Les abolitionnistes luttent contre l’utilisation abusive de la peine de mort
Asie
Une législation répressive
Le Pakistan fait partie des 56 pays qui exécutent dans le monde. En 2014, le gouvernement a mis fin à un moratoire de 7 ans dans le but de répondre à une menace terroriste grandissante. Depuis, le Pakistan est l’un des pays les plus prolifiques en matière d’exécution avec 483 prisonniers exécutés depuis décembre 2014 et une moyenne de 4 exécutions par semaine. A ce jour, 8 200 prisonniers, comprenant des individus souffrant de maladie mentale et des mineurs, attendent leurs exécutions dans les couloirs de la mort pakistanais. Ces prisonniers furent condamnés sur l’un des 27 fondements juridiques prévoyant la peine de mort, y compris le blasphème ou le sabotage du système ferroviaire. Dans un rapport conjoint soumis à l’Examen Périodique Universel, Justice Project Pakistan (JPP), Reprieve, l’Organisation mondiale contre la torture et la Coalition mondiale contre la peine de mort, ont également dénoncé les aveux forcés et l’absence d’assistance juridique, ce qui constitue une violation du droit international. Lors de son examen du PIDCP, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a exhorté le Pakistan à limiter le champ d’application de la peine de mort, s’assurer qu’aucun mineur ou individu souffrant d’un handicap ne soient condamnés à mort et amender la loi contre le terrorisme.
En effet, cet arsenal juridique n’est pas une réponse appropriée pour faire face à la montée du terrorisme dans le pays. Pour Justice Project Pakistan, la peine de mort n’est qu’un argument politique : le taux d’homicide était déjà en baisse lorsque le moratoire fut levé. De plus, l’utilisation de la peine capitale n’a pas réussi à dissuader les auteurs de crimes et d’actes terroristes. De plus, sur les 485 exécutions enregistrées, seulement 30% furent condamnés à mort pour terrorisme. Les organisations visant à la protection des droits de l’homme ont exhorté le Pakistan à rétablir un système pénal garantissant un droit à procès équitable et à stopper cette utilisation abusive de la peine de mort.
Une forte mobilisation pour la 15ème Journée mondiale contre la peine de mort.
La mobilisation des abolitionnistes était particulièrement importante lors de la 15ème Journée mondiale contre la peine de mort. Le 10 octobre, une douzaine d’évènements ont eu lieu à travers le pays. En plus des nombreux communiqués de presse, Human Rights Commission of Pakistan a organisé une manifestation à l’extérieur du Lahore Press Club. Dressant des pancartes et les affiches de la Journée mondiale, les manifestants ont demandé au gouvernement d’abolir la peine de mort et rétablir le moratoire. Les membres de la Commission ont également distribué des pamphlets visant à expliquer pourquoi l’abolition est nécessaire.
Pour la Journée mondiale, Justice Project Pakistan a également ciblé les populations dans une campagne de sensibilisation fructueuse. En collaboration avec la compagnie Azad Theatre et Highlight Art, JPP lancé la tournée « Bus Kar do ». Pendant une semaine, le bus a voyagé de Sahiwal à Karachi tout en s’arrêtant dans plusieurs villes afin de présenter « Intezaar- l’Attente ». Cette pièce de théâtre basée sur des faits réels a pour finalité de mettre en lumière l’aspect discriminatoire de la peine de mort et les conditions difficiles des condamnés qui attendent leurs exécutions dans les couloirs de la mort pakistanais. Cette tournée fut aussi l’occasion d’établir un dialogue entre les abolitionnistes et les communautés locales, trop souvent en faveur de la peine capitale. « Sauf si nous parvenons à mobiliser l’opinion publique pour obtenir une réforme du système judiciaire pénal, beaucoup d’entre eux vont continuer à passer à travers les mailles du filet. » a déclaré Sarah Belal, Directrice exécutive de JPP.
En plus de la tournée « Bus Kar Do », JPP a également ciblé les médias via une campagne médiatique de trois jours. Au-delà de la publication de trois vidéos de sensibilisation, le journal Dawn a également partagé l’histoire de trois familles de victimes de la peine de mort. A travers ces histoires, JPP souhaite démontrer à quel point la peine de mort est injuste et non-adéquate. L’organisation a notamment partagé l’histoire de cette mère dont le fils, Khizar, fut arrêté pour le meurtre présumé de son meilleur ami. Si la maladie mentale dont souffrait Khizar et l’absence d’une assistance judiciaire effective auraient dû être retenues comme des circonstances atténuantes, la Cour a néanmoins prononcé la peine de mort dans ce cas. La mobilisation pour la Journée mondiale fut fructueuse. Selon une enquête réalisée par JPP à la suite de la Journée mondiale, 93% des personnes interrogées sont opposées à l’exécution de mineurs ou de personnes souffrant d’un handicap, 64% souhaiteraient réduire le champ d’application de la peine de mort et 53% sont en faveur du rétablissement du moratoire.
Un engagement pour l’abolition fructueux
L’action des abolitionnistes ne se limite pas à la Journée mondiale contre la peine de mort. En plus des nombreuses campagnes de sensibilisation, JPP représente gratuitement des condamnés à mort. Les avocats de JPP ont obtenu plusieurs victoires en obtenant l’acquittement de deux condamnés à mort dans des cas de blasphème et un sursis pour l’exécution de 12 prisonniers. Conscient que la représentation par un avocat est souvent problématique, JPP a mis à disposition un manuel à destination des avocats travaillant sur des cas de torture et de blasphème. Dans un souci de transparence, la Commission des droits de l’homme du Pakistan publie de manière régulière des rapports sur les condamnés à mort et les exécutions.
C’est pourquoi la déclaration des autorités pakistanaises concernant l’allègement de l’application de la peine de mort semble être le résultat direct de cet important engagement de la société civile. Cette déclaration peut aussi être vue comme un premier pas dans la bonne direction.
Image : The Nation