Les exécutions en Iran, quelle tendance 6 mois après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi anti-drogue ?

Statistiques

Publié par Iran Human Rights, le 29 mai 2018

Selon un nouveau rapport d’IHR au moins 77 personnes, dont 3 mineurs, ont été exécutées entre le 1er janvier et le 20 mai 2018. 4 ont été pendus en public. De toutes ces exécutions rapportées, 62 personnes ont été condamnées à mort pour meurtre, 7 pour Moharebeh (agir en ennemi de Dieu), 7 pour viol, et 1 pour des infractions liées à la drogue. En comparaison, durant la même période en 2017, au moins 203 personnes avaient été exécutées, 112 pour des infractions liées à la drogue. Cette significante diminution semble être due à l’arrêt temporaire des exécutions des personnes condamnées à mort pour des infractions liées à la drogue, les exécutions pour meurtre étant restées sensiblement les mêmes qu’en 2017.

IHR n’a reçu aucune information relative à une quelconque exécution qui serait liée à la drogue depuis l’application du nouvel amendement de la loi anti-drogue le 14 novembre 2017 et ce jusqu’au 10 mai 2018 [exécution de Kiomars Nasouhi]. Cette première exécution liée à la drogue peut indiquer que dans certaines provinces du pays le réexamen des condamnations a été finalisé.

Le présent rapport montre que les procédures de réexamen des personnes condamnées à mort pour des infractions liées à la drogue ont entrainé la commutation de nombreuses condamnations à mort. Bien que tous ces chiffres semblent positifs, ils restent encore de nombreuses interrogations qui restent en suspens et doivent être abordées. Commentant ce rapport, Mahmood Amiry-Moghaddam, le porte-parole d’IHR a déclaré : « Nous apprécions cette significante diminution dans le recours à la peine de mort et espérons que cette tendance continuera jusqu’à l’abolition complète de cette pratique. Cependant nous avons de sérieuses objections concernant le processus de mise en œuvre du nouvel amendement [de la loi antidrogue], notamment la corruption dans le système judiciaire, la capacité insuffisante pour traiter un grand nombre d’affaires et l’absence d’un organe de contrôle chargé de surveiller ce processus ». Il continue ainsi : « Plusieurs milliers de vie sont en jeu, et nous demandons qu’une commission internationale surveille ce processus. Nous demandons également que le réexamen comprenne l’application d’un procès équitable et juste. Par exemple, les prisonniers et condamnés ont-ils eu accès à un avocat après leur arrestation, et ont-ils été soumis à la torture pour faire leurs aveux ? »

Contexte

Le nouvel amendement de la loi anti-drogue entré en vigueur le 14 novembre 2017 inclut un mécanisme de limitation de la peine de mort et réduit les peines de ceux qui ont été condamnés à mort ou emprisonnés à vie.

Selon cet amendement, la possession minimum de drogue, comprenant sa production ou sa distribution, qui résulterait en une condamnation à mort est passée de 30 grammes et 2 kilogrammes pour les drogues industrielles, c’est-à-dire, héroïne, cocaïne et amphétamine ; et de 5 kilogrammes à 50 kilogrammes pour les drogues traditionnelles, telles que l’opium et le hashish.

Selon cette loi, les peines de ceux actuellement sous le coup d’une condamnation à mort ou d’un emprisonnement à vie seront réduites à une « simple » peine d’emprisonnement et à une amende.

L’amendement dispose que la peine de mort doit être limitée à ceux qui ont porté ou utilisé des armes dans le cadre du trafic, ceux qui ont fait acte de parrainage, de création d’un narcotrafic et ceux qui ont intégré des enfants de moins de 18 ans ou des personnes présentant une déficience intellectuelle au sein de telles organisations. Ceux qui ont déjà été condamnés à une peine d’emprisonnement de plus de 15 ans seront également exclus d’une commutation de peine en vertu de ce même amendement.

Cet amendement a été le dénouement d’un long processus de discussion entre le Parlement et l’appareil judiciaire, ainsi qu’entre le Parlement et le Gardien du Conseil, et, est finalement entré en vigueur le 14 novembre 2017. Dans le même temps, le porte-parole de la Commission Judiciaire et Juridique du Parlement, Hassan Nowroozi, qui était l’un des députés à l’origine de l’adoption de cette loi au sein du gouvernement iranien a déclaré : « il y a actuellement environ 5300 prisonniers condamnés à mort pour des infractions liées à la drogue. 90% de ces personnes n’ont pas de casier judiciaire, et la moyenne d’âge se situe entre 20 et 30 ans. »

« Cela signifie », argumente-t-il « que le nouvel amendement de la loi anti-drogue pourrait potentiellement sauver un peu plus de 4700 vies. En outre, si cette loi est correctement mise en œuvre, nous serons les témoins d’une des plus importantes mesures réduisant le recours à la peine de mort de ces dernières années. »

Expliquant la nécessité de l’adoption de cette loi, le Vice-Président de la Commission judicaire et Juridique du Parlement, Yahya Kamalipour, a déclaré le 30 octobre 2017 que 90% des consommateurs et revendeurs de drogues, ces dernières années, ont été obligés de faire du trafic de drogues en raison de la pauvreté. « Ayant été juge et chef du département judiciaire pendant 20 ans je suis très au fait des conditions de vie de ces prisonniers et de leur famille. 90% de ceux qui ont été exécutés ces dernières années ne revendaient de la drogue que pour se faire un peu d’argent, par exemple pour payer un mariage dispendieux à leur fille, ou pour payer une opération à leur mère. Ils ont même fait cela pour quelques millions de Tomans (environ 140 USD) [soit très peu d’argent], et ont été, pour certains d’entre eux, condamnés à mort pour un si petit montant ».

Interviews avec les prisonniers et leurs familles

Ce rapport examine l’état d’avancement des affaires de plusieurs prisonniers condamnés à mort ou à la réclusion à perpétuité pour drogue au cours de ces 6 derniers mois, suivant la mise en en œuvre de la nouvelle réglementation de la loi anti-drogue. Ce rapport se base sur des interviews conduit par des chercheurs d’IHR et de plusieurs prisonniers condamnés à mort pour drogue au sein de 5 prisons différentes, ainsi que leurs familles. Ce rapport permet d’entrevoir une brève vision des interviews qui ont eu lieu et de la procédure de réexamen des affaires soumise à la nouvelle réglementation anti-drogue.

Certaines autorités judiciaires acceptent des pots-de-vin pour accélérer le réexamen des affaires

Les familles de certains prisonniers condamnés à mort ou à perpétuité pour trafic de drogues ont déclaré à IHR que les premiers réexamens d’affaires ont eu lieu début Décembre 2017. Cependant, un grand nombre de familles se sont plaintes de la lenteur de la procédure. D’autres encore pensent qu’il n’y a pas d’ordre, ni d’égalité dans cette procédure de réexamen, et certains ont rapporté que les autorités judiciaires demandaient des pots de vins si les familles souhaitaient que la procédure soit plus rapidement exécutée.

De telles affirmations ont aussi été rapportées par les prisonniers à IHR.

La famille d’un prisonnier condamné à mort dans la prison d’Urmia a déclaré : le réexamen des affaires dans la prison d’Urmia avance vite et certaines des condamnations à mort ont été commuées [en des peines de prisons]. Seul le Tribunal révolutionnaire d’Urmia approuve encore la condamnation à mort pour certaines affaires parce que le juge en charge du réexamen demande aux familles de payer des pots de vin et qu’elles ne s’exécutent pas. Maintenant les familles des personnes condamnées ne savent pas ce qu’elles peuvent faire, ni si elles ont le droit d’objecter cette demande. » Notre source continue ainsi : « la peine de notre prisonnier est passée de 30 ans de réclusion à plus de 200 millions de Tomans d’amende ».

« Dans la chambre du juge, les dossiers s’entassent et trainent du sol jusqu’au plafond »

« Mon frère a été condamné à mort avant la mise en place de cette nouvelle loi. Heureusement la Cour Suprême n’a pas appuyé le verdict et son affaire a été renvoyée au Tribunal révolutionnaire pour réexamen. » Un membre de la famille d’un prisonnier à Téhéran explique : « quand j’ai rendu visite au juge, il m’a expliqué que les Cours étaient submergées dans le réexamen de ces affaires ». Notre interlocuteur continue : « j’ai supplié le juge de s’occuper de l’affaire de mon frère aussi vite que possible, il m’a répondu qu’il allait s’occuper des affaires en fonction de la quantité de drogue retrouvée. Il est actuellement en train de s’occuper d’affaires comprenant des quantités de drogue de 70g, dont celle de mon frère à venir. » Le témoin d’IHR a précisé que dans la chambre du juge il y avait des dossiers et des affaires qui trainaient du sol au plafond. Il aussi déclaré que « les prisonniers condamnés à mort recevaient généralement un nouveau verdit incluant 30 ans de prison et une amende de 200 millions de Tomans. Ceux qui ont déjà été condamnés à perpétuité, sont généralement condamnés à 15 ans de prison. L’un de nos voisins qui a été condamné à mort a été libéré récemment après 11 ans passés prison. Cependant, il y a encore des cas de corruption et autres violations de la loi qui restent habituelles dans les Tribunaux révolutionnaires. »

L’un des prisonniers qui a été condamné à mort à Téhéran par le Tribunal révolutionnaire a confirmé à IHR : « en Janvier mon affaire a été envoyée à la Section 28 où ma condamnation à mort avait été prononcée, mais je n’ai toujours pas eu de leurs nouvelles. Le juge Moghiseh et le juge Teyrani n’ont traité aucune affaire. Apparemment le juge Teyrani va prendre sa retraite dans quelques semaines ». La mère d’un autre prisonnier condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire de Téhéran nous dit : « Le verdict de mon fils n’a pas encore été prononcé. Nous n’avons jamais eu d’avocat, ni même d’argent, et nous sommes très inquiets. Beaucoup de prisonniers avec une très grosse quantité de drogue retrouvée sur eux ont déjà reçu leur verdict, ou ont été libérés. Mon fils n’avait que 600 grammes d’héroïne sur lui et n’a pas de casier judiciaire. »

Réaffirmation de plusieurs condamnations à mort malgré l’absence de casier judiciaire

En outre, la mère d’un autre prisonnier qui a été condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire d’Urmia déclare : « maintenant la condamnation à mort est réduite à 30 ans de prison et à 200 millions de Tomans d’amende ; cependant, les peines de certains prisonniers ont été réduite à 25 ans et 1 jour. Ceux qui avaient été condamné à perpétuité sont seulement condamnés à 15 ans de prison et 1 jour. Jusqu’à présent 6 ou 7 personnes ont vu leur condamnation à mort confirmée par le juge Sheikhloo de la Section 2 du Tribunal révolutionnaire. Certains de ces prisonniers n’avaient pas de casier judiciaire. » Un prisonnier qui a été condamné à mort à Urmia a dit à IHR : « Je connais au moins 4 personnes sans casier judiciaire dont la peine de mort a été confirmée par la Section 2 du Tribunal révolutionnaire. Ces 4 personnes sont en prison depuis plus de 5 ans. Pour deux d’entre eux, le verdict a été rendu en raison d’une accusation d‘établissement d’un gang de narcotrafiquants, l’un pour avoir investit dans le trafic de stupéfiants et l’autre pour avoir employé des personnes dans ces gangs. »

Disproportion entre le crime et la condamnation : 30 ans en prison pour 200 grammes et 40 kilogrammes

Un membre de la famille d’un prisonnier qui a été condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire d’Ispahan a aussi raconté à IHR : « mon frère a été arrêté et condamné à mort pour avoir possédé 40 kilogrammes d’héroïne il y a deux ans. Heureusement sa condamnation a été commuée à 30 ans de prison et 200 millions de Tomans d’amende sans que, ni lui, ni son avocat ne fasse appel. »

En réponse à la question pour savoir si la peine de mort a été maintenue dans certaines affaires il a répondu : « Jusqu’à présent, aucune condamnation à mort n’a été maintenue à Ispahan, la plupart des peines sont réduites et les autres accusés attendent toujours le résultat. »

La femme d’un prisonnier qui a été condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire de Sari a dit à IHR : « La peine de mon mari a été réduite. Il a été condamné à mort pour 200 grammes d’héroïne mais sa sentence a été commuée à 30 ans de prison et à 200 millions de Tomans d’amende. C’est injuste que la même peine soit imposée pour 200 grammes et 40 kilogrammes.

Un membre de la famille d’un prisonnier condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire de Sari a déclaré à IHR : « La plupart des nouveaux verdicts sont rendus à la demande des gardiens de prison. La plupart des prisonniers sont maintenant condamnés à 30 ans de prison et 200 millions de Tomans d’amende. Mon neveu a également reçu la même sentence et il est autorisé par la loi à avoir un congé ou à être transféré dans sa ville natale parce qu’il est en prison depuis cinq ans maintenant, mais ils ne l’ont pas encore accepté. » En réponse à le question si certaines condamnations à mort ont été maintenues par le Tribunal révolutionnaire de Sari, il a répondu : aucunes condamnations à mort n’ont été réaffirmées par le Tribunal révolutionnaire de Sari depuis que la nouvelle loi est en vigueur ».

Il compte sur « le remplacement du procureur de Mazandaran, Sheikh Jafari, pour l’amélioration de sa situation.

L’épouse d’un prisonnier condamné à mort par le tribunal révolutionnaire d’Ispahan a déclaré : « Je ne sais pas sur quelle base ils ont prononcé la sentence de mon mari. Il a été condamné à 26 ans de prison et à une amende de 122 millions de Tomans pour 350 grammes d’héroïne par le juge Pour-Rezaei. Le même juge a condamné un autre prisonnier accusé d’avoir eu en sa possession de 76 kilogrammes d’héroïne à 30 ans de prison et à une amende de 200 millions de Tomans. Pourquoi ne pouvons-nous pas nous opposer à cette décision ? »

Un prisonnier de la prison de Ghezelhasar à Karaj, qui a été condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire de Téhéran, et désormais condamné à 30 ans de prison et 200 millions de Tomans d’amende a dit à IHR : « Bien sûr, la commutation de la peine de mort en peine de prison a un effet psychologique et a déjà soulagé les prisonniers et leurs familles, mais à la fin de la journée, il faut regarder le résultat réel : la plupart des prisonniers ont été condamnés à des peines de près de 30 ans de prison. C’est une bonne chose seulement s’ils peuvent espérer la clémence pour l’avenir. Cela reste assez flou dans la possibilité de faire appel à ces verdicts, ou non. »

Conclusions et recommandations

Malgré le fait qu’un grand nombre des condamnations à mort de plusieurs prisonniers aient été commuées en peine de prison et amende, il reste de sérieuses inquiétudes. Ce bref rapport, qui a pu voir le jour grâce aux interviews et aux familles, révèle quelques faits préoccupants :

1.    Le problème de corruption et de pots de vin dans le système judiciaire iranien : cela peut être lié à une violation des droits des prisonniers qui sont parmi la classe la plus pauvre de la société.

2.    L’insuffisance des ressources octroyées au processus judiciaire : c’est notamment le cas dans les grandes villes et régions où le nombre de prisonniers condamnés pour drogues est très élevé. Nos témoins oculaires nous ont notamment rapporté que certaines des chambres des juges « étaient remplies de dossier de ces affaires maculant le sol et le plafond ». Ce problème peut conduire à des inégalités dans le traitement des affaires.

3.    L’absence de supervision et d’indépendance dans le processus d’examen des cas et le manque de transparence. Ce problème, ainsi que le manque de moyen du système judiciaire, la corruption et les pots-de-vin, peuvent conduire à de graves injustices dans le processus d’examen des affaires.

4.    Le manque de chance d’avoir un procès équitable lors de l’examen des affaires : étant donné que de nombreuses condamnations à mort ont été prononcées sur la base d’aveux extorqués sous la torture, les aveux initiaux doivent être totalement ignorés. Lors de l’examen de ces affaires, les accusés devraient avoir des avocats – ce qui n’est pas le cas – et de nombreux autres piliers dignes d’un procès équitable ne sont pas présents dans le processus.

5.    La disproportion entre le crime et la condamnation : beaucoup de prisonnier dont les condamnations à mort ont été commuées ont été condamnés à 30 ans de prison, sans considération pour le genre et le degré d’aggravation du crime.

Bien que la nouvelle loi réduit le nombre d’exécution relatives aux crimes liés à la drogue, il est important de se souvenir des problèmes mentionnés ci-dessus.

En attendant, la communauté internationale devrait suivre le processus d’examen de ces affaires et demander aux autorités iraniennes d’être transparentes à cet égard. En outre, il y a un besoin urgent d’envoyer une délégation internationale d’observateurs, et il est essentiel de faire pression sur les autorités iraniennes pour qu’elles acceptent et mettent en place un tel système. Dans le mécanisme actuel, les mêmes juges qui ont prononcé les condamnations à mort sont responsables de l’examen de ces mêmes affaires. En outre, le problème des pots-de-vin et de la corruption dans le système judiciaire iranien doit être traité de manière adéquate.

L’IHR demande également la mise en place d’un système permettant de rendre régulièrement compte du processus de réexamen à une délégation internationale d’observateurs. Le pouvoir judiciaire et les autorités iraniennes devraient également fournir aux Nations Unies une liste de tous ceux qui sont condamnés à mort afin que l’ONU puisse disposer d’une capacité de surveillance plus transparente.

L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, qui a collaboré avec les autorités iraniennes de lutte contre les stupéfiants, devrait avoir accès à la liste de tous les prisonniers condamnés à mort pour des infractions liées à la drogue et surveiller le processus de commutation des condamnations à mort.

De même, l’Union européenne et les pays participant aux projets de l’ONUDC en Iran ne devraient pas supprimer leur assistance financière tant que ces réformes ne seront pas pleinement mises en œuvre. En outre, la question d’un procès équitable concernant les détenus arrêtés pour crimes liés à la drogue devrait devenir une priorité dans les discussions avec les autorités iraniennes à l’avenir.

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