La Coalition mondiale pose la question de la santé mentale dans l’utilisation de la peine de mort

Publié par Thomas Hubert (à San Juan, Porto Rico), le 22 juin 2014

Les autorités de Porto Rico ont accueilli les membres de la Coalition mondiale avec une motion de soutien adoptée par le sénat portoricain et un discours engagé du Secrétaire d’État David Bernier, qui a déclaré que la peine de mort « est un mal qui doit être combattu avec toute la force de l’âme humaine ».
Les avocats et les élus locaux ont expliqué que cette île des Caraïbes, État associé aux États-Unis, a abolit la peine de mort dans sa constitution en 1953 mais reste sous la menace de condamnations à mort prononcées par les cours fédérales américaines. Les portoricains appelés à faire partie d’un jury ont jusqu’ici rejeté toutes ces tentatives et les militants locaux ont salué le soutien et l’attention que leur a apporté l’assemblée générale de la Coalition mondiale.
La présidente de la Coalition mondiale, Florence Bellivier, a souligné l’importance du lieu choisi : « Entre le géant Etats-Unis et les Caraïbes rétentionnistes, Porto Rico est un îlot d’espoir dans une mer très menaçante. »
Au niveau mondial, « la tendance est nettement à l’abolition puisque 98 pays ont aboli la peine de mort pour tous les crimes contre 85 il y a 10 ans, mais les reculs et les sur-places sont permanents », a remarqué Bellivier. Elle a notamment cité les condamnations de masse en Égypte, l’absence d’abolition dans la nouvelle constitution tunisienne et la reprise des exécutions à Taïwan.
La crise économique et le repli sur soi observé dans les pays développés et les conflits comme celui observé en Irak font partie des facteurs qui limitent le progrès vers l’abolition, selon Bellivier.
Pour approfondir l’impact du travail de la Coalition mondiale, « il nous faut impliquer d’autres organisations professionnelles, comme les magistrats – qui ne sont pas obligés de prononcer des condamnations à mort –, les médecins – contre l’injection létale – et les journalistes qui sont des faiseurs d’opinions », a-t-elle ajouté.

Regardez des extraits de l’intervention de Bellivier ci-dessous.

Les questions de santé mentale mettent à jour les défauts de la peine de mort

Des experts et des professionnels de terrain sont venus expliquer à l’AG de la Coalition mondiale que les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale sont affectés de manière injuste et disproportionnée par la peine de mort, avant et après la condamnation.
Le Dr Stephen Greenspan, un psychologue du développement appelé comme expert dans de nombreuses affaires de peine de mort aux États-Unis, a déclaré que des handicapés mentaux restent régulièrement condamnés à mort malgré les dispositions légales internationales et nationales telles que le jugement Atkins contre la Virginie de la Cour suprême des États-unis en 2002.
« Dans certaines régions, il est difficile de trouver des experts sur le handicap mental. Les tests de QI sont souvent inefficaces et donnent des résultats trompeurs. Dans de nombreux pays, le handicap mental est mal défini », a dit Greenspan. Par exemple, le droit sud-coréen considère le handicap mental comme un état temporaire dont on peut guérir, ce qui est selon lui scientifiquement faux.
Même lorsque le QI d’une personne est mesuré avec précision, Greenspan rappelle que le seuil du handicap mental est arbitraire et qu’il n’existe pas de consensus sur ses conséquences en matière de comportement social.
« Il existe tant de moyens de bloquer la démonstration d’un handicap mental pendant un procès que c’est quasi-impossible », a-t-il déclaré. « Et vu les difficultés pour établir un handicap mental et son impact sur le comportement dans une affaire de peine de mort, il serait plus raisonnable d’abolir la peine capitale. »
Le psychiatre Dr Terry Kupers, qui étudie la population carcérale depuis plusieurs décennies, a évoqué la tendance consistant à placer les couloirs de la mort dans les unités d’isolement des prisons et ses conséquences sur la santé mentale des condamnés.
« Les êtres humaines ont besoin d’interaction sociale pour garder le sens de la réalité. À l’isolement, les pensées délirantes se développent et conduisent à la paranoïa, » a expliqué Kupers. Il a également remarqué que l’isolement renforçait les maladies existantes comme la schizophrénie ou le syndrome bipolaire.
Les symptômes observés chez les prisonniers à l’isolement vont des migraines aux pertes de mémoires et que la moitié des suicides de prisonniers aux États-Unis se produisent parmi les 3 à 8 % placés à l’isolement. Kupers a ajouté que les automutilations comme les coupures sont fréquentes parmi les hommes incarcérés dans ces unités. « Je n’ai vu ces comportements que chez des jeunes filles, à l’exception des populations carcérales placées à l’isolement », a-t-il déclaré.
Kupers a conclu que ces conditions de détention constituaient une torture et diminuaient les chances des condamnés à mort dans la préparation de leurs appels.
Parvais Jabbar, directeur de Death Penalty Project, a défendu des condamnés dans plusieurs affaires de peine de mort dans des pays des Caraïbes. Il a constaté que nombre d’entre eux n’avaient pas mis en avant leurs difficultés mentales dans leur premier procès – soit parce qu’elles n’avaient pas été diagnostiquées, soit parce qu’ils n’avaient pas les moyens de solliciter des experts. Il a ajouté que les experts étaient rares dans certains pays, ou étaient fonctionnaires de l’État, ce qui pose le problème de leur indépendance.
« J’ai défendu un condamné à Saint-Kitts et lors de notre premier rendez-vous, il n’a rien dit pendant une heure. Il hochait la tête », a raconté Jabbar. « J’ai découvert qu’il avait reçu une balle dans la tête avant son arrestation sans que personne le mentionne au procès. »
Jabbar a ajouté que ce type de cas devrait faire l’objet d’appels pour cause de nouvelles preuves, une procédure prévue dans de nombreux pays des Caraïbes, afin de créer une jurisprudence.
Les liens entre santé mentale et peine de mort seront au cœur de la prochaine Journée mondiale contre la peine de mort le 10 octobre 2014.

Des témoignages forts de condamnés à mort innocentés

Des ateliers pratiques se sont concentrés sur des questions clés du combat actuel contre la peine capitale : le cas des innocents envoyés dans le couloir de la mort, les techniques pour communiquer le message abolitionniste dans les relations avec les journalistes et l’implication des parlementaires dans des initiatives pour l’abolition.
Ruth Wijdenbosch, vice-présidente de l’Assemblée nationale du Surinam et membre de Parliamentarians for Global Action, a annoncé la création d’une plate-forme mondiale pour l’abolition de la peine de mort destinée aux députés et sénateurs. « Parlementaires du monde, convainquez vos gouvernements d’abolir la peine de mort, ou au moins de réduire son utilisation par un moratoire et de soutenir la résolution sur le moratoire prévue à l’Assemblée générale de l’ONU cette année », a déclaré Wijdenbosch.
Juan Melendez, un portoricain qui a passé 17 ans dans le couloir de la mort en Floride pour un crime qu’il n’avait pas commis, a déclaré à l’AG de la Coalition mondiale que son procès n’avait duré que cinq jours.
Il a raconté comment il savait que l’un de ses codétenus était exécuté sur la chaise électrique à chaque fois que les lumières clignotaient dans sa cellule. « Le gens doivent comprendre que la peine de mort est raciste, coûteuse, cruelle et inutile. Nous avons des alternatives », a-t-il déclaré.
Ray Krone, qui a été condamné à tort pour un meurtre malgré des preuves matérielles de son innocence, a dit : « Mon avocat commis d’office a reçu 5 000 $ pour me défendre. Ça ne paierait même pas un divorce aux États-Unis. »
Elizabeth Zitrin, vice-présidente de la Coalition mondiale, a expliqué que de multiples facteurs conduisent à de telles erreurs judiciaires, des aveux erronés aux abus de procédure en passant par la faiblesse de la défense et l’utilisation d’informateurs ayant intérêt à accuser une autre personne. Elle a également mise en garde contre la tentation de compter exclusivement sur les tests ADN pour prouver la culpabilité ou l’innocence d’un accusé. « L’ADN n’est disponible que dans 4 à 8% des meurtres aux États-Unis », a-t-elle dit.
Rosalyn Park, de The Advocates for Human Rights, a remarqué que 144 condamnés à mort ont été innocents aux États-Unis après avoir passé un total de 1 485 ans en prison. Et pourtant, très peu ont reçu une indemnisation adéquate. Seuls 16 États américains utilisant la peine de mort ont une loi qui prévoit une compensation financière. « Seuls 10 États proposent des services sociaux aux innocentés, et seules 15 personnes en ont bénéficié », a-t-elle ajouté.
Park a donné l’exemple de la Louisiane, où un condamné à mort innocenté reçoit 10$ le jour de sa libération, puis un maximum de 15 000 $ par année de prison après une longue procédure.
Elle a ajouté que le Comité des droits de l’Homme de l’ONU avait remarqué l’absence d’une législation adéquate sur l’indemnisation des erreurs judiciaires dans les affaires de peine de mort aux États-Unis. The Advocates for Human Rights recommande notamment un minimum de 100 000 $ par année de prison et des excuses officielles.

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