Réflexion sur les liens entre peine de mort et violences fondées sur le genre

Normes internationales

Congrès mondial

Publié par Coalition mondiale contre la peine de mort, le 25 novembre 2022

En ce 25 novembre 2022, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, la Coalition mondiale contre la peine de mort, à travers le témoignage de représentant·es d’organisations abolitionnistes membres et partenaires, souhaite visibiliser les liens entre peine de mort et violences faites aux femmes et aux minorités de genre et dénoncer le caractère injuste et inhumain de la peine de mort.


A l’occasion du 8-ème Congrès Mondial contre la Peine de Mort qui s’est tenu à Berlin du 15 au 18 novembre 2022, nous avons discuté avec Connie Numbi de Foundation for Human Rights Initiative (FHRI Ouganda), Elsy Sainna de International Commission of Jurists (ICJ Section du Kenya) et Nandana Manatunga de Human Rights Office of Kandy (Sri Lanka) pour réfléchir, sur la base de leurs expériences, aux liens existants entre la violence fondée sur le genre et la peine de mort.

Le résultat est sans appel : bien que le sujet des femmes et minorités de genre condamnées à mort ait longtemps été invisibilisé, aujourd’hui, grâce à de nombreuses recherches, nous pouvons affirmer que les violences fondées sur le genre sont un élément constitutif des profils des femmes condamnées à mort et des circonstances menant aux crimes, notamment dans le cadre de meurtre de membres de la famille dans un contexte de violences fondées sur le genre. Par ailleurs, les violences fondées sur le genre se retrouvent aussi largement une fois la sentence proclamée, dans le couloir de la mort.

Les femmes ayant vécu des violences basées sur le genre sont surreprésentées dans les profils des femmes condamnées à mort, notamment pour meurtre

Elsy Sainna de ICJ Kenya nous explique ainsi qu’au Kenya, où environ 597 femmes sont actuellement détenues dans le couloir de la mort (données des prisons au Kenya), une grande proportion a été condamnée pour le crime de meurtre, dans un contexte de violences fondées sur le genre. Elsy mentionne ainsi le cas de nombreuses femmes, confrontées à la violence d’un partenaire intime qui ont commis un meurtre dans le cadre de la légitime défense. Connie Numbi de FHRI, fait le même constat. En novembre 2022, 3 femmes sont actuellement dans le couloir de la mort en Ouganda, leurs histoires et celles de toutes celles qui y sont passé révèle également ce lien intrinsèque. La situation au Kenya et en Ouganda illustre plus largement la tendance mondiale en ce qui concerne les motifs des crimes commis par les femmes condamnées à mort. Comme le mettent en avant les recherches du Cornell Center on the Death Penalty Worldwide, le motif principal des condamnations à mort chez les femmes est le crime de meurtre, souvent lié à des violences fondées sur le genre. Connie mentionne ainsi le cas d’une femme qui a été condamnée à mort pour avoir tué son mari qui l’avait agressée sexuellement pour avoir refusé des rapports sexuels avec lui. Cette femme est restée silencieuse pendant plus de 15 ans, sans jamais fournir la moindre information sur le contexte de légitime défense du crime qu’elle a commis. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas parlé, elle a répondu que « lorsqu’une femme commet un tel crime, on vous traite de menteuse. Si j’avais parlé, ça se serait retourné contre moi, donc je suis resté silencieuse ». Le cas de cette femme souligne les préjugés sexistes auxquels font face les femmes condamnées à mort lorsqu’elle ne correspondent pas aux stéréotypes de genre. Ici perçue comme une « mauvaise femme », « une femme violente » pour avoir tué son mari, son histoire n’était pas entendable.

Comme le rappellent Elsy et Connie, la plupart du temps, les tribunaux ne tiennent pas systématiquement compte des abus, de la violence sexiste et des traumatismes comme facteurs d’atténuation des peines. Le rapport de 2018 du Cornell Center on the Death Penalty Worldwide, met ainsi en avant l’incapacité de certains tribunaux à prendre en compte ces enjeux, même lorsque les avocat·es rassemblent de telles preuves lors du prononcé de la peine. Malgré tout, certains progrès peuvent être notés et annoncent de possibles évolutions positives dans la prise en compte de circonstances atténuantes dont les violences basées sur le genre. Elsy fait ainsi référence à l’affaire State v Truphena Ndonga Aswani [2021], où en cours d’appel, les antécédents de violence domestique de la femme condamnée à mort pour le meurtre de son mari violent ont été pris en compte et ont contribué à la réduction de sa peine. Le tribunal l’a condamnée à purger une peine non privative de liberté d’un jour d’emprisonnement. Cette décision a été saluée car elle tenait compte de l’état physiologique et émotionnel de l’accusée qui l’avait conduite à commettre le délit. Bien qu’il s’agisse d’un cas isolé, Il il montre l’importance de la prise en compte des circonstances atténuantes par les magistrats avant de prononcer une sentence.

Dans les prisons, les besoins spécifiques des femmes et minorités de genre ne sont pas pris en compte et ces dernier·es sont encore trop souvent exposées à des violences basées sur le genre

Le lien entre violences basées sur le genre et peine de mort ne s’arrête pas au procès, il continue, une fois la sentence prononcée, dans le couloir de la mort.

Nandana Manatunga explique par exemple qu’au Sri Lanka, où, selon le bureau des droits de l’homme de Kandy, 12 femmes sont dans le couloir de la mort, le personnel pénitentiaire est mixte. Cette situation expose les femmes condamnées à mort à des risques continus de violences fondées sur le genre. Il raconte ainsi le cas de femmes exposées à des violences sexistes et sexuelles perpétrées par le personnel pénitencier homme : fouilles abusives, violences physiques et psychologiques, viols etc. Par ailleurs, Nandana souligne le caractère inhumain des conditions de détention. Les détenues vivent dans des cellules minuscules, reçoivent des tapis très fins pour dormir, n’ont pas accès à des produits hygiéniques ni à aucune activité d’occupation, les températures dans les pièces non ventilées atteignent des niveaux dangereusement élevés, les visites sont limitées à une par ans, etc.

Enfin, il semble important de rappeler que les minorités sexuelles et de genre condamnées à mort sont particulièrement vulnérable à la violation de leurs droits en prisons ou elles sont exposées aux fouilles abusives, aux isolements abusifs, aux sanctions arbitraires, etc.

Des pistes de solutions pour une prise en compte des discriminations intersectionnelles que rencontrent les femmes et minorités de genre condamnées à mort

Pour répondre aux discriminations intersectionnelles que rencontrent les personnes condamnées à mort, Connie et Elsy insistent sur l’importance de proposer des formations aux acteurs judiciaires, dont les avocat·es et les juges pour qu’ils et elles soient formé·es sur comment prendre en compte les violences fondées sur le genre et les discriminations intersectionnelles. Nous pouvons aussi mentionner la nécessité pour les états, d’adopter des politiques sensibles au genre, alignées avec les Règles de Bangkok et de Mandela, en ce qui concerne la détention des femmes, afin qu’elles garantissent leur sûreté et leur sécurité avant le procès, pendant leur admission en prison et pendant leur incarcération.

Connie met également en avant le rôle clef des médias. « Une fois qu’on raconte leurs histoires, les gens écoutent leurs voix » rappelle-elle. A travers les histoires des femmes condamnées à mort, il existe une réelle opportunité de faire évoluer l’opinion publique sur le caractère injuste et inhumain de l’utilisation de la peine de mort.

Enfin, le travail des organisations de la société civile est nécessaire à tous les niveaux pour s’assurer de la prise en compte systématique de ces enjeux dans la lutte abolitionniste. A Berlin, le Groupe de Travail Genre de la Coalition Mondiale contre la Peine de Mort, réunissant ses organisations membres disposant d’un intérêt et/ou d’une expertise sur le genre et ayant pour objectif d’accompagner la prise en compte de ces enjeux dans le mouvement abolitionniste, s’est réuni pour la première fois. Comme le rappelle Elsy, ce groupe de travail est une étape déterminante pour la lutte abolitionniste et laisse présager des avancées concrètes dans les années à venir.

Documents joints

Document(s)

Jugée pour plus que son crime

Publié par Coalition mondiale contre la peine de mort, le 7 octobre 2021


2021

Rapport d'ONG

Femmes

en
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