La peine de mort au cœur de l’examen des droits de l’Homme
Normes internationales
La Coalition mondiale et son membre local, l’Alliance taïwanaise pour mettre fin à la peine de mort (TAEDP), ont souligné les abus liés à l’utilisation de la peine de mort dans leur contribution à un examen national des droits de l’Homme similaire à ceux que conduisent les organes des Nations unies.
Avant de laisser leur siège à l’ONU aux représentants de la République populaire de Chine en 1971, les autorités taïwanaises avaient signé deux instruments de droit international majeurs – le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et celui relatifs aux droits civils et politiques (PIDCP).
Leur application n’a jamais été soumise à l’examen des organes des droits de l’Homme des Nations unies, car Taïwan n’est plus membre de l’ONU. Cependant, les autorités ont adopté une loi qui transpose les deux pactes en droit national en 2009.
Cet événement a lancé un processus ouvert d’examen des droits de l’Homme qui débouchera sur l’analyse du respect du PIDESC et du PIDCP dans le pays par un groupe d’experts internationaux du 25 février au 1er mars 2013.
Mis à jour du 3 mars :
Les experts internationaux ont publié leurs observations et recommandations finales (disponibles en anglais et en chinois). Ils félicitent les autorités et la société civile pour leur particpation au processus.
« Les experts recommendent fortement au gouvernement de Taïwan d’intensifier ses efforts vers l’abolition de la peine capitale et, comme première étape décisive, de mettre en place imédiatement un moratoire sur les exécutions en accord avec les résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies », ont-ils écrit.
Ils ajouent que « les 15 exécutions conduites à Taïwan ces trois dernières années » l’ont toutes été avant que les procédures de demande de grâce ou de commutation soient arrivées à leur terme, ce que les experts ont qualifié de « violation » du PIDCP.
Enfin, ils ont constaté que la torture avait été utilisée pour obtenir des aveux dans plusieurs affaires de condamnation à mort et demandé aux autorités de commuer ces peines.
Rapport alternatif
Le gouvernement a publié ses propres rapports sur la situation des droits de l’Homme à Taïwan et une coalition de 45 ONG appelées Covenants Watch a répondu par des rapports alternatifs.
Les rapports sur le PIDCP en particulier détaillent la situation de la peine de mort dans le pays. Dans sa contribution, le gouvernement déclare que la position officielle depuis 2007 est « l’abolition graduelle de la peine de mort ». Les autorités reconnaissent des préoccupations, notamment la pratique actuelle des exécutions conduites en secret sans avertir la famille du condamné. « Il faut prendre au sérieux la question de savoir si cela répond aux exigences du PIDCP », écrit le gouvernement.
Les autorités reconnaissent également que le nombre d’exécutions a rapidement augmenté après une période de quatre ans sans exécutions entre 2006 et 2010. Elles détaillent deux affaires récentes dans lesquelles elles reconnaissent que « les juges ont rendu leur verdict sur la base d’aveux obtenus après des arrestations arbitraires, des détentions illégales et des interrogatoires sous la torture ». Leur rapport cite le cas d’un innocent exécuté pour un meurtre qu’il n’a pas commis.
« Grand retard sur le calendrier »
Cependant, les 19 pages de remarques sur la peine de mort dans le rapport alternatif de Covenants Watch soutiennent que le gouvernement ne va pas assez loin. Selon les défenseurs des droits de l’Homme, les réformes du droit pénal visant à réduire le champ d’application de la peine de mort ont accumulé un « grand retard sur le calendrier ».
En réponse aux erreurs judiciaires passées identifiées par le gouvernement, le rapport alternatif affirme que « des affaires sont toujours en cours dans lesquelles la culpabilité d’un accusé est établie sur la base de témoignages arrachés sous la torture », et « sept personnes sur les neuf exécutées en avril 2010 et mars 2011 n’avaient pas d’avocat pour leur défense dans leur procès au troisième degré ».
Covenants Watch considère également que le rapport officiel néglige les questions des conditions de détention dans le couloir de la mort et de l’usage de la peine de mort à l’encontre des malades mentaux.
« Les mesures devraient inclure un moratoire »
La conclusion du chapitre « Droit à la vie » du rapport alternatif est la suivante : « Si, comme le rapport de l’Etat l’indique, le gouvernement de Taïwan avait déjà adopté une position politique pour l’abolition progressive de la peine de mort, alors il devrait non seulement affirmer clairement que l’abolition de la peine de mort est une politique nationale, mais aussi présenter un programme concret pour l’abolition de la peine capitale et un calendrier pour la réalisation de cette politique à court, moyen et long terme, accompagné des plans d’application et des mesures d’accompagnement appropriées. Ces mesures devraient inclure un moratoire sur les exécutions de condamnés à mort, la promotion d’un dialogue complet et d’un débat dans la société, l’étude et la préparation de mesures de substitution et des réparations et des garanties pour les victimes. »
TAEDP a rédigé les remarques sur la peine de mort pour le rapport alternatif. Sa directrice exécutive, Lin Hsinyi, déclare : « Depuis 2010, 15 condamnés à mort ont été exécutés. Ils avaient tous demandé grâce mais n’ont reçu aucune réponse du président avant leur exécution. J’espère que le ministère de la Justice se rendra compte qu’il s’agit d’une violation du PIDCP. Par ailleurs, j’espère que le ministère de la Justice comprendra qu’il est dans l’obligation de travailler concrètement à l’abolition de la peine de mort. »
Les experts internationaux ont déjà publié une liste de questions qu’il vont poser aux autorités lors de leur visite de février. Nombreuses sont celles qui reflètent les inquiétudes exprimées dans le rapport alternatif, comme celle-ci : « Le rapport de l’Etat affirme que "la peine de mort est brutale du point de vue de l’humanité et du Pacte". Cependant, les politiques sur l’abolition de la peine de mort "doivent encore être mises en forme". Quels efforts le gouvernement actuel de Taïwan a-t-il entrepris pour abolir la peine de mort, réduire le nombre de condamnations, et au minimum mettre en place un moratoire en accord avec plusieurs résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies ? »
Perspective internationale
Avant de rendre leurs conclusions, les experts vont prendre en considération des informations complémentaires, notamment un rapport soumis par la Coalition mondiale, qui apportera selon Lin Hsinyi une « perspective internationale » au processus. La Coalition mondiale, dont le Comité de pilotage se réunira dans le pays en avril, appelle les autorités taïwanaises à « modifier les lois qui ne respectent pas les exigences du PIDCP, notamment en abolissant la peine de mort pour les crimes qui ne causent pas de pertes en vies humaines ».
L’examen des droits de l’Homme est avant tout une occasion de lancer un débat public et de faire circuler l’information dans un pays où des positions radicales ont conduit un nombre croissant de partisans de la peine de mort à adresser des menaces et d’autres messages désagréables à TAEDP.
« Nous comprenons qu’il y ait des réactions émotionnelles négatives », explique Lin Hsinyi. « La plupart des gens n’ont pas assez d’information sur la vérité et l’impact de la peine de mort et se sentent donc menacés, fragilisés ou même insultés lorsqu’on pense à l’abolir. Si plus de faits étaient révélés et mieux communiqués, nous croyons qu’il y aurait moins d’hostilité. »
Mise à jour du 18 février 2013 :
Amnesty International France a remis le 14 février plus de 100 000 pétitions à la représentation de Taïwan à Paris pour demander la grâce du condamné à mort Chiou Ho-shun et un moratoire en vue de l’abolition de la peine capitale dans le pays.