La société civile se mobilise contre la fin d’un moratoire de 60 ans aux Maldives

Asie

Publié par Lorène du Crest, le 21 mars 2017

Les élections de novembre 2013 qui se sont déroulées dans des conditions troubles ont permis l’arrivée au pouvoir d’Abdulla Yameen Abdoul Gayoom. Depuis, l’archipel des Maldives se dirige vers un ensemble juridique répressif avec un arsenal inspiré de la Charia. C’est dans ce cadre que, le 27 avril 2014, le gouvernement décide de mettre fin à un moratoire de 60 ans sur les exécutions.

S’en sont suivis des développements inquiétants sur la question de la peine de mort. Le 30 novembre 2015 notamment, la Haute Cour a mis fin aux commutations des condamnations à mort en jugeant que le Président ne pouvait plus exercer ce pouvoir. Désormais, seule la famille de la victime aura le pouvoir d’accorder la grâce aux condamnés lorsqu’ils encourent la peine de mort.

Des condamnations de plus en plus nombreuses

Selon les statistiques fournies par l’administration pénitentiaire des Maldives, il y aurait actuellement 17 personnes condamnées à mort dans le pays, dont certains cas soulevant de graves inquiétudes en matière de procédure équitable. Au moins 5 d’entre elles ont été déclarées coupables et condamnées pour des actes commis alors qu’elles étaient mineures. 4 d’entre elles risquent une exécution imminente puisque le gouvernement du président Abdulla Yameen a promis de pendre les condamnés à mort dans les 30 jours suivant la confirmation de leur peine par la Cour suprême.

Parmi les condamnations les plus récentes on peut citer celle de Humaam, dont la condamnation à mort pour le meurtre du député Afrasheem Ali en 2012 a été confirmée par la Cour suprême dans la matinée du 24 juin 2016. Humaam était encore mineur au moment des faits. Or, les Maldives ont ratifié deux traités internationaux, la Convention Internationale relative aux droits de l’enfant en 1991 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 2006, interdisant l’application de la peine de mort aux mineurs délinquants.

Une mobilisation nécessaire face à cette inquiétante situation

L’ONG locale Maldivian Democracy Network (MDN) a publié un rapport sur ce qu’elle considère comme une « condamnation injustifiée ». Ce rapport a notamment été transmis aux participants du 6ème Congrès mondial contre la peine de mort à Oslo.
Par ailleurs, entre juin et aout 2016 une campagne a été lancée par plusieurs défenseurs des droits de l’homme aux Maldives, s’intitulant « Not in my name », pour souligner l’opposition de l’opinion publique à la réinstauration de la peine de mort. De plus, une lettre ouverte a été écrite par l’ONG Reprieve avec la participation de l’islamologue Tariq Ramadan, appelant le gouvernement à restaurer le moratoire. 

Dans cette lancée, en octobre 2016, la famille de Humaam a soumis une requête au Conseil des droits de l’homme des Nations unies à la suite de laquelle le Conseil a ordonné la suspension de l’exécution. Les experts indépendants des Nations unies ont également appelé le gouvernement à suspendre ces exécutions. 

Malgré cela, la situation reste préoccupante et semble empirer puisque la Cour suprême vient de condamner à mort 3 autres personnes accusées de meurtre:Ahmed Murrath, Fathimath Hana et Mohamed Nabeel. Fait des plus inquiétants encore, selon Amnesty International le président Yameen aurait affirmé que la reprise des exécutions était nécessaire afin de maintenir la sécurité et l’ordre public.

Quelles évolutions possibles ?

Dans une tribune au Nouvel Observateur de 2014, l’historien Giuseppe di Bella appelle au boycott : « La principale ressource des Maldives est le tourisme. Il ne fait aucun doute que les autorités des Maldives pourraient revoir leur position si elles constataient une baisse significative de la fréquentation touristique. Chacun d’entre nous agira en fonction de ce que lui dit sa conscience… Pour moi, c’est certain qu’en l’état actuel des choses, les Maldives sont une destination touristique à fuir absolument. »

Mushfiq Mohamed, conseiller juridique et membre de l’ONG MDN a précisé qu’en juillet, MDN avait saisi la Haute Cour en demandant une ordonnance de sursis et l’abrogation de la réglementation de 2014, considérant que cette dernière portait atteinte au droit à la vie consacré dans l’article 21 de la Constitution et dans l’article 16, qui requiert l’approbation du Parlement pour tout ce qui concerne la limitation des libertés fondamentales. Il a ajouté qu’à la suite de cette requête la Haute Cour a effectivement ordonné la suspension de l’exécution de Humaam, ce que la Cour Suprême aurait annulé. M. Mushfiq souligne que cela ne remet pas en cause l’ordonnance de surcis délivrée par le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies.

MDN prévoit également de déposer une requête auprès de la Commission des droits de l’homme des Maldives concernant la deuxième condamnation à mort confirmée par la Cour suprême.

Actuellement, MDN analyse les jugements des condamnés à mort pour soulever les contradictions entre le droit national et international. La société civile des Maldives continue de sensibiliser contre la peine de mort, notamment en travaillant avec les familles des condamnés.

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