L’abolition de la peine de mort doit faire partie intégrante des programmes de prévention de la criminalité et des réformes de la justice pénale.
Déclaration
Alors que le quatorzième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale est sur le point de s’ouvrir à Kyoto, au Japon, les organisations soussignées demandent instamment au Conseil économique et social (ECOSOC) et à ses organes subsidiaires, notamment l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), ainsi qu’à tous les États membres des Nations Unies, y compris le Japon, pays hôte du Congrès, de faire de l’abolition de la peine de mort une composante intégrale des programmes de prévention du crime et d’amélioration des systèmes de justice pénale dans le monde.
Du 7 au 12 mars, des décideurs et décideuses politiques, des praticien.ne.s, des universitaires, des organisations intergouvernementales, des militant.e.s et des organisations de la société civile oeuvrant dans le domaine de la prévention du crime et de la justice pénale se réuniront à Kyoto, au Japon, ainsi qu’à distance, pour participer au quatorzième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale. Le Congrès aura pour thème « Faire progresser la prévention du crime, la justice pénale et l’état de droit : vers la réalisation de l’Agenda 2030 » et offrira une plateforme d’échanges sur la recherche et l’évolution du droit et des politiques concernant les nouvelles tendances et questions en matière de prévention du crime et de justice pénale.
C’est dans ce contexte que les organisations soussignées regrettent l’exclusion de l’abolition de la peine de mort du plan de travail du Congrès, ainsi que de la stratégie de l’ONUDC pour 2021-2025. Les Nations Unies et les organismes intergouvernementaux régionaux, ainsi que de nombreux pays de toutes les régions, reconnaissent depuis longtemps les violations des droits de l’homme intrinsèquement liées à l’application de la peine de mort ; et le droit et les normes internationales en matière de droits de l’homme ont clairement fixé son abolition comme objectif1. Le maintien de ce châtiment cruel est incompatible avec les objectifs fixés dans le cadre de l’Agenda 2030 pour le développement durable, notamment l’Objectif de développement durable (ODD) 3.4, en raison de l’impact de la peine de mort sur la santé mentale et physique des personnes qui y sont confrontées ; les ODD 5.1 et 10. 3, car la peine de mort est discriminatoire et a un impact disproportionné sur les personnes issues de milieux socio-économiques défavorisés et de minorités ethniques, raciales, religieuses ou sexuelles ; et l’ODD 16, qui vise à promouvoir des sociétés pacifiques et inclusives pour le développement durable, à assurer l’accès à la justice pour tous et à mettre en place des institutions efficaces, responsables et inclusives à tous les niveaux. Par conséquent, la peine de mort doit être éradiquée dans le cadre de la mise en œuvre de l’agenda 2030.
Nous appelons toutes les parties prenantes à placer la promotion et la protection des droits de l’homme au centre des discussions et des engagements programmatiques sur la prévention de la criminalité et les réformes de la justice pénale, notamment en intégrant l’abolition de la peine de mort dans les efforts en cours.
TRAVAUX DE L’ECOSOC ET DE L’UNODC CONTRE LA PEINE DE MORT
L’ONU s’oppose sans équivoque à la peine de mort et l’ECOSOC et ses organes subsidiaires ont été à l’avant-garde des travaux visant à mettre en lumière les violations des droits de l’homme associées à l’utilisation de cette peine, ainsi qu’à établir des garde-fous pour garantir la protection des droits de ceux qui y sont confrontés.
Entre autres exemples, l’ECOSOC surveille depuis un demi-siècle les tendances et les développements concernant l’utilisation de cette peine et la mise en œuvre de ses sauvegardes par le biais de rapports quinquennaux périodiques ; 2 pour sa part, l’ONUDC a été le gardien de l’Ensemble des règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (les Règles Nelson Mandela), dont la dernière révision date de 2015, et des Règles des Nations unies pour le traitement des femmes détenues et les mesures non privatives de liberté pour les délinquantes (les Règles de Bangkok), établissant des normes qui s’appliquent à toutes les conditions de détention, y compris pour les condamnés à mort. L’ONUDC et l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS), les organes des Nations unies chargés de superviser les conventions des Nations unies relatives aux drogues, ont tous deux condamné sans ambiguïté le recours à la peine de mort pour les infractions liées à la drogue, notant que son application n’atteint pas le seuil des « crimes les plus graves » au regard du droit international relatif aux droits de l’homme, ne respecte pas l’esprit des conventions internationales relatives au contrôle des drogues et peut constituer un obstacle à une coopération transfrontalière et internationale efficace contre le trafic de drogue, et ont exhorté les gouvernements à s’orienter vers l’abolition.
Les travaux des organes des Nations unies chargés de superviser les programmes de prévention de la criminalité et de justice pénale ont fait avancer et compléter les efforts déployés par d’autres parties des Nations unies et ont contribué à cimenter le lien sans équivoque entre la promotion et la protection des droits de l’homme et l’abolition de la peine de mort. Les instruments adoptés sous les auspices de l’ONUDC et des organes de l’ECOSOC ont été des clés de voûte pour les organisations de la société civile et les défenseurs de l’abolition dans toutes les régions. Toutefois, alors que les exécutions dans le monde enregistrent des chiffres historiquement bas, il est plus que jamais essentiel de tout mettre en œuvre pour interdire ce châtiment cruel dans la minorité de pays qui le maintiennent encore en droit et en pratique.
VIOLATIONS GÉNÉRALISÉES DES GARANTIES ET RESTRICTIONS INTERNATIONALES
Malgré la tendance mondiale continue à s’éloigner de la peine de mort, le recours à ce châtiment a été entaché de violations du droit et des normes internationales en matière de droits humains. Entre autres exemples :
– la peine de mort a été prononcée et appliquée à l’encontre de personnes âgées de moins de 18 ans au moment du crime, notamment en 2019 dans des pays comme l’Iran, les Maldives, le Pakistan, l’Arabie saoudite et le Soudan du Sud, ou à l’encontre de personnes souffrant de graves handicaps psychosociaux (mentaux) et intellectuels, comme aux États-Unis ;
– on sait que des condamnations à mort ont été prononcées à l’issue de procédures qui ne respectaient pas les normes internationales d’équité des procès, notamment ces dernières années au Bahreïn, au Bangladesh, en Chine, en Égypte, en Iran, en Irak, en Malaisie, au Pakistan, en Arabie saoudite, à Singapour, au Viêt-Nam et au Yémen – et dans plusieurs cas, sur la base d' » aveux » qui peuvent avoir été extorqués sous la torture ou d’autres mauvais traitements, ou de déclarations faites lors d’un interrogatoire de police sans la présence d’un avocat ;
– des condamnations à mort ont été prononcées en tant que peine automatique et obligatoire pour certains crimes, ne laissant aucune possibilité de prendre en compte des circonstances atténuantes en rapport avec le crime ou l’accusé, notamment ces dernières années en Arabie saoudite, au Ghana, en Iran, en Malaisie, au Myanmar, au Nigeria, au Pakistan, en Sierra Leone, à Singapour et à Trinité-et-Tobago ;
– la peine de mort a été utilisée pour punir des infractions qui ne répondaient pas à la norme des » crimes les plus graves « , notamment en 2019 pour des infractions liées à la drogue (Arabie saoudite, Bahreïn, Bangladesh, Chine, Indonésie, Iran, Malaisie, Singapour, Sri Lanka, Thaïlande et Viêt-Nam), des crimes économiques (Chine), des » infractions » liées à la religion (Pakistan) et pour différentes formes de » trahison « , des » actes contre la sécurité nationale « , souvent formulés de manière vague (Arabie saoudite et Pakistan) ;
– la discrimination dans l’imposition de la peine de mort sur la base de la race, de la religion, du sexe et de l’orientation sexuelle, ainsi que sur la base du milieu socio-économique, a été omniprésente;
En outre, le nombre croissant de pays qui ont aboli la peine de mort ou sont devenus parties au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, ainsi que les préoccupations croissantes concernant le conflit irréconciliable entre la peine de mort et l’application de la torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ont conduit le Comité des droits de l’homme des Nations unies et plusieurs experts indépendants des Nations unies à souligner qu’un droit coutumier considérant la peine de mort comme une forme de châtiment cruel et inhabituel est en train d’émerger.
Le pays hôte du Congrès, le Japon, a également suscité l’inquiétude des organes des Nations unies en raison de son recours à la peine de mort. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a notamment souligné dans son dernier examen du Japon « que plusieurs des 19 infractions passibles de la peine capitale ne sont pas conformes à l’exigence du Pacte de limiter la peine capitale aux « crimes les plus graves », que les [prisonniers] du couloir de la mort sont toujours maintenus en isolement pendant des périodes pouvant aller jusqu’à 40 ans avant l’exécution, et que ni les [prisonniers] ni leurs familles ne sont avertis à l’avance du jour de l’exécution. Le Comité a également noté que « la confidentialité des entretiens entre les condamnés à mort et leurs avocats n’est pas garantie, que les examens mentaux visant à déterminer si les personnes menacées d’exécution sont « en état de démence » ne sont pas indépendants et que les demandes de révision de procès ou de grâce n’ont pas pour effet de suspendre l’exécution et ne sont pas effectives. En outre, les informations selon lesquelles la peine de mort a été prononcée à plusieurs reprises à la suite d’aveux forcés, notamment dans le cas d’Iwao Hakamada, sont préoccupantes.
UNE OCCASION DE FAIRE PROGRESSER L’ENGAGEMENT MONDIAL EN FAVEUR DE L’ABOLITION
L’effet dissuasif unique de la peine de mort a été réfuté depuis longtemps, l’enquête la plus complète des Nations unies sur les résultats des recherches concernant la relation entre la peine de mort et les taux d’homicide ayant conclu que » les recherches n’ont pas réussi à établir un lien entre la peine de mort et les taux d’homicide » : « La recherche n’a pas apporté la preuve scientifique que les exécutions ont un effet plus dissuasif que l’emprisonnement à vie. Il est peu probable qu’une telle preuve soit apportée. L’argument de la dissuasion ne fait que détourner l’attention du public des solutions à long terme, pourtant indispensables, qui permettraient de lutter plus efficacement contre la criminalité et ses causes profondes. De plus, cet argument ne prend pas compte des droits des personnes condamnées à mort.
Le prochain Congrès sur la criminalité offre donc un contexte unique pour renouveler les engagements en faveur de l’abolition de la peine de mort – sans cela, les programmes visant à atteindre les objectifs de l’agenda 2030 en matière de sécurité, de droits de l’homme et de développement pour tous passeraient à côté d’un élément essentiel et favoriseraient une vision de la justice et de l’État de droit qui ne serait pas en phase avec la promotion et la protection des droits de l’homme et de la dignité de tous.
Lire le PDF (en anglais)
Cette déclaration est co-signée par :
Amnesty International
Barreau de Paris
Center for Prisoners’ Rights Japan
Colegio de Abogados y Abogadas de Puerto Rico (CAAPR)
Cornell Center on the Death Penalty Worldwide
Death Penalty Project
Ensemble Contre la Peine de Mort (ECPM)
Harm Reduction International
International Federation for Human Rights (FIDH)
Legal Awareness Watch Pakistan
Mai Sato, Associate Professor, Director, Eleos Justice, Monash University
Penal Reform International
The Advocates for Human Rights
The Institute for the Rule of Law of the International Association of Lawyers (UIA-IROL)
The International Federation of ACATs (FIACAT)
World Coalition Against the Death Penalty
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Opinion publique