Le soutien populaire aux peines de mort automatiques surévalué en Malaisie

Statistiques

Publié par Thomas Hubert, le 10 juillet 2013

Lorsque le Pr Roger Hood de l’Université d’Oxford a demandé à plus de 1,500 Malaisiens s’ils étaient favorables à la peine de mort, 91 % ont répondu oui en cas de meurtre et entre 74 et 83 % pour trafic de drogue et infraction à la loi sur les armes à feu. Mais lorsqu’il les a confrontés à des scénarios variés correspondant aux crimes punis de mort dans la loi, seuls 1,2 % ont estimé que le coupable devait être exécuté dans tous les cas.
Selon la loi malaisienne, les personnes coupables de meurtre, de transport d’une quantité minimum de drogue ou d’avoir ouvert le feu sur autrui doivent être condamnées à mort. Les juges n’ont pas le droit d’examiner des circonstances atténuantes.
Bien que le nombre d’exécutions soit en baisse constante en Malaisie et qu’un débat actif ait lieu sur l’abolition de la peine de mort dans le pays, la crainte d’une opinion publique favorable à la peine capitale a jusqu’ici empêché les dirigeants politiques de réformer la loi.
Pourtant, à l’image d’une étude d’opinion similaire conduite au Japon par le Pr Hood, là encore pour Death Penalty Project (DPP) avec l’assistance du Dr Mai Sato, le rapport publié le 8 juillet montre que le soutien populaire à la peine de mort dépend largement de la manière dont la question est posée et de l’information connue du public.

Les sondés « ne soutiennent pas les peines de mort automatiques en pratique »

Les questionnaires administrés par l’institut de sondages indépendant Ipsos allaient au-delà des questions initiales sur le soutien à la peine de mort et à son application obligatoire.
« Confrontés à 12 scénarios de cas réels (chaque moitié de l’échantillon étudiant six cas différents de trafic de drogue, de meurtre et d’utilisation d’armes à feu) dans lesquels la peine de mort automatique s’applique, seule une petite minorité de Malaisiens a répondu d’une manière qui démontre leur soutien pour cette politique dans tous les cas, » concluent les chercheurs. « Seuls 1,2 % des sondés ont considéré que tous les cas considérés méritaient la mort. En d’autres termes, ils ne soutiennent pas les peines de mort automatiques en pratique, sans prise en compte des circonstances du crime. Un sondé sur cinq (22 %) n’a choisi la peine de mort dans aucun des scénarios qu’il avait à juger. »
Bien que la majorité des personnes interrogées s’expriment pour le maintien de la peine de mort automatique dans tous les cas de meurtres, seuls 14 % ont estimé que le coupable devait être exécuté dans tous les scénarios de meurtre qui leur ont été présentés.
Ce taux est encore plus bas pour le trafic de drogue et l’utilisation d’armes à feu, ce qui « apporte un soutien appuyé à ceux qui pensent que la peine de mort pourrait être abolie pour ces deux crimes sans soulever d’opposition populaire », estime le Pr Hood.
Lors du lancement de l’étude à Kuala Lumpur, Christopher Leong, président du Barreau de Malaisie, a déclaré : « Nous appelons le gouvernement malaisien à étudier les résultats de ce sondage avec attention et à prendre des mesures pour améliorer l’État de droit en Malaisie et renforcer l’image internationale de la Malaisie. Le Barreau de Malaisie renouvelle son appel au gouvernement de Malaisie pour l’abolition de la peine de mort et, entre temps, pour un moratoire immédiat sur son utilisation. »

Réforme législative à Singapour

Le Barreau de Malaisie fait partie, avec la Commission des droits de l’Homme de Malaisie et la Société nationale des droits de l’Homme de Malaisie, des organisations qui font campagne depuis longtemps pour l’abolition dans ce pays. Leong a déclaré qu’une récente réforme législative dans l’État voisin de Singapour, où les « mules » qui transportent la drogue ne sont plus automatiquement condamnées à mort, devait encourager la Malaisie à réduire elle aussi le champ d’application de la peine capitale.
L’étude publiée par DPP donne de nouveaux arguments aux abolitionnistes locaux en montrant que le soutien de l’opinion à la peine de mort s’érode encore lorsque les personnes interrogées reçoivent de nouvelles informations, notamment sur le risque d’exécuter des innocents.
« Tandis que les rétentionnistes demandent que l’on continue à utiliser la peine de mort, notamment contre le meurtre, le viol et l’inceste, le Barreau de Malaisie a toujours estimé qu’il n’y avait aucune preuve empirique de l’effet dissuasif de la peine de mort contre ces crimes. De fait, il n’y a eu aucune baisse significative des infractions actuellement punies d’une peine de mort automatique. C’est particulièrement vrai pour le trafic de drogue », a déclaré Leong.
Le gouvernement britannique a financé l’étude et Raymon William Kyles, haut-commissaire par intérim du Royaume-Uni en Malaisie, a déclaré lors de sa présentation : « Nous reconnaissons que dans beaucoup de pays rétentionnistes, ni le gouvernement, ni la majorité des gens ne sont prêts à aller directement à l’abolition. Mais ce voyage peut commencer par une réflexion sur le sentiment public, sur l’éventail des crimes punis de mort et sur la nature obligatoire de la sentence. Pendant que ce processus a lieu, le pays peut mettre en place un moratoire sur l’exécution de ces condamnations. »

Photo : Eric Teoh

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