La peine de mort en RDC : moyen illusoire de lutte contre l’impunité face à la mise en oeuvre des droits de l’humain

Afrique

Publié par Me Olivier LUNGWE FATAKI de Pax Christi Uvira absl, le 30 août 2024

La République démocratique du Congo (RDC) fait partie des Etats qui maintiennent la peine de mort dans son arsenal juridique, mais sous le tempérament du moratoire de fait depuis 2003.

Cette situation de suspension des exécutions vient de durer 20 ans, soit jusqu’en mars 2024 quand le pays a décidé de reprendre la pendaison des civils et la fusillade des militaires reconnus coupables  de certains crimes commis en temps de guerre, sous l’état de siège ou d’urgence, à l’occasion d’une opération de police tendant au maintien ou rétablissement de l’ordre public ou encore pendant toute autre circonstance exceptionnelle.

Cette mesure a été décidée lors de la 124ème réunion ordinaire du Conseil des Ministres tenue le 09 février 2024 et rendue publique dans la note circulaire de la Ministre de la justice et garde des sceaux, du 13 mars 2024, relative à la levée du moratoire sur l’exécution de la peine de mort en RDC. Bien avant cela, certaines voix de la part des officiels congolais se levaient déjà dans le sens de voir ce moratoire être levé afin de faire face à la situation sécuritaire de l’Est du pays. Déjà en 2022, lors du 8ème congrès mondial contre la peine de mort, le ministre congolais en charge des droits humains avait déclaré dans son discours : « […] la plus part des Etats qui ont aboli la peine de mort vivaient dans une situation de paix […], ce qui n’est pas le cas de la RDC  qui vit, depuis plus de trois décennies, dans une situation de guerre d’agression lui imposée par les Etats voisins […] ». Aussi, la suspension du moratoire pour une durée de deux ans avait déjà été proposée par le Gouverneur de la Province du Nord-Kivu, dans son communiqué de presse publié le 13 septembre 2016.

En effet, la situation sécuritaire qui prévaut il y a plus de deux décennies dans la partie Est du pays, mais aussi les actes de terrorisme et de banditisme urbain entrainant mort d’homme, constituent toute la motivation de la part des autorités du rétablissement de la peine de mort en RDC. En ce sens, l’inexécution de la peine de mort du fait de ce moratoire était vue comme un gage d’impunité, à en croire la note circulaire du 13 mars 2024.  En clair, la peine de mort s’avère une arme de lutte contre l’impunité et l’insécurité en RD Congo.

Pourtant, alors que le pays fait face au défi d’appliquer justice aux cas de violations graves des droits de l’homme documentés dans le « Rapport Mapping » du Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les Droits de l’Homme, pour la période de 1993 à 2003, la peine de mort encore présente dans le code pénal congolais, continue à servir de motif à certains Etats pour ne pas extrader les personnes suspectées se trouvant sur leur territoire afin que justice soit rendue.

En outre, au regard des engagements pris dans le cadre des instruments juridiques national, régionaux et internationaux, la RDC est limitée formellement dans le choix des moyens de lutter tant contre l’insécurité que l’impunité. Les articles 16, 61 et 33 alinéa 5 de la Constitution érigent en droits indérogeables, nonobstant la raison, le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture que l’Etat est censé protéger en toute circonstance. L’intransigeance de ces dispositions constitutionnelles en vigueur fait toute la différence d’avec l’ancienne Constitution du pays de 2003 qui prévoyait à son article 15 que « Nul ne peut être privé de la vie ou de la liberté, si ce n’est dans les cas prévus par la loi et dans les formes qu’elle prescrit ». Ces garanties juridiques fondamentales sont également contenues dans les dispositions des articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et des articles 4 et 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. 

Dans la mise en œuvre de ces instruments juridiques internationaux, la « souveraineté de l’Etat congolais » et son corolaire de « non-ingérence » sont limités par le biais du droit de regard qu’exercent les organes conventionnels pour la promotion et la protection des droits de l’homme. A cet effet, dans le cadre du contrôle sur rapport exercé par le Comité des droits de l’homme pour le contrôle de la mise en œuvre des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques relatives (PICDP) au droit à la vie et à l’interdiction de la torture, à l’occasion du troisième cycle de l’examen périodique universel en 2019, des recommandations et observations avaient été formulées à la RDC  dans le sens de donner rapidement effet aux dispositions exprimant l’intention du Gouvernement d’abolir la peine de mort, de transformer le moratoire de facto en abolition de la peine de la mort et de ratifier le Deuxième Protocol Facultatif au PICDP. 

Sans nul doute, la levée de ce moratoire sur les exécutions de la peine de mort s’avère un recul à un acquis qui préservait déjà, de manière précaire soit-il, le droit à la vie des personnes humaines condamnées à une peine cruelle, inhumaine et dégradante en RDC. Pourtant, le compromis de lutte contre l’impunité et la mise en œuvre des droits de l’homme en RDC appelle, au regard des faiblesses qu’accuse la justice congolaise, l’amélioration de l’action judiciaire et le renforcement du système pénitentiaire congolais. Ce, notamment par la mise en place des chambres spécialisées pouvant juger tous les crimes du passé documentés dans le rapport Mapping de l’ONU jusqu’à ce jour, sans appliquer la peine de mort pour être conforme à la politique pénale internationale découlant du Statut de Rome de la Cour pénale internationale et aux exigences des droits de l’homme liant la RD Congo. Il va sans dire que l’Etat congolais devrait aussi lutter préventivement contre le banditisme urbain entrainant la mort, plutôt qu’attendre la commission de ces crimes pour punir.

Le respect des droits de l’homme dans la lutte contre l’insécurité et l’impunité des crimes est à la fois une obligation de l’État congolais et une condition nécessaire pour une stratégie anticriminelle efficace.

Me Olivier LUNGWE FATAKI est avocat au Barreau du Sud-Kivu / République démocratique du Congo et militant abolitionniste au sein de Pax Christi Uvira asbl, membre de la Coalition mondiale contre la peine de mort. Il est titulaire d’un diplôme de Master 2 à Nantes Université en Droit international et européen des droits fondamentaux. 

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