère certain et prévisible que l’on est en droit d’attendre du droit pénal, ajoute-t-elle.

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