L’entrée en vigueur de la loi abolissant la peine de mort obligatoire pour les drogues dangereuses retardée

Publié par Charles Hector - Ngeow Chow Ying, le 4 avril 2018

10 condamnés à mort en raison du retard dans l’entrée en vigueur de la loi qui abolira la peine de mort obligatoire pour les délits liés au trafic de drogues. 

Nous, les 44 organisations, groupes et syndicats signataires sommes perturbés et attristés d’apprendre qu’au moins 10 personnes, comme rapporté par les médias, ont été condamnées à la peine de mort obligatoire pour trafic de drogue malgré le fait que le parlement ait adopté la Loi sur les drogues dangereuses de 2017 abolissant la peine de mort obligatoire pour les crimes relatifs à ce trafic, et octroyait un pouvoir discrétionnaire aux juges sur la détermination de peines alternatives à appliquer pour ces crimes.

Cette Loi, prise par le Parlement et qui a  reçu un assentiment royal le 27 Décembre 2017, ne peut toujours pas être utilisée par les juges pour trouver des alternatives à la peine de mort en attendant que le Ministre fasse le nécessaire pour faire entrer en vigueur cette loi salvatrice. L’examen attentif du site officiel du Gouvernement de Malaisie démontre qu’un grand nombre de lois ayant obtenu un Assentiment Royal au même moment, voir plus tardivement que la Loi sur les drogues dangereuses sont, quant à elles, actuellement en vigueur.

La Section 3 (2) de cette Loi dispose que « toute procédure prise à l’encontre d’une personne inculpée, que le procès ait débuté ou non, et si la personne n’a pas encore été condamnée par un Tribunal compétent en vertu de l’article 39B de la Loi principale avant la date d’entrée en vigueur de cet amendement, elle devrait, à partir de ladite date d’entrée en vigueur, être traitée par un Tribunal compétent en vertu de la Loi principale telle que modifiée par le présent Amendement ».

Cette Loi sur les drogues dangereuses lorsqu’elle entrera en vigueur sera seulement applicable pour les personnes inculpées n’ayant pas encore été reconnues coupables et condamnées. Ainsi, si la Cour condamne la personne avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le juge sera dans l’obligation d’imposer la peine de mort obligatoire comme sanction.

A ce jour, d’après les informations données par les médias, 10 personnes au moins, dont 5 Malaisiens et 5 étrangers nationaux, ont souffert de l’injustice d’une condamnation à mort du au simple fait que le Ministre tarde à faire le nécessaire pour faire entrer en vigueur cette Loi :

          S. Pragasam – Haute Cour de Ipoh (Malay Mail, 9/2/2018)

          Ong Cheng Yaw and San Kim Huat – Haute Cour de Kuala Lumpur (Malaysian Insight, 8/2/2018)

          Jonas Chihurumnanya(Nigerian) – Haute Cour de Kuching (The Borneo Post, 30/1/2018)

          S. Gopi Kumar – Haute Cour de Kuala Lumpur (The Sun Daily, 24/1/2018)

          A. Sargunan, and four Indian nationals, namely Sumesh Sudhakaran, Alex Aby Jacob Alexander, Renjith Raveendran, and Sajith Sadanandan – Haute Cour de Shah Alam (The Sun Daily, 22/1/2018)

L’examen attentif du site officiel du Gouvernement de Malaisie divulgue que certaines Lois ayant également reçu un Assentiment Royal le 27 Décembre 2012 sont entrées en vigueur le 30 Décembre 2017, et que d’autres lois qui ont reçu l’Assentiment Royal le 29 Décembre 2017 sont entrées en vigueur le 11 Janvier 2018. Si la loi sur les drogues dangereuses entre en vigueur rapidement, ces 10 personnes actuellement dans le couloir de la mort pourrons éventuellement ne pas être condamnées à mort.

Cette nouvelle loi, lorsqu’elle entrera en vigueur ne donnera pas le pouvoir ni aux Hautes Cours, ni aux Cours d’Appel, de modifier les condamnations à mort de ceux d’ores et déjà jugés par la Haute Cour, à moins que la condamnation elle-même ne soit annulée.

Dans le cadre d’un appel pour crime de droit commun, l’accusé a le droit d’interjeter appel, à l’encontre de sa condamnation, et de sa peine. Cependant, lorsque la Loi prévoit une peine obligatoire, en l’occurrence la peine de mort, et lorsque l’accusé ne parvient pas à faire appel de sa condamnation, la Cour ne peut pas examiner la pertinence de cette peine puisqu’il s’agit d’une seule peine possible et obligatoire prévue par la loi.

Le dilemme auquel sont confrontés les juges, qui n’ont toujours pas de pouvoir de décisions jusqu’à l‘entrée en vigueur de la nouvelle loi, se traduit dans les propos du Juge Datuk Ghazali Cha qui en condamnant 5 personnes à mort pour trafic de drogues a exprimé son désarroi : « puisqu’il n’y a qu’une seule peine prévue à l’article 39B de la loi ; le Tribunal condamne tous les accusés à mort ».

Lorsque la nouvelle loi entrera enfin en vigueur, les juges auront d’autres options que la condamnation à mort, et pourront notamment condamner à un emprisonnement à vie avec un minimum de 15 coups de fouet.

          Les raisons inexistantes à ce retard

Il existe encore de nombreuses failles dans cette loi de 2017 et notamment les restrictions imposées aux juges quant aux questions à prendre en compte pour juger de la peine la plus adéquate à prononcer, ce qui va à l’encontre d’une procédure normale dans d’autres procès criminels dans lesquels les juges ont l’entière discrétion pour juger de l’adéquation d’une peine.

Des critiques ont également été soulevées en ce qui concerne les options limitées offertes aux juges quant aux peines à prononcer, il serait en effet certainement plus judicieux que les juges aient la possibilité de prononcer des peines plus légères dans des cas appropriés que l’emprisonnement à vie systématique.

Malheureusement, la nouvelle loi ne permet pas de remédier à la situation de ceux qui ont été exécutés, ni des 800 personnes environs qui sont actuellement dans les couloirs de la mort après avoir été condamnées pour trafic de drogues.

Toutefois, la nouvelle loi abolira la peine de mort obligatoire, et tous ceux qui seront condamnés après son entrée en vigueur pourront échapper à cette condamnation à mort.

Il y a toujours la possibilité d’amender les lois plus tard afin de corriger leurs défauts, ce n’est cependant pas une excuse pour retarder l’entrée en vigueur de la loi sur les drogues dangereuses. 

Le plus dérangeant c’est qu’aucune raison ne semble avoir été donnée par le gouvernement, ni le ministre pour ce retard. Un retard qui affecte pourtant la vie (au sens premier du terme) des 10 personnes condamnées qui font aujourd’hui face à leur bourreau.

Beaucoup de ces personnes condamnées pour ces crimes sont en réalité les premières victimes, les jeunes ou les personnes forcées de se tourner vers le trafic de drogues en raison de leur situation de pauvreté extrême. Le gouvernement en tant que tel peut assumer sa part de responsabilité de laisser se pérenniser une telle situation dans laquelle des personnes se trouvent obligées de commettre des crimes afin de permettre à leur famille et à eux-mêmes de survivre.

Certaines personnes reconnues coupables et condamnées à mort peuvent être des parents, ou avoir de jeunes frères et sœurs, et, contrairement à ce que préconise la Convention Internationale relative aux Droits de l’enfant concernant l’intérêt supérieur de l’enfant, la peine de mort ne peut être considérée comme allant dans ce sens. La Malaisie alors signataire de la CIDE devrait dès lors veiller à ce qu’aucun parent, frère, sœur, ou famille d’enfant ne soit condamnés à mort.

L’abolition de la peine de mort et de la peine de mort obligatoire

Actuellement en Malaisie, et ce même après l’abolition de la peine de mort obligatoire pour le trafic de drogues, il reste 6 infractions pour lesquelles la peine de mort obligatoire est prévue, tandis que 20 autres infractions sont punies par la prononciation discrétionnaire de la peine de mort. Certaines de ces infractions punies par la peine de mort obligatoire ne sont pourtant pas forcément celles qui impliquent la perte d’une vie humaine ou qui causent le plus de lésions corporelles graves.

Donc, nous:

Appelons la Malaisie à faire entrer en vigueur la Loi sur les drogues dangereuses de 2017, le retard de cette entrée en vigueur ayant conduit à la condamnation à mort de 10 personnes pour trafic de drogues

– Appelons la Malaisie à suspendre les procès des présumés coupables de trafic de drogues jusqu’à ce que la nouvelle Loi soit en vigueur afin de permettre aux juges d’imposer une autre peine que la condamnation à mort

Appelons la Malaisie à accélérer l’abolition de la peine de mort et particulièrement de la peine de mort obligatoire pour toutes les infractions que cela concerne

– Appelons à la Malaisie à imposer un moratoire sur les exécutions à mort, en attendant l’abolition de la peine de mort

Charles Hector

Ngeow Chow Ying

Pour et au nom des 44 groupes et organisations ci-dessous enumérées.

ALIRAN (Persatuan Aliran Kesedaran Negara)

ADPAN (Anti Death Penalty Asia Network)

Australians Against Capital Punishment (AACP)

ECPM (Together against the Death Penalty [Ensemble contre la peine de mort])

Center for Prisoners’ Rights Japan

Center for Alliance of Labor and Human Rights (CENTRAL) Cambodia

Democratic Commission for Human Development, Pakistan

FIDH – International Federation for Human Rights

Hands off Cain

Japan Innocence and Death Penalty Information Center

KLSCAH-Civil Rights Committee

Global Women’s Strike, UK

Legal Action for Women, UK

Liberia Coalition of Human Rights Defenders (LICHRD)

MADPET (Malaysians Against Death Penalty and Torture)

Malaysian Physicians for Social Responsibility

MARUAH, Singapore

Migrant Care

Odhikar, Bangladesh

Parliamentarians For Global Action

Paris Bar (Barreau de Paris)

Parti Sosialis Malaysia (PSM)

Payday Men’s Network, UK

Payday Men’s Network – US

Persatuan Komuniti Prihatin Selangor & KL

PROHAM(Society for the Promotion of Human Rights, Malaysia)

Refusing to Kill, UK

Rescue Alternatives Liberia (RAL)

SMU Human Rights Program, Dallas, Texas, USA

Suara Rakyat Malaysia (SUARAM)

Teoh Beng Hock Trust for Democracy

Terai Human Rights Defenders Alliance (THRD Alliance), Nepal

The Julian Wagner Memorial Fund (JWMF)

The Rights Practice

Think Centre, Singapore

We Believe in Second Chances, Singapore

WH4C (Workers Hub For Change)

Women of Colour in the Global Women’s Strike, UK

Women’s Rights and Democracy Centre (WORD Centre), Liberia

World Coalition Against the Death Penalty

German Coalition to Abolish the Death Penalty

ATRAHDOM Guatemala.

North South Initiative

ACAT-Liberia