Violations du droit à la vie dans le contexte des politiques en matière de drogues

Déclaration

Publié par International Harm Reduction Association (IHRA), Corporación ATS Acción Técnica Social, IDPC Consortium, Washington Office on Latin America, non-governmental organizations in special consultative status. Anti-Death Penalty Asia Network (ADPAN); Capital Punishment Justice Project (CPJP); Centre on Drug Policy Evaluation (CDPE); Cornell Centre on the Death Penalty Worldwide; Eleos Justice - Monash University; Instituto RIA, AC; Iran Human Rights (IHR); World Coalition Against the Death Penalty., NGO(s) without consultative status, also share the views expressed in this statement, le 10 août 2021





Harm Reduction International et les co-signataires félicitent M. Tidball-Binz pour sa nomination en tant que Rapporteur Spécial sur les exécutions sommaires. Par cette déclaration, nous soulignons les principales violations du droit à la vie permises par les politiques répressives en matière de drogues ou signalées dans le contexte de l’application de la loi sur les drogues ; et nous encourageons ce Rapporteur à accorder une attention particulière à l’impact du contrôle des drogues sur le droit à la vie dans ses activités futures.

La peine de mort pour les infractions liées à la drogue

La mort reste une peine possible pour les infractions liées à la drogue dans au moins 35 pays. Entre 2008 et 2020, plus de 4 500 personnes ont été exécutées pour des infractions liées à la drogue dans le monde, tandis qu’au moins 3 000 personnes se trouvent toujours dans le couloir de la mort.
En raison du manque systémique de transparence entourant l’imposition de la peine de mort – en soi incompatible avec les normes relatives aux droits de l’homme(2), ces chiffres représentent une sous-estimation du phénomène(3).
En 2020, une baisse significative des exécutions connues a été enregistrée, principalement en raison d’un moratoire non officiel sur les exécutions liées à la drogue en Arabie saoudite. Sur les 30 exécutions confirmées pour des infractions liées à la drogue, 25 ont eu lieu en Iran.(4) 30 exécutions liées à la drogue ont été signalées en Iran entre janvier et mai 2021 seulement(5).
Les condamnations à mort et les exécutions pour des infractions liées à la drogue sont arbitraires à plusieurs niveaux. Entre autres :

1) Elles sont commises pour des bases légales en contradiction avec les normes internationales: les infractions liées à la drogue ne répondent pas à la définition des » crimes les plus graves » auxquels le Pacte international relatif aux droits civils et politiques impose de limiter la peine de mort, dans les pays favorables au maintien de la peine de mort ;

2) Dans au moins 12 pays, la mort est la peine obligatoire pour certaines infractions liées à la drogue, ce qui empêche les tribunaux d’examiner toutes les circonstances de l’infraction/du délinquant, y compris les circonstances atténuantes, les cas de trafic d’êtres humains et l’appartenance du défendeur à un groupe protégé(6) ;

3) Les exécutions font souvent suite à des procès dépourvus de garanties juridiques fondamentales. Les violations de l’équité des procès dans les affaires de drogue capitale sont bien documentées, notamment : aveux forcés ; renversement de la présomption d’innocence ; refus d’assistance juridique ; absence d’interprétation et d’assistance consulaire pour les ressortissants étrangers ; absence d’examen adéquat des demandes de clémence.(7) Une tendance particulièrement problématique observée depuis l’épidémie de COVID-19 est l’imposition de condamnations à mort à la suite d’audiences tenues virtuellement, en l’absence des garanties essentielles d’équité des procès.(8)

4) Les personnes condamnées à mort subissent souvent des violations de leur droit à ne pas être soumises à la torture et aux mauvais traitements, sous la forme de : torture avant/pendant/après le procès ; absence de notification en temps utile de la date d’exécution ; exécutions publiques. Les mécanismes des droits de l’homme ont conclu que » le non-respect de l’article 7 rendrait inévitablement l’exécution arbitraire par nature » ;(9)

5) Les condamnations à mort pour drogue sont souvent prononcées de manière discriminatoire, touchant de manière disproportionnée les plus pauvres et les plus marginalisés de la société(10) et du marché de la drogue. En outre, la surreprésentation des ressortissants étrangers a été liée aux préjugés et à la discrimination ethnique(11).
Réintroduction/extension de la peine de mort pour les infractions liées à la drogue.
L’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques empêche les pays abolitionnistes de réintroduire la peine de mort et de l’étendre à de nouveaux délits/crminels. Néanmoins, une tendance s’est dessinée en faveur du rétablissement ou de l’extension de la peine de mort pour les infractions liées à la drogue ; sous la forme de :

a) La fin des moratoires sur les exécutions, comme dans le cas de l’Indonésie en 2015(12) et du Sri Lanka, dont les autorités ont récemment exprimé leur intention de reprendre les exécutions de personnes condamnées à mort pour trafic de drogue.(13)

b) (Ré)introduction de la peine de mort. La réintroduction de la peine capitale pour les infractions liées à la drogue est discutée aux Philippines et incluse dans un projet de loi récemment approuvé par la chambre basse du Parlement(14). Cette évolution est particulièrement problématique dans le contexte de la campagne antidrogue en cours et des violations systématiques des droits de l’homme signalées(15), ainsi que du fait que les Philippines ont ratifié le deuxième protocole facultatif se rapportant au PIDCP (OPII). La (ré)introduction de la peine capitale dans un pays signataire de l’OPII serait sans précédent et représenterait un défi majeur pour le système du droit international des droits de l’homme. En outre, le rétablissement de la peine de mort dans le pays devrait être dénoncé comme une entrave à la coopération technique du HCDH avec les Philippines, telle qu’elle est définie dans la résolution 45/33 du Conseil des droits de l’homme et les initiatives qui en découlent(16).

c) Extension à de nouvelles infractions. Par exemple, le Bangladesh a étendu l’application de la peine capitale à la fabrication/distribution de méthamphétamine fin 2018.
En 2014, ce rapporteur a discuté des cas de reprise liés aux développements politiques, concluant :

» Les exécutions peuvent être considérées comme arbitraires si elles sont reprises en raison de développements étrangers, sans rapport avec le crime ou le criminel. […]. L’exécution de ce condamné dans le but de démontrer la force du système de justice pénale est arbitraire « (17).

Privation arbitraire de la vie

Les exécutions extrajudiciaires sont absolument interdites par le droit international. Il est inquiétant de constater que des milliers d’exécutions extrajudiciaires présumées, commises dans le cadre de campagnes anti-drogue répressives, sont signalées dans le monde. Nous soulignons, entre autres, la situation aux Philippines(18), au Brésil(19), au Bangladesh(20), au Mexique(21) et aux États-Unis(22). Dans ces pays, des centaines, voire des milliers de personnes soupçonnées d’être impliquées dans le marché de la drogue sont arbitrairement privées de leur vie, les auteurs de ces crimes jouissant presque invariablement d’une impunité absolue. Les personnes vivant dans la pauvreté, ou appartenant à des communautés victimes de discrimination raciale, sont touchées de manière disproportionnée(23).
En considérant les exécutions extrajudiciaires, nous mettons l’accent sur :

1) l’absence d’enquête, de poursuites et de tenir les auteurs responsables de leurs actes(24) ; et

2) La situation critique des victimes secondaires. Cela a été dénoncé par ce Rapporteur Spécial en 2014 dans le cadre de la guerre contre la drogue aux Philippines :

« La majorité des victimes étant des hommes, leurs partenaires féminines, en vertu aussi de leurs rôles sexospécifiques, doivent faire face à la stigmatisation, à la peur, à l’insécurité et aux privations économiques qui y sont associées, en plus du fardeau que représentent l’identification et l’enterrement de leurs proches décédés et la recherche de la justice. »(25)

Obligations positives

L’observation générale n° 36 du Comité des droits de l’homme énonce les obligations positives des États en matière de protection de la vie. Trois aspects sont particulièrement pertinents pour les politiques en matière de drogues :

a) L’obligation de prendre des mesures pour protéger la vie des individus privés de liberté – y compris dans les prisons et les centres de détention et de réhabilitation pour toxicomanes.
Selon Harm Reduction International, le traitement par agonistes opioïdes et les programmes d’échange d’aiguilles et de seringues – des services de réduction des risques d’une importance vitale – ne sont disponibles dans qui sont implantées que dans 59 les prisons et dans 10 pays respectifs. Pendant ce temps, les centres publics et privés de traitement de la toxicomanie (que les gouvernements ont l’obligation de réglementer et de contrôler) continuent de fonctionner dans de nombreux pays, et l’on estime que 500 000 personnes sont arbitrairement détenues dans des centres de détention obligatoire pour toxicomanes rien qu’en Asie.(26) Nombre de ces centres imposent des « traitements » non fondés sur des preuves scientifiques, y compris l’humiliation, la violence physique et psychologique et le travail forcé, ce qui a entraîné des décès dans plusieurs cas.(27)

b) Devoir « prendre des mesures appropriées pour remédier aux conditions générales de la société qui peuvent donner lieu à des menaces directes contre la vie ou empêcher les individus de jouir de leur droit à la vie dans la dignité, [y compris] la prévalence de maladies mortelles, telles que le SIDA, la tuberculose »(28) Parmi ces conditions figurent la criminalisation de la consommation et de la possession de drogues pour usage personnel, l’absence/la criminalisation des services de réduction des risques, les obstacles à l’accès aux services de santé, au logement et à l’emploi pour les personnes qui consomment des drogues, la stigmatisation et la discrimination.

c) L’obligation de prendre des mesures pour éviter « les dommages ou les préjudices prévisibles et évitables mettant fin à la vie »(29), ce qui doit être interprété comme incluant les décès par overdose, qui sont la principale cause de décès liés à la drogue et qui peuvent être largement évités grâce à un ensemble complet de mesures, notamment la dépénalisation de l’usage et de la possession de drogues pour usage personnel, la distribution de naloxone dans les communautés et les services de réduction des risques(30).
Recommandations

A la suite de ce qui a été exposé ci-dessus, nous demandons respectueusement au Rapporteur Spécial de :

  • Continuer à dénoncer les violations commises ou permises dans le cadre du contrôle des drogues ; et à appeler à une approche des drogues basée sur les droits de l’homme et la santé. La 47ème session du Conseil est une occasion importante pour mettre en évidence les impacts négatifs des politiques répressives en matière de drogues sur le droit à la vie, notamment à la lumière de l’étude sur les politiques en matière de drogues qui sera présentée par le GTDA(31) ; et de l’ID sur le rapport du Haut Commissaire sur le racisme systémique(32) ;
  • Promouvoir une interprétation inclusive du droit à la vie qui englobe les obligations positives d’éviter les décès évitables et de promouvoir la jouissance d’une vie dans la dignité – conformément à l’observation générale 36 ; et
  • Produire un rapport sur l’éventail des violations du droit à la vie commises dans le cadre de la lutte contre la drogue, en réfléchissant également aux responsabilités des Etats concernant la jouissance de la vie dans la dignité et l’obligation de protéger la vie des individus sous leur contrôle direct, en particulier dans les lieux de détention et dans les centres de traitement de la toxicomanie.

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