Plus de 8 000 personnes dans les couloirs de la mort en Asie du Sud

Asie

Publié par Aurélie Plaçais, directrice, le 3 mai 2022

Avec peu d’exécutions mais l’un des plus grands couloirs de la mort au monde, l’Asie du Sud est à la croisée des chemins. Des publications récentes explorent la santé mentale des personnes condamnées à mort et leur contexte social et économique au Bangladesh, en Inde, aux Maldives, au Pakistan et au Sri Lanka.

La population de l’Asie du Sud est d’environ 1,787 milliard d’habitants, soit environ un quart de la population mondiale. Mais la population dans les couloirs de la mort représente plus d’un quart de la population mondiale des couloirs de la mort. On estime à 8 186 le nombre de personnes condamnées à mort en Asie du Sud (2 600 au Bangladesh, 488 en Inde, 22 aux Maldives, 3 831 au Pakistan et 1 239 au Sri Lanka, dont au moins 86 femmes). Les exécutions sont sporadiques. Le Bangladesh a exécuté 2 personnes en 2022, l’Inde a exécuté 4 personnes en 2020, le Pakistan 14 en 2019 et il n’y a pas eu d’exécution aux Maldives et au Sri Lanka depuis plus de 40 ans.

Peine de mort et santé mentale en Inde

Un rapport pour une perspective sur la santé mentale et la peine de mort en Inde a été publié récemment par Project 39A. Les auteurs et auteures ont interrogé 88 personnes condamnées à mort (3 femmes, 85 hommes) et 110 familles dans sept États. Ils ont adopté une approche bio-sociale de la santé mentale et ont examiné les vulnérabilités et la réalité sociale des personnes dans les couloirs de la mort, et pas seulement leurs dossiers médicaux ou leurs évaluations psychiatriques.

Leurs conclusions sont effroyables : 51 personnes dans les couloirs de la mort (62,2%) ont été diagnostiquées avec au moins une maladie mentale. 

Parmi les 88 personnes interrogées, l’effet en cascade de la pauvreté était évident. 46 personnes ont subi des violences physiques ou verbales dans leur enfance, 64 ont été négligées et 73 ont grandi dans un environnement familial perturbé. Pour 46 personnes, leur éducation s’est arrêtée avant leur 10 ans, 28 ont commencé très tôt à utiliser des substances illicites. 73 personnes ont vécu trois expériences traumatisantes dans leur enfance. 

34 (plus de 50%) des 63 personnes qui ont fourni des informations sur leur comportement et les idées suicidaires ont dit avoir envisagé le suicide au moins une fois en prison. 8 personnes avaient fait une tentative de suicide en prison. Ces chiffres et cette proportion sont alarmants si on les compare à la proportion de personnes présentant un risque élevé de suicide dans la population carcérale générale (4-6%) et dans la société (0,9%). 94,1% des personnes présentant un risque de suicide ont également fait état de leur détresse dans le couloir de la mort.

9 des 83 personnes dans les couloirs de la mort (environ 11%) ont été diagnostiquées avec un handicap intellectuel. Alors que le droit international interdit l’imposition de la peine de mort aux personnes présentant un handicap intellectuel, dans le cas de ces neuf personnes, leur handicap n’a même pas été porté à l’attention des tribunaux.

Le rapport évoque également les souffrances liées au couloir de la mort et l’impact sur les familles des personnes condamnées à mort.

Piégé à l’intérieur au Pakistan

Ce rapport sur la santé mentale dans les couloirs de la mort au Pakistan a été publié par Justice Project Pakistan début 2022. Il s’appuie sur l’arrêt historique rendu par la Cour suprême dans l’affaire Safia Bano et autres contre l’État le 10 février 2021, lorsque la Cour suprême du Pakistan a établi des garanties essentielles pour les personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial dans le couloir de la mort, a réitéré et confirmé les protections qui doivent être accordées aux personnes présentant un handicap psychosocial à chaque étape du système de justice pénale. Dans la pratique, cependant, ces normes relatives au procès et à la condamnation des personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial sont rarement appliquées.

Le système de justice pénale pakistanais n’offre pas, dans l’ensemble, une protection adéquate aux personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial lors de leur arrestation, de leur procès, de leur condamnation et même de leur détention. L’absence de traitement et de formation en matière de santé mentale signifie que de nombreuses personnes ne sont jamais diagnostiquées et que ce handicap passe souvent inaperçu avant la commission de l’infraction et lors du procès. La majorité des personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial obtiennent donc leur premier diagnostic après leur incarcération. 

En outre, la pratique consistant à séparer les personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial en les plaçant en détention préventive, généralement dans une cellule individuelle, les exclut d’une participation égale à la vie carcérale. Elle réduit leur accès à l’éducation et aux activités récréatives, ce qui peut détériorer davantage leur bien-être psychologique et mental. Par conséquent, les dispositions légales relatives à la ségrégation des personnes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial doivent être modifiées afin de garantir qu’elles soient exposés à des contacts humains significatifs, de sorte que leur placement en détention préventive n’équivaille pas à un isolement cellulaire.

Vivre sous le coup d’une condamnation à mort au Bangladesh

Dans une étude récente publiée par le département de droit de l’université de Dhaka, en collaboration avec le Bangladesh Legal Aid and Services Trust (BLAST) et le Death Penalty Project, des entretiens ont été menés avec des membres de la famille de 39 personnes condamnées à mort, et des dossiers des Cour de justice ont été utilisés pour suivre l’évolution des affaires devant la Haute Cour.

Tous les personnes pour lesquels des données ont été recueillies au Bangladesh, sauf une, étaient des hommes. La plupart d’entre eux étaient relativement jeunes au moment de l’infraction, ce qui pourrait suggérer un fort potentiel de reformation ainsi qu’une culpabilité moindre, et pourtant ces jeunes ont été condamnés à mort. Un niveau d’instruction élevé est un facteur de protection dans de nombreux domaines sociaux, économiques et juridiques. Il n’est pas surprenant que, comme les personnes condamnées à mort en Inde, la plupart n’aient pas reçu une éducation de haut niveau et, en partie en conséquence, la plupart étaient économiquement vulnérables : employés faiblement rémunérés ou chômeurs. En dépit de leur situation financière quelque peu précaire, plus de la moitié des familles ont assuré la représentation juridique privée du prévenu pendant le procès. Ce résultat peut surprendre, mais il est conforme aux données recueillies en Inde. Il est clair que, dans les deux pays, la confiance dans les avocats de l’aide juridique est faible.

Selon le rapport sur les droits de l’homme 2021 d’ODHIKAR, chaque année, un grand nombre de personnes sont condamnées à mort par les tribunaux de première instance. Des cas de référence à la peine de mort provenant de différents districts du pays sont constamment soumis à la Death Reference Branch de la High Court Division de la Cour suprême. L’énorme accumulation d’affaires signifie que d’innombrables personnes sont emprisonnés à l’isolement (cellule unique pour les personnes condamnée à mort) dans tout le pays depuis des années. Il convient de noter que la plupart des victimes sont pauvres, peu instruites et défavorisées. »

Problèmes de santé mentale rencontrés par les prisonniers condamnés au Sri Lanka

Une étude sur les prisons publiée par la Commission des droits de l’homme du Sri Lanka en 2020, se penche également sur la santé mentale des personnes condamnées à mort.

Les périodes prolongées d’enfermement dans le couloir de la mort peuvent rendre les personnes condamnées à mort suicidaires et délirantes, ce qui se reflète dans les données recueillies au cours de cette étude. 78% des hommes et 33% des femmes condamnées ont déclaré que les sentiments d’anxiété, de dépression et de tristesse interfèrent avec leur fonctionnement quotidien. En outre, 12% des hommes et 6% des femmes condamnés à mort ont déclaré s’être automutilés, tandis qu’un nombre statistiquement significatif d’hommes condamnés ont déclaré avoir pensé au suicide. 9% des hommes condamnés et 10% des femmes condamnés ont déclaré avoir tenté de se suicider en prison.

Les données qualitatives recueillies au cours de l’étude indiquent que les personnes condamnées à mort souffrent du phénomène du couloir de la mort. Les expériences possibles du phénomène/syndrome du couloir de la mort sont décrites par les personnes condamnées dans l’étude comme suit :

« Je ne sors jamais pour faire de l’exercice, depuis environ cinq ans. J’avais l’habitude d’aller à la mosquée le vendredi, mais depuis trois ou quatre ans, je n’y vais plus non plus. Je n’y allais même pas pendant la période de jeûne. Si j’y vais, on me demandera pourquoi tu n’as pas fait appel, on me posera des questions sur mon cas, on me dira comment les deux autres [coaccusés] ont obtenu un nouveau procès de la cour d’appel. Même en allant à la mosquée, les gens parlent de ces choses. C’est très déprimant de parler de ces choses, alors pourquoi devrais-je y aller ? Je ne participe à aucune activité en prison, à aucun programme de réinsertion ou cours, cela ne sert à rien. Il n’y a aucun intérêt à sortir [de la cellule]. Je me contente de rester seul. Ma famille avait l’habitude de venir pour des visites libres auparavant. Ils ne viennent plus maintenant. Je ne les appelle que deux ou trois fois par an depuis la cabine téléphonique. Je ne sais pas quoi leur dire. Si je les appelle, je dois leur dire quelque chose et ils vont poser des questions. Quand rentres-tu à la maison ? Je n’ai pas de réponses. Alors, pour faciliter la vie de tout le monde, je ne leur parle pas. Quel est l’intérêt d’être dans la douleur et la tristesse tous les jours ? Et en plus, donner cette douleur et cette tristesse aux gens à la maison ? S’il n’y a pas de solution, il ne sert à rien de discuter des problèmes qui existent. Je suis sous traitement pour une maladie mentale. En 2017, c’est devenu grave et on m’a envoyé en HP. »

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