71e Session ordinaire de la Commission africaine : focus sur la torture et la peine de mort
Afrique
La Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) s’est encore une fois réunie sur Zoom pour sa 71e Session ordinaire du 21 avril au 13 mai 2022. L’Honorable Rémy Ngoy Lumbu, Président de la Commission, a fait part de son espoir de voir la prochaine session se tenir en présentiel à Banjul cet automne.
La Coalition mondiale contre la peine de mort a suivi cette session avec attention, aux côtés de ses organisations membres : FIACAT (la Fédération Internationale des ACATS), COJESKI (Collectif des Organisations de Jeunes solidaires du Congo-Kinshasa), SHRDO (Society for Human Rights and Developpment Organization, Sierra Leone), UCPDHO (RDC), REPRODEVH (Niger), Coalition mauritanienne contre la peine de mort, CODHAS (DRC), Pax Christi Uvira (RDC), RADHOMA (RDC), Coordination Eveil (Mauritanie), REJADD Togo, SYNAFEN (Niger), et la Coalition nigérienne contre la peine de mort.
La peine de mort à l’ordre du jour
La cérémonie d’ouverture a donné le ton de la Session avec deux appels à l’abolition. Blaise Tchikaya, juge à la Cour Africaine de Justice et Vice-Président de la Cour, et Eamon Gilmore, représentant de l’Union Européenne, ont tous deux certifié dans leur déclaration leur attachement à l’abolition de la peine de mort en Afrique. Cette session a été particulièrement intéressante pour la communauté abolitionniste puisque le rapport périodique du Kenya a pu être étudié. ICJ Kenya, la Commission des droits de l’Homme du Kenya, ECPM, Reprieve et la Coalition mondiale, ont soumis en amont une note de position sur la peine de mort au Kenya à la Commission Africaine sur les Droits de l’Homme et des Peuples. Aussi, une déclaration conjointe sur la peine de mort en Afrique a été soumise à la Commission par la FIACAT, ECPM et la Coalition mondiale.
Dans son rapport d’activité intersession, l’Honorable Commissaire Idrissa Sow, Président du Groupe de travail sur la Peine de mort et les Exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires en Afrique, a dépeint un portrait très complet de la situation de la peine de mort en Afrique. Le nombre d’Etats abolitionnistes n’a pas évolué pendant la période d’intersession : 46 Etats membres ont aboli la peine de mort (23 dans la loi et 23 en pratique). Le Président a exprimé ses inquiétudes concernant la Tunisie, qui a condamné à mort des dizaines de personnes entre janvier et mars 2022, allant à l’encontre du moratoire instigué 30 ans auparavant, et à propos de la RDC, qui a condamné à mort 51 personnes le 29 mars 2022.
Panel sur la torture et la peine de mort
L’Honorable Président de la CADHP, Rémy Ngoy Lumbu, a finalement ouvert le panel conjoint organisé par la FIACAT et la Coalition mondiale. L’événement a été introduit avec une déclaration forte : « La peine de mort est quelque chose qui tue encore l’Afrique ».
A la lumière de la thématique de la Journée mondiale 2022, le lien entre la peine de mort et la torture était au cœur des discussions. Les intervenants ont pu se demander si la peine de mort pouvait être qualifiée de torture ou non. Bien qu’il s’agisse d’un sujet particulièrement sensible au regard des standards internationaux en vigueur, la torture semble inhérente à la peine de mort à toutes les étapes de la condamnation.
Angela Uwandu, qui travaille à ASF France au Nigéria, membre de la Coalition mondiale, a expliqué très clairement la réalité de la peine de mort et sa relation avec la torture. Elle a expliqué le processus de condamnation à mort et a dénoncé les formes de torture auxquelles les personnes condamnées à mort pouvaient faire face. La torture est présente de l’arrestation, aux investigations (aveux forcés), à certaines méthodes d’exécution, en passant par le syndrome du couloir de la peine et la torture psychologique découlant de l’attente du jour de la mise à mort.
Ce panel a été particulièrement émouvant, la parole a été donnée à un ancien condamné à mort de la République du Bénin, Etat abolitionniste depuis 2016. Yaovi Azonhito a passé 20 ans dans le couloir de la mort avant de recevoir la grâce présidentielle. Il a fait part des atrocités des conditions de détention des condamnés à mort, des conditions matérielles à l’extrême anxiété causée par l’approche de la mort. Il vit désormais dans la précarité, isolé de sa famille, selon lui « comme une feuille tombée d’un arbre, attendant que le vent l’emporte ».
Bonnes nouvelles
Durant l’introduction du panel sur la peine de mort l’Honorable Idrissa Sow a annoncé que 1400 condamnations à mort ont été commuées en emprisonnement à vie au Kenya, un Etat qui prévoit toujours la peine de mort dans sa législation. C’est la troisième fois que le Kenya commue autant de condamnations à mort (~4000 en 2009 ; et 2747 en 2016).
D’importants progrès ont été réalisés après la Session. La République Centre Africaine a aboli la peine de mort pour tous les crimes le 27 mai, devenant ainsi le 24e Etat Africain à abolir la peine de mort. La Zambie pourrait être le prochain. Le Président a annoncé la commutation des condamnations de 30 condamnés à mort, et la soumission d’un projet de loi abolitionniste au Parlement. La loi a été votée par l’Assemblée nationale et doit encore passer devant le Sénat. Le Malawi a aussi progressé vers l’abolition en organisant une enquête publique relative à une proposition pour abolir la peine de mort.