Augmentation « effrayante » du nombre d’exécutions en Iran
MENA
Iran Human Rights (IHRNGO) rapporte qu’au moins 243 personnes, dont 10 femmes, ont été exécutées en 2024 jusqu’au 15 juin. En 2023, le nombre de personnes exécutées est passé de 582 à 834. Au moins 471 personnes ont été exécutées pour des accusations liées à la drogue. Cela représente une augmentation de 84 % par rapport à 2022 (256).
Vue d’ensemble des exécutions liées à la drogue en Iran
Le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits humain a déclaré que la situation en Iran était « effrayante ».
L’ ONG Iran Human Rights (IHR) a récemment indiqué qu’entre le 17 avril et le 15 mai 2024, 103 personnes, dont 3 femmes, ont été exécutées, 61 d’entre elles pour des infractions liées à la drogue.
La comparaison avec les années antérieures à 2021 est particulièrement intéressante. En effet, la réforme de 2017 des lois anti-narcotiques a entraîné une véritable baisse des exécutions pour les infractions liées à la drogue. Par exemple, en 2019, 28 personnes ont été exécutées pour des infractions liées à la drogue. L’année 2021 a marqué un changement important avec la nouvelle présidence d’Ebrahim Raisi et la nomination d’un nouveau chef du pouvoir judiciaire, Gholamhossein Eje.
Selon le rapport de Harm Reduction International (HRI), en 2023, 98 % des condamnations à mort liées à la drogue dans le monde ont été prononcées en Iran.
Un examen plus approfondi des antécédents des personnes exécutées révèle que certaines communautés sont surreprésentées.
Tout d’abord, en ce qui concerne les minorités, un récent rapport d’Amnesty International souligne que la communauté baloutche représentait 29% des personnes exécutées pour infraction à la législation sur les stupéfiants en 2023. Or, cette minorité ne représente que 2 à 6 % de la population iranienne. Cette minorité correspond à la province la plus pauvre d’Iran. Or, la justice iranienne ne tient pas compte des circonstances particulières qui conduisent à une condamnation à mort pour infraction à la législation sur les stupéfiants.
La minorité kurde est également touchée par les condamnations à mort. L’ONG IHR a rapporté que plusieurs Kurdes-Sunnites ont été exécutés en 2024.
L’ONG IHR signale également que trois femmes ont été exécutées pour infraction à la législation sur les stupéfiants en 2023. Son rapport annuel explique le cas de Zarkhatoun Mazarzehi. Elle a été exécutée le 15 novembre 2023 pour avoir transporté des matières premières, des produits cosmétiques qui étaient pris pour de la drogue.
Brian Egan a étudié la place des ressortissants étrangers parmi les personnes condamnées à mort pour trafic de drogue. Son rapport montre que les ressortissants étrangers sont particulièrement touchés par les arrestations à la frontière iranienne. En effet, l’Afghanistan et le Pakistan font partie de la route du trafic de drogue. Brian Egan soulève également la question des personnes transportant de la drogue, qui ne bénéficient pas de la présomption d’innocence. Elles sont donc déclarées coupables même si elles ne le sont pas. M. Ali Zehi a enquêté sur un village d’Afghanistan qui a perdu 1 000 habitant·e·s kidnappé·e·s pour participer au trafic de drogue.
Un système judiciaire alarmant
Toutes ces exécutions sont initiées par le système judiciaire iranien.
Le système iranien de la peine de mort a été analysé par le Centre Abdorrahman Boroumand pour les droits de l’homme en Iran.
« Il expose les pratiques idiosyncrasiques du pouvoir judiciaire et son processus décisionnel, en s’appuyant sur des affaires concernant la peine de mort pour des délits liés à la drogue, dont l’application est interdite depuis longtemps par les normes internationales. Ces jugements utilisent de manière répétée le langage de la ‘certitude’ dans la condamnation de l’accusé. En réalité, ils soulèvent de sérieuses inquiétudes quant aux erreurs judiciaires qui pourraient potentiellement entraîner l’érosion de la légitimité du système de « justice » pénale en Iran. »
Par exemple, les jugements de Mohsen Nasiri Mojreh étaient totalement dépourvus des détails nécessaires pour permettre aux accusés et à leurs représentants légaux de comprendre les raisons du jugement et, le cas échéant, de préparer un appel »
En outre, le rapport insiste sur la question de l’aveu qui devient une condamnation. « Les personnes accusées avouent généralement des infractions qu’elles n’ont pas commises, la raison la plus évidente étant les aveux forcés par l’utilisation ou la menace de la torture. Par exemple, Majid Parmasi et Mikael Shahbazi ont été condamnés à mort pour la fabrication et la possession d’environ 6,2 kilogrammes de crystal meth. Le juge condamne ces accusés à mort en se concentrant sur leurs aveux durant la phase d’enquête – et en ne tenant pas compte de la rétractation ultérieure des accusés ».
Un coût politique faible
Les exécutions pour infraction à la législation sur les stupéfiants ont un impact politique relativement faible. En effet, contrairement aux exécutions d’opposants politiques, l’accusation de trafic de drogue est moins politique. C’est pourquoi, comme l’indique le rapport d’IHR, lorsque des événements politiques tels que le mouvement « Femmes, Vie, Liberté » ont lieu, les exécutions pour trafic de drogue augmentent. Les procès étant très rapides et peu rigoureux, cela permet d’incriminer rapidement et sans impact.
Ce faible coût politique est accentué par le fait que les personnes condamnées à mort sont issues de populations marginales. De plus, le silence de la communauté internationale met en exergue ce faible coût politique. L’ONUDC a même signé un nouvel accord avec l’Iran en mars 2023. Cet accord, analysé par le rapport de l’IHR, renforce le système policier iranien, ce qui pourrait conduire à de nouvelles arrestations.
Ainsi, les condamnations à mort pour infraction à la législation sur les stupéfiants ont peu d’impact politique. Elles permettent à l’Iran de dissimuler les persécutions politiques et d’éviter les questions politiques.
Réactions internationales et nationales à la situation
Des rapports de différentes ONG exhortent les autorités internationales à agir pour changer la situation. Plusieurs initiatives ont été lancées pour dénoncer la situation iranienne.
Au niveau national, IHR fait état de manifestations de familles de victimes. Une manifestation a eu lieu en janvier 2023. Et en janvier 2024, des prisonniers de la prison de Ghezel Hesar ont appelé à l’aide. A l’échelle nationale, ces mobilisations sont dangereuses puisque des militant·e·s sont emprisonné·e·s pour avoir dénoncé la peine de mort. C’est le cas de l’activiste Golrokh Ebrahimi-Irae, emprisonné depuis 2022.
A l’échelle internationale, un rapport du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’humain rappelle dans son paragraphe 30 que la peine de mort ne devrait pas être appliquée pour le trafic de drogue. Le rapport appelle également à l’arrêt des guerres contre la drogue, au profit d’une transformation plus profonde. Il demande que l’on recherche les causes profondes du trafic de stupéfiants. Amnesty International a demandé une véritable enquête sur la situation en Iran.
Le 10 avril 2024, plus de 80 organisations et groupes iraniens et internationaux ont appelé à une action commune pour mettre fin aux exécutions liées à la drogue, exhortant l’ONUDC à subordonner « toute coopération avec la République islamique à l’arrêt complet des exécutions liées à la drogue ».