Suivi de l’initiative concernant les conditions de détention et de traitement des condamnés à mort
Normes internationales
En octobre 2018, l’association Planète Réfugiés-Droits de l’Homme (PRDH), association membre de la Coalition mondiale contre la peine de mort, avait lancé au Barreau de Paris une initiative internationale à l’occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort du 10 octobre 2018 qui portait sur les conditions de détention et de traitement des condamnés à mort dans le monde. Dans cette perspective l’action de PRDH vise à développer, en partenariat avec la clinique juridique en droits des libertés de la faculté de droit de l’Université Grenoble-Alpes un travail de recherche-action-plaidoyer visant à une meilleure prise en compte en droit international de la question des conditions de détention et de traitement des condamnés à mort dans le monde, dans la perspective de la rédaction et de l’adoption de lignes directrices additionnelles sur cette question, et, plus globalement, dans le but de faire reconnaître, sur le plan international les condamnés à mort comme une catégorie juridique spécifique de personnes privées de liberté.
Ces recherches avaient débouché sur la publication d’un premier article publié fin novembre 2018 sur le site de la Coalition. Depuis, PRDH, en partenariat avec ECPM et l’Université de Grenoble-Alpes, a organisé un événement parallèle sur ce thème durant le 7ème Congrès mondial contre la peine de mort à Bruxelles (27 février-1er mars 2019) qui a permis de nourrir la réflexion et certains axes de travail grâce à la présence d’une trentaine de participant(e)s travaillant dans plus de 10 pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Amérique latine. Le fruit de ses discussions est partagé dans le présent article.
Alors que les statistiques disponibles dénombrent près de 20 000 condamnés à mort dans le monde sur 11 millions de personnes détenues, les normes de détention qui sont appliquées aux personnes passibles de, ou condamnées à la peine capitale ne prennent pas en compte le contexte particulier qu’elles endurent. L’analyse de PRDH tend à montrer que les vulnérabilités spécifiques des condamnés ne trouvent pas un ancrage suffisant dans le droit international des droits de l’Homme.
Les prévenus passibles de la peine de mort subissent généralement des violations de leurs droits procéduraux et des garanties judiciaires minimales. Sur le plan de la détention, les détenus condamnés à mort se trouvent souvent dans des quartiers spécifiques, mais la détention dans les couloirs de la mort n’est pas systématique. Le pourcentage de femmes condamnées à mort est globalement faible, mais varie d’un système carcéral à l’autre. Certains enfants sont condamnés à mort, au mépris du droit international des droits de l’Homme et du droit international humanitaire, et peuvent être détenus pendant plusieurs années avant d’atteindre leur majorité et d’être exécutés.
Les lacunes du droit international actuel. Quelques exemples emblématiques
Si, en matière de droit des détenus, le droit international et européen des droits de l’Homme reconnait une protection générale aux personnes privées de liberté (en particulier l’Ensemble des règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus – Règles de 1955 actualisées en 2015 sous le nom de Règles de Mandela-), il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, il n’existe aucune disposition spécifique en droit international des droits de l’Homme ou en droit régional des droits de l’Homme1 concernant les conditions de détention et le traitement des condamnés à mort, alors même que les personnes condamnées à mort ont des vulnérabilités spécifiques et des besoins particuliers. Or, la peine de mort constitue un facteur discriminant et aggravant préjudiciable au respect de la dignité des détenus et à l’effectivité des garanties judiciaires minimales.
À titre liminaire, l’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) ne fait aucunement mention de l’exigence de transparence et sur la production de statistiques sur le nombre de condamnations à mort ou d’exécutions, ces manquements faisant l’objet de recommandations régulières lors des examens des États par les mécanismes onusiens de protection des droits de l’Homme. En outre, si ces règles rappellent le principe fondamental de non-discrimination, elles ne font pas davantage mention de l’obligation de non-discrimination sur le fondement de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre2. Or plusieurs pays prévoient dans leur arsenal juridique la détention et la condamnation de personnes à la peine capitale sur ce fondement3.
Parmi les thèmes qui mériteraient davantage d’attention dans les règles de Mandela et le droit international en général, il conviendrait de distinguer :
Sur la question des conditions de détention et de traitement des prévenus passibles de la peine capitale
Les personnes en attente de jugement et passibles de la peine capitale peuvent subir, dans de nombreux contextes, des violations majeures de leurs droits fondamentaux qui ne sont pas entièrement consacrés par le droit international, tels que, à titre d’exemple :
1. Le droit à un procès équitable :
Dans plusieurs pays étudiés, à l’instar du Pakistan ou de l’Égypte –pays qui sont dans les dix premiers pays qui prononcent des condamnations à mort- les formations de jugement qui prononcent les condamnations à mort sont des formations à juge unique, ce qui n’est pas de nature à garantir une bonne administration de la justice. En outre, quand, dans d’autres pays, les formations de jugement sont collégiales, les décisions sont prises à la majorité et non à l’unanimité, qui constitue le seul réel rempart contre l’arbitraire. Dans certains pays, à l’instar du Maroc, des parlementaires se mobilisent pour que ce type de décision soit effectivement prise à l’unanimité.
La peine de mort ne doit pas être prononcée de manière collective. Les condamnations collectives, comme en Égypte, sont prononcées en violation du principe du droit de la responsabilité pénale individuelle.
2. L’accès à un interprétariat de qualité :
La question de l’accès à l’interprétariat est diversement couverte sur le plan juridique selon le stade de la procédure pénale dans laquelle le prévenu passible de la peine de mort ou le condamné à mort se trouve. La règle 61 des Règles de Mandela couvre de façon complète la question de l’interprétariat en lien avec l’accès à l’avocat, en établissant une obligation de compétence et d’indépendance pour l’interprète4. La règle 41, qui porte sur la discipline et la sanction disciplinaire en prison, ne revient pas sur cette exigence d’un interprétariat compétent et indépendant. Sur le plan de l’accès aux soins (règles 24 à 35), il n’est fait aucune mention d’une obligation positive de l’autorité pénitentiaire de fournir un interprète dans le cadre des échanges entre le personnel médical et le détenu. Dans bon nombre de pays, à l’instar de la Mauritanie où des condamnations à mort sont encore prononcées, il n’existe pas de système d’experts judiciaires interprètes. Or ces experts judiciaires doivent répondre à certaines exigences de compétence et d’éthique professionnelle (secret professionnel, garantie morale de la probité de leur prestation).
Sur la question des conditions de détention et de traitement des détenus condamnés à la peine capitale :
Les conditions de détention et de traitement des condamnés à mort sont particulièrement difficiles sur un certain nombre de dimensions quotidiennes de cette forme particulière de privation de la liberté. Certaines dimensions sont insuffisamment couvertes par le droit international et les Règles de Mandela.
1. L’accès à l’éducation et aux activités manuelles :
Cet accès est loin d’être garanti ou proposé aux condamnés à mort dans bon nombre de systèmes carcéraux. À titre d’exemple, au Malawi les femmes condamnées à mort peuvent participer aux activités de jardinage. Au Burkina Faso, les femmes détenues, y compris les condamnées à mort, ont la possibilité de lire ce qu’elles veulent, ce qui n’est pas le cas de la majorité des systèmes carcéraux dans le monde. Les règles internationales ne comportent aucune disposition spécifique sur ce thème concernant les condamnés à mort.
2. Le libre exercice de la religion et du culte :
Si l’accès au libre exercice de la religion et du culte est garanti dans les règles internationales (Règles de Mandela 65 et 66), les autorités pénitentiaires doivent garantir à tout détenu condamné à mort l’accès à un aumônier sans distinction de sexe, d’âge ou d’appartenance religieuse. Les femmes condamnées à mort doivent avoir accès à un aumônier féminin si elles en formulent la demande. Cette dimension genrée est absente des Règles de Mandela et des Règles des Nations unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (dites Règles de Bangkok, 2011).
3. La protection des condamné(e)s à mort contre la curiosité publique et le respect de la vie privée :
Cette protection des personnes passibles de la peine de mort et des personnes condamnées à mort contre la curiosité publique ne concernent uniquement, en droit international, que certains stades des procédures judiciaires et de la détention tels que le transfèrement5 ou la question de la protection contre la curiosité publique lors des exécutions publiques, interdites en droit international des droits de l’Homme6. Des dispositions juridiques contenues dans les Conventions de Genève de 1949 pourraient servir à nourrir la réflexion pour renforcer la protection des condamnés à mort contre la curiosité publique à tous les stades de la procédure.7
4. La question des dépouilles mortelles et des effets personnels des condamnés à mort :
Si la règle 72 consacre le principe du respect et de la dignité de la dépouille d’une personne décédée en détention, elle n’aborde pas la question de l’imputation des coûts financiers liés à l’exécution. Les coûts liés à l’exécution doivent être à la charge intégrale de l’autorité pénitentiaire, et non de la famille8. Le corps des condamnés à mort ne devraient pas faire l’objet de trafic d’organes, à l’instar du contexte chinois9. Les Règles de Mandela ne font mention de la gestion des effets personnels des détenus que dans le cas d’une libération (règle 67). Ainsi, ces règles restent complètement muettes sur la question du devenir des effets personnels des condamnés à mort, et l’obligation juridique positive de les rendre à la famille ou aux ayant-droits.
5. Sensibilisation du public et échanges d’information:
Cette question renvoie au rôle de sensibilisation sur ce que sont les conditions de détention des condamnés à mort et à la sollicitation d’une variété d’acteurs (organes de contrôle du pouvoir tels que le Parlement ou les institutions nationales des droits de l’Homme, centres académiques et de recherche, société civile) afin de développer les recherches sur ces aspects, dans l’esprit de la règle 70 des Règles de Bangkok de 2011 sur les femmes privées de liberté10. L’ajout d’une règle de ce type dans les Règles de Mandela pourrait ainsi permettre de reconnaître le caractère limité de données fiables et de la sensibilisation de la population à la question des conditions de détention et de traitement des condamnés à mort dans le monde, l’impact de l’incarcération sur leurs familles, ainsi que l’importance de l’échange d’informations sur les résultats de la recherche.
Premiers fruits du travail de plaidoyer dans le cadre de la mise en œuvre de cette initiative
Suite au travail de mobilisation et de plaidoyer de Planète Réfugiés-Droits de l’Homme, le Conseil national des Barreaux (CNB) a adopté une motion en février 2019 appelant à l’adoption d’un texte international garantissant les droits des condamnés à mort11. Au terme du 7ème Congrès mondial contre la peine de mort (Bruxelles, 27 février-1er mars 2019) qui a réuni plus de 1 500 participants, le Barreau de Paris et l’Union internationale des avocats ont adopté une résolution commune sur la peine de mort et les conditions de détention et de traitement des condamnés à mort dans le monde, appelant notamment à « défendre le respect des conditions de détention et de traitement des condamnés à mort préservant la dignité humaine et les droits fondamentaux» et à « participer au plaidoyer international en faveur de la rédaction et de l’adoption de standards additionnels et spécifiques qui puissent garantir une meilleure protection des détenus condamnés à mort dans le monde et afin d’obtenir la reconnaissance en leur faveur de garanties spécifiques liées à leur vulnérabilité particulière.12» Cette résolution a été adoptée par près de 50 barreaux présents dans 32 pays dans le monde. La déclaration conjointe adoptée par onze rapporteurs spéciaux des Nations unies au terme de ce 7ème Congrès mondial revient également sur la question spécifique des conditions de détention et de traitements des condamnés à mort.13
Conclusion
Parallèlement, les discussions menées avec plusieurs représentants du Service européen d’Action extérieure (SEAE) de l’Union européenne devraient refléter une meilleure prise en compte des conditions de détention et de traitement des condamnés à mort dans la nouvelle mouture des lignes directrices de l’UE sur la torture, attendue pour le 26 juin 2019. Si le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme (HCDH) et l’Organisation des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) sont réfractaires à tout changement en lien avec la dernière version des règles de Mandela de 2015, il n’en reste pas moins que ces règles, malgré leur importance sans conteste, restent lacunaires concernant les personnes condamnées à la peine capitale.
PRDH souhaite poursuivre ce travail avec les associations de la société civile et organisations intéressées. Dans ce cadre, merci de contacter Nordine Drici, Président de PRDH (nordinedrici@hotmail.fr) et Sandrine Ageorges-Skinner, Cheffe de projet Peine de mort aux États-Unis (sandrine.ageorges@gmail.com)
Ref.
[1]Les Lignes directrices de l’Union européenne sur les droits de l’Homme (torture, peine de mort) ne reviennent que de façon très liminaire sur cette question des vulnérabilités spécifiques de la détention et du traitement des condamnés à mort. Sur le plan du droit régional africain, l’Observation générale n° 3 de la Commission Africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) sur le droit à la vie, adoptée en novembre 2015, reste également muette sur cette question, tout comme l’Observation générale n° 36 des Nations unies adoptée le 30 octobre 2018 qui porte sur l’analyse de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).
[2]La Règle 2 rappelle en effet que, dans son premier alinéa, « les présentes règles doivent être appliquées impartialement. Il ne doit y avoir aucune discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou autre, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. Les croyances religieuses et les préceptes moraux des détenus doivent être respectés. »
[3]Il s’agit de l’Afghanistan, de l’Arabie saoudite, du Sultanat de Brunei, des Émirats arabes unis, de l’Iran, de la Mauritanie, du Pakistan, du Qatar, du Soudan et du Yémen, outre certaines provinces au Nigéria et en Somalie.
[4]Règle 61 : « 2. Si les détenus ne parlent pas la langue locale, l’administration pénitentiaire leur facilite l’accès aux services d’un interprète indépendant compétent. »
[5]Règle 63 des Règles de Mandela de 2015
[6]Résolution 2005/59 de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies, art. 7(i), appelant les États rétentionnistes à s’assurer, que, lorsque la peine capitale est exécutée, elle doit l’être avec le minimum possible de souffrance. Elle ne doit pas être exécutée en public ou sous une autre forme dégradante. Les États rétentionnistes doivent s’assurer de mettre fin immédiatement à l’utilisation de méthodes d’exécution particulièrement cruelle et inhumaine, à l’instar de la lapidation. Le texte intégral de la résolution est disponible sur le lien suivant https://www.refworld.org/docid/45377c730.html.
[7]La question de la protection contre la curiosité publique est en effet traitée dans la Troisième Convention de Genève de 1949, dans son article 13.2 qui stipule que « les prisonniers de guerre doivent de même être protégés en tout temps, notamment contre tout acte de violence ou d’intimidation, contre les insultes et la curiosité publique ». Dans l’esprit et la lettre des Conventions de Genève, la protection du prisonnier de guerre s’étend à des valeurs d’ordre moral, telles que l’indépendance morale du prisonnier (protection contre l’intimidation) et son honneur (protection contre les insultes et la curiosité publique).
[8]En Chine, la famille du condamné doit payer pour la balle utilisée lors de l’exécution du condamné à mort.
[9]Rapport intitulé Respect for Minimum Standards ? Interim Review of the Death Penalty in China, février 2019, par The Rights Practice, https://www.rights-practice.org/Handlers/Download.ashx?IDMF=90e3b1e6-1a56-4cfa-8911-3c262bd731a3%20
[10]Règle 70 des Règles de Bangkok de 2011 concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes.
Règle 70
« 1. Les médias et le public doivent être informés des raisons qui amènent les femmes à avoir des démêlés avec le système de justice pénale ainsi que des moyens les plus efficaces de réagir pour permettre la réinsertion sociale des femmes, en tenant compte de l’intérêt supérieur de leurs enfants.
2. La publication et la diffusion de travaux de recherche et d’exemples de bonnes pratiques doivent faire partie intégrante des politiques visant à améliorer les choses et à faire en sorte que les mesures de justice pénale concernant les délinquantes soient équitables pour ces femmes et leurs enfants (…). »
[11]La motion prise par le CNB est disponible sur le lien suivant : https://www.cnb.avocat.fr/sites/default/files/cnb-mo2019-02-09_ldh-caei_peine_de_mort_sedillotfinal-p.pdf
[12]Le texte de la résolution commune au Barreau de Paris et à l’Union internationale des avocats est disponible sur le lien suivant : http://congres.ecpm.org/wp-content/uploads/2019/03/7eCM-joint-statement-barreaux.pdf
[13]Le texte intégral de cette déclaration est disponible sur le lien suivant : http://congres.ecpm.org/wp-content/uploads/2019/03/7eCM-joint-statement-rapporteurs-spe%CC%81ciaux.pdf